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vailleurs! Leurs journaux sont remplis chaque matin de grandes tirades philanthropiques; mais pourquoi donc n'en voit-on pas (si ce n'est parfois quelques médecins par devoir d'état,) pratiquer ce qu'ils recommandent aux autres avec l'apparence de la conviction, se soumettre aux fonctions souvent rebutantes de la véritable fraternité chrétienne? Cela est autrement difficile que de jeter de l'encre sur du papier.

Pourquoi ne mettent-ils pas immédiatement leurs biens en commun avec les pauvres? Pourquoi ne paraissent-ils pas comme des providences vivantes dans ces bouges infects qu'habitent la vermine et la malpropreté ?

Pourquoi ne les rencontre-t-on pas assis au chevet de ces malheureux qu'ils caressent si fort dans leurs écrits et leurs discours, leur pressant la main, leur parlant le langage de l'affection, les encourageant à être hommes, c'est-à-dire à souffrir sans blasphèmes? Pourquoi enfin laissent-ils toutes ces démarches peu agréables, mais chères cependant aux cœurs religieux, pourquoi les laissent-ils à ces riches chrétiens qu'ils détestent peut-être comme des ennemis de leurs utopies? Allons, cessous donc d'écrire pour notre gloire et pour satisfaire notre vanité; agissons un peu, je vous en prie! Une visite personnelle aux pauvres, un acte de vraie charité, une réalisation de la doctrine, est-ce trop exiger?

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Nous ne voulons pas commencer seuls, disent-ils; ce serait une duperie; nous serons parfaitement charitables, nous mettrons notre avoir en commun quand nous verrons les autres disposés à nous imiter. Il ne faut pas d'héroisme anticipé. Quoi! nous irions bonnement nous priver de tout, nous rendre pauvres, nous sacrifier, lorsqu'autour de nous l'égoïsme règne, lorsque chacun recherche le plaisir, la joie, le bonheur matériel, la richesse. En vérité, nous serions des insensés.

Très-bien; libre à vous de n'être pas des héros; néanmoins, vous n'empêcherez pas un parallèle qui n'est pas à votre avantage. Les apôtres chrétiens n'ont pas attendu que le monde fût converti pour pratiquer ce qu'ils enseignaient, et c'est là précisément l'un des secrets de leur succès. immense. Combien les philosophes et les prêtres payens n'auraient-ils pas eu raison de rire, si les disciples du Sauveur avaient fait comme nos socialistes, s'ils avaient remis la pratique des préceptes chrétiens au temps où les autres hommes auraient été prêts à les suivre sur le terrain de la charité? Tout au contraire, les apôtres donnèrent le signal et débutèrent par l'héroïsme; ils ne demandèrent pas aux lois publiques de forcer l'humanité à la réalisation de la fraternité; ils furent frères volontairement et aussitôt ils trouvèrent des imitateurs. La contagion de l'exemple gagnant de proche en proche, avec l'appui de Dieu, la société chrétienne, telle que les actes des apôtres nous la représentent, se forma d'elle-même, parce que les chefs avaient dès le premier jour montré ce que peut l'esprit de sacrifice. - Les chrétiens ne prenaient pas pour excuse qu'ils auraient été seuls à se dévouer;

ils ne faisaient pas ce lâche calcul de l'égoïsme ils abandonnaient leurs professions, ils embrassaient la pauvreté, ils vivaient de la vie commune, l'un aussi désintéressé que l'autre, dans l'égalité des enfants de Dieu.

St-Pierre disait au boîteux à la porte du temple : « Je n'ai ni or ni argent; » mais ce que j'ai, je te le donne au nom de J.-C. de Nazareth, lève-toi » et marche.» (ACTES, Ch. 3.)

Voilà la conduite des premiers fidèles: c'est qu'ils croyaient; vous, au contraire, socialistes, vous ne croyez pas; vous n'avez pas confiance absolue, avengle en vos doctrines, en vos paroles, et il ne vous convient pas de prendre une initiative dont vous souffririez sans les autres. Vous voulez attendre, ou plutôt vous voudriez que la loi et le pouvoir se chargeassent de forcer la société à réaliser vos idées. Alors, vous seriez sous le même joug que tout le monde; vous consentiriez à être obligés au bien. Quelles capitulations!

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Les disciples du Christ n'étaient pas seulement frères par la communauté volontaire, ils étaient patients, chastes, doux et obéissants; ces vertus rendaient la communauté facile; ils ne considéraient pas, avant d'entrer dans le chemin de l'Évangile, si la patience, la chasteté, la douceur, l'obéissance étaient déjà dans les habitudes de leurs voisins. Imitez-les donc, socialistes, si vraiment vous avez foi en vous, si vous désirez de convertir la société.

Ainsi vous ne pratiquez pas vos maximes; fondateurs présumés d'une société nouvelle, vous n'osez pas en exécuter les conditions difficiles; ne vous étonnez pas qu'on refuse de vous croire, car vous ne croyez pas en vous-mêmes. -La religion chrétienne, que vous déclarez quelquefois insuffisante aujourd'hui, a fait ses preuves dès le commencement; elle a produit d'emblée des héros de charité, de fraternité, de suprême liberté, qui ne craignaient que les jugements de Dieu; elle en produit encore qui feraient honte à vos délicates précautions, et si, par moments, elle a été moins féconde en dévouements sublimes, elle pouvait supporter ces allanguissements passagers après les modèles innombrables qu'elle avait donnés au monde; mais vous, socialistes, où sont vos preuves? où sont, autre part que dans vos discours, votre fraternité, votre charité pratiquée? Je les cherche et ne les trouve point. La faiblesse de la conduite ne se rachète point par du style.

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Cependant les socialistes réussissent devant un certain auditoire; sans compter beaucoup de mauvais sujets qui sont leurs disciples inévitables, ils entraînent à leur suite cette tourbe du Démos, qui, dans tous les temps, a suivi les flatteurs du peuple. · Rien n'est plus vieux que la race des Cléons; rien n'est plus vieux aussi que la facilité de la multitude à se laisser tromper. C'est en cela que nos novateurs sont passés maîtres; le déplorable langage qu'ils tiennent aux masses, aux pauvres, est plus blåmable que

la courtisannerie monarchique.

Le Roi, s'il a quelque intelligence, sait ce qu'il doit penser de ses courtisans, le peuple ne comprend pas la perfidie, l'ambition des siens.

Le procédé de la flatterie adressée aux passions du pauvre, est-il donc aussi un procédé chrétien? Est-ce encore sous ce rapport que le socialisme continue et développe le christianisme?

Écoutons St-Paul: « Nous n'avons jamais employé la flatterie, comme » vous le savez;.... Dieu en est témoin... » (Ép. aux Thessalon. Ch. 2.) >> Par des paroles flatteuses, dit le même apôtre en parlant des faux »> docteurs, ils séduisent les âmes simples. » (Ép. aux Rom.)

« Un jour viendra que les hommes ..... multiplieront au gré de leurs » désirs les maîtres qui flatteront leur orgueil...; ils fermeront l'oreille à » la vérité et l'ouvriront à des fables. » (1er Ép. à Tim. Ch. 4.)

L'Apôtre aurait pu ajouter: « Les maîtres qui flatteront la convoitise; » c'est en effet le grand, le sûr moyen du socialisme auprès des pauvres; triomphe fort mal aisé assurément ! Quoi d'étonnant de gagner les hommes en éveillant chez eux la concupiscence! Le miracle des Apôtres, c'est d'avoir gagné les hommes en leur prêchant le renoncement, l'abnégation, l'abstinence des plaisirs, l'amour de la souffrance, en un mot, la folie de la croix.

Les socialistes ne ressemblent aux Apôtres ni par la doctrine, ni par le procédé de prédication, ni par la conduite morale. Il en doit être ainsi nécessairement, car les premiers négligent ce qui les mettrait en communication directe avec la divinité, ce qui leur mériterait la grâce, ce qui fortifiait, épurait, élevait les chrétiens, la prière. Ces journalistes qui se disent mandataires de Dieu, le prient-ils quelquefois? - Pensent-ils sculement à Dieu, sinon pour produire, par un nom auguste, un effet de style au milieu de phrases sonores?

« Priez, priez sans cesse, écrivait St-Paul aux Thessaloniciens. » (Ép. Ch. 5.) La prière attire la vérité dans le cœur; elle va puiser à la source de toute vérité, mais aussi quand les socialistes prieront, ils détesteront leur socialisme. Jusque-là je crains qu'ils n'aient trop encouru les reproches de l'apôtre :

<< Ils ont tous dévié; ils sont tous devenus inutiles; il n'y en a point >> qui fassent le bien. Leur gosier est un sépulcre ouvert; ils se sont » servis de leurs langues pour tromper avec adresse; ils ont sur les lèvres >> un venin d'aspic...... leur bouche est remplie de malédiction et d'amer» tume.... Leurs pieds vont vite pour répandre le sang. Le malheur » et la ruine sont dans leurs voies.

>> Ils ne connaissent pas le chemin de la paix.

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(ST-PAUL, Ép. aux Rom. Ch. 5.)

<< Je suis la porte, dit le Christ, si quelqu'un entre par moi, il sera

» sauvé; et il entrera et sortira et trouvera des pâturages;

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>> ne vient que pour dérober et tuer et détruire; je suis venu afin que les >> brebis aient la vie et qu'elles l'aient en abondance. »

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« Je suis le bon pasteur, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis, >> mais le mercenaire et celui qui n'est point berger voit venir le loup et » délaisse les brebis et s'enfuit.... Le mercenaire s'enfuit, parce qu'il est » mercenaire. » (St-JEAN, Ch. 10.)

En rappelant à sa mémoire l'histoire de nos jours, chacun décidera où est le bon pasteur, où est le mercenaire; chacun jugera entre l'Église et le socialisme.

CHAPITRE III.

Les socialistes ne prennent dans l'Évangile que ce qui leur

convient.

La tactique ordinaire des socialistes, quand ils se targuent de Christianisme, est celle-ci : Choisir dans l'Évangile et les livres saints les passages qui semblent appuyer leurs idées, et puis ils s'écrient triomphalement : « Nous parlons comme le Christ, comme les disciples de Jésus; nous avons pour nous St-Paul et les Pères de l'Église.

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N'oubliez pas d'ailleurs qu'ils se soucient autant de l'Église et de ses docteurs que de Confucius et de Brahma; les noms de Jésus, des Apôtres, de St-Grégoire, de St-Augustin, etc., etc., ne sont sous leur plume que des moyens d'argumentation; ils n'essaieront pas, soyez-en sûrs, de se conduire comme les Saints; ce serait trop dur. Ils se servent de leur autorité pour le bon effet qu'elle devra produire, et c'est tout. Encore cette autorité n'a de valeur pour eux qu'autant qu'elle vient soutenir le socialisme; elle ne vaut rien quand elle le combat. Voilà pourquoi ils font un choix dans les livres chrétiens, élaguant avec attention ce qui les contrarie, triant de même les mots qui présentent un air de socialisme. Alors, tout joyeux, ils enflent le sens des expressions, l'exagèrent, le défigurent souvent, et ils disent plus baut que jamais : « Le Christ et les Pères étaient des socialistes ! »>

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Dernièrement, à la tribune de l'Assemblée nationale, le plus naïf des novateurs et peut-être le plus instruit, mais d'une science excessivement indi

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