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inspirations de la charité volontaire, mais par la voie législative; qui détruisent la liberté par l'exagération des principes d'autorité; qui ne négligent enfin aucune occasion de dépeindre au pauvre lui-même ses misères en les comparant aux joies du riche; qui par conséquent surexcitent les convoitises de l'indigence au risque de troubler la paix. Pour moi, tout homme, qui parle ou écrit de cette manière et dans ces idées, est un Socialiste; je range sous cette dénomination et celui qui s'avoue hautement communiste et celui qui, se défendant chaudement d'accointance avec le communisme, n'est pas moins un communiste déguisé, puisqu'il arrive logiquement aux mêmes solutions. Pour les derniers comme pour les premiers, la société, assise sur les bases anciennes, est mal assise; il lui en faut de nouvelles, c'est à l'État d'aviser.Tous enfin, soit directement, soit indirectement, aboutissent à frapper la propriété, la famille, la liberté individuelle, dans leurs attributs essentiels.

Tous cependant, à l'exception de quelques fous, se proclament les héritiers de la doctrine évangélique; ils se présentent comme les continuateurs du Christ; ils veulent fonder l'État sur la pensée chrétienne.

Approchons maintenant la pierre de touche; regardons quels fruits produit le socialisme. Je ne suis pas très-exigeant et je demande seulement qu'on me cite la moindre petite vertu qu'il ait fait naître. Autrefois les apôtres, les disciples du Christ prêchaient dans les villes et les campagnes; ils recrutaient des prosélytes, malgré l'austérité de leur morale, et tout d'abord ces prosélytes, auparavant vains, débauchés, violents, cupides, enclins à la révolte, paresseux, devenaient humbles, chastes, doux, charitables, patients, laborieux, inaccessibles aux concupiscences, désireux de la pauvreté, prêts au sacrifice de leurs biens et de leurs vies, ardents au martyre; tels étaient les fruits du bon arbre, les fruits de la parole de Dieu. Eh bien! donc, que le socialisme, qui se dit aussi le bon arbre, nous montre dans les malheureux qu'il séduit une réforme aussi radicale; qu'il nous montre les libertins qu'il a rendus chastes, les violents auxquels il a donné la douceur, les rebelles qu'il habitue à l'obéissance, les paresseux qu'il dispose au travail, les pauvres qu'il réconcilie avec la pauvreté, en un mot, les hommes qu'il a fait bons. Oui, je pense qu'on en trouvera qui étaient bons avant lui et sans lui, mais on en trouvera peu qui le soient avec lui.

A quoi tendent en définitive les prédications socialistes de toutes les écoles, les écrits quotidiens jetés en pâture à l'ignorance, les discours de ces puritains, moralisateurs du peuple?- Ils éveillent, ils entretiennent l'amour de l'argent; ils n'occupent le pauvre que de la question d'argent, ils lui parlent sans cesse de bien-être matériel à acquérir, de salaire plus élevé, de jouissances plus nombreuses. Soyez francs, Messieurs du socialisme, le fond de votre pensée n'est-il pas ceci : « que la même somme de bonheur ici-bas est la suprême justice; que l'inégalité des plaisirs de ce monde est un mal suprême? »> Partant, parlez-vous d'autre chose, dans vos élucu

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brations, que de réalisation du bien-être, que de l'égalité du bonheur matériel? etc., etc. Certes, voilà un christianisme nouveau, et s'il continue l'ancien, il ne lui ressemble pas beaucoup. Pour Dieu, que serait un jour le peuple nourri continuellement de pareilles idées, agité sans cesse par de pareilles questions? Il ne resterait pas longtemps le peuple du dévouement, de l'abnégation et de la générosité!

Le socialisme a ses enfants terribles, c'est à dire, de ces esprits étourdis qui trahissent imprudemment le secret des habiles; nous avons entendu l'un de ces compromettants disciples exprimer son horreur des vertus chrétiennes; suivant jusqu'au bout les conséquences des principes sociaux de Fourier, it déclarait le sacrifice, le dévouement, une absurdité. La sœur de charité était, selon le phalanstérien, une monstruosité abominable. Du moins, celui-là ne nous persuadera pas qu'il continue le christianisme, quand même il ne s'en éloignerait pas à une distance infinie par les saletés du monde Harmonien.

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Considérons les vertus publiques sorties du socialisme. Hélas! c'est ici que la démonstration est trop concluante contre lui. J'en atteste ces épouvantables insurrections, ce sang répandu à torrents dans des combats impies et fratricides, ces conspirations en permanence, ces haines toujours rugissantes, ces passions cupides et basses, ces paresses incurables, se couvrant de mots spécieux comme le droit au travail. J'en atteste les terreurs dont la société n'est pas encore tout à fait guérie.

Je vous en prie, dites-moi, si ces hommes de haine et de concupiscence sont des chrétiens, des disciples de l'Évangile; -dites-moi si les premiers fidèles s'insurgeaient, se battaient, conspiraient, menaçaient, alors même qu'on les livrait aux tortures; s'ils maudissaient la pauvreté, s'ils désiraient les voluptés du riche? Bientôt nous ferons voir ce qu'ils étaient les chrétiens des siècles apostoliques, et l'on comprendra quelle énorme différence les sépare de nos socialistes modernes.

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Perdez donc, Messieurs, la manie de vous proclamer les sectateurs du Christ; vos fruits vous condamnent.

CHAPITRE II.

Les socialistes dans leur conduite.- Sont-ils chrétiens?

Saint-Paul, dans son Épitre à Tite (Ch. 7.) écrivait : « Montrez-vous vous» même un modèle de bonnes œuvres en tout, dans la manière d'instruire, dans » la pureté des mœurs, dans la gravité de la conduite. »

En effet, quiconque se gratifie du titre d'apôtre, et qui se met en avant pour conduire les hommes, doit lui-même offrir le bon exemple. C'est un axiome élémeutaire.

Est-ce ainsi que le pratiquent nos apôtres du socialisme?

Je ne le dissimule pas, j'aurai ici peut-être quelques paroles un peu dures; la vérité blesse ordinairement; mais il faut parler. D'ailleurs, les socialistes, dans leurs écrits ou leurs discours, ne brillent pas en général par la douceur et les ménagements, et je ne serais pas mal venu à me modeler en ceci sur eux. Cependant efforçons-nous de garder la charité, tout en dévoilant les faiblesses et les ridicules de nos adversaires: Que si la pensée est quelquefois sévère, adoucissons au moins l'amertume des expressions.

Et d'abord, ils ne sont chrétiens ni de croyance, ni de mœurs.

Nous les connaissons par leurs livres, par leurs journaux; nous en connaissons quelques-uns dans la fréquentation du monde. Ils sont chrétiens, prétendent-ils, et ils n'admettent pas l'article fondamental du Christianisme, le dogme de la Divinité de Jésus-Christ. A leurs yeux, le Messie n'est qu'un homme, un sage, un philosophe. Telle est l'incrédulité des chefs d'école;

pas n'est besoin de les nommer.

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A plus forte raison n'acceptent-ils pas les autres mystères révélés; le surnaturel n'existe pas pour eux; point de miracles, point de ministère sacerdotal, point de grâce communiquée, etc.

Mais d'où vient cette incrédulité? L'ont-ils acquise par la réflexion, par l'étude, par la froide analyse de la religion?

J'affirme hardiment que non; la croyance religieuse n'est jamais perdue par raisonnement, mais par désir du mal; je suis profondément convaincu que l'origine de l'incrédulité est la corruption du cœur.

L'homme abhorre la gêne, et la religion gêne tous les penchants. Las de son joug austère, il essaie de le briser ou de s'y dérober. Il s'environne de dévastations, il s'enivre de sophismes pour étouffer avec moins de remords une importune vérité. (LAMENNAIS, Essai sur l'indifférence, etc.)

Voilà l'histoire de tous les hommes qui ont abandonné la Foi de l'enfance. C'est aux socialistes à répondre la main sur la conscience, est-ce aussi leur histoire? Ils ne sont pas réconciliés avec Dieu, comment seraient-ils les dépositaires de la vérité divine? « Le Seigneur les livre à leur sens dépravé. » (Ép. aux Rom. Chap. 1.)

Les uns sont panthéistes; leur Dieu est tout, c'est-à-dire, qu'il n'est rien. Les autres sont Déistes; leur Dieu, une fois l'univers créé, est devenu sourd, aveugle, muet, paralytique.

Donc, ils ne sont pas les continuateurs du Christianisme par le dogme. Mais, répondent-ils, nous repoussons le dogme et nous adoptons la morale. -Nous adoptons! très-bien; il faudrait ajouter nous pratiquons.

Nous avons vu plus haut que St-Paul recommande la gravité dans la conduite.

Il n'y a pas longtemps encore, nous avons vu de près l'un des Évangélistes de l'avenir. — Le disciple le plus intelligent de Fourier prêchait devant nous dans une salle d'estaminet. Son aspect seul, sa tenue indiquaient un homme sans gravité, sans respect de lui-même, et par conséquent de sa doctrine.

D'abord, ce qu'il y a de plus apparent dans le personnage est une moustache hors de toute proportion, à laquelle il est évident qu'il attache grande importance; car, de longues années, il n'ose y porter le ciseau; la main qui caresse sans relâche cette énorme moustache, n'a pas, ce semble, un geste fort apostolique. Attendez, il va prêcher; mais auparavant l'apôtre s'assied nonchalamment sur une table, jambe de ci, jambe de là, l'une étendue le long du marbre, l'autre posée sur une chaise. La main qui ne fatigue pas la barbe est occupée du soin d'un verre d'eau sucrée. - Il parle; mais comme on cause dans un salon, avec ce laisser-aller qui ne révèle ni foi, ni enthousiasme; c'est un homme qui s'amuse à discourir et qui espère qu'on lui trouvera de l'esprit. En effet, il en a beaucoup; il est d'ailleurs pénétré de son sujet; il a tout préparé une foule d'arguments contre chaque objec

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tion; c'est un athlète exercé qui a trop bien travaillé son art, trop bien prévu les attaques pour manquer à la parade; même quand il est touché, il dissimule la blessure avec une habileté admirable.

Cette tenue sans façon inspire-t-elle la

Je soupçonne que l'extérieur des

Mais la gravité, où est-elle? vénération, la confiance, l'estime? disciples du Christ était plus austère. Autres temps, autres mœurs, dira-t-on! cation de l'Evangile chrétien ne convient

Ce qui convenait à la prédiplus à l'Évangile socialiste.

Erreur; l'homme a toujours voulu du sérieux dans les manières du maître qui enseigne des choses sérieuses; le sans-gêne ne fera jamais de fortes conversions, des adeptes pleins de foi et de dévouement.

Quant aux mœurs intimes des docteurs du socialisme, il ne m'appartient pas d'en parler; la vie privée est murée de par la loi; cependant il est permis de croire, par exemple, que les partisans de l'attraction passionnelle n'ont pas un respect exagéré des pudiques vertus chrétiennes. Mais ne levons pas même un coin du voile.

La moralité consiste non seulement à ne pas faire le mal, mais aussi à faire le bien.

Remarquez que nos socialistes, dans leurs écrits, excellent à retracer les vices de la société; comme critique de ce qui est, rien ne surpasse leurs tableaux. Ils ont la plume de Lucien et de Juvénal. Voyez surtout quelle éloquence, quelle indignation, quelle verve les anime, lorqu'ils dépeignent la misère des pauvres, la dureté des riches! profusion de couleurs, hardiesse de pinceau, rien n'y manque.

Oh! j'approuve de tout mon cœur ces élans de zèle, si vraiment ils proviennent d'un sincère amour de l'humanité souffrante, s'ils ne sont pas simplement un jeu d'imagination, u œuvre d'artiste. Sans doute après avoir lancé la foudre sur les hommes méchants qui exploitent l'indigence, qui sucent le sang des malheureux, et qui se gorgent de jouissances à côté du Lazare affamé, sans doute le socialiste, donnant l'exemple de la charité non en paroles mais en actions, va se dépouiller de ce qu'il possède, distribuer aux pauvres l'argent qu'il gagne si facilement à vendre des mots, renoncer aux douceurs de la vie civilisée, chercher le frère qui gémit sur un grabat, le soigner de ses propres mains, le consoler, l'aider à supporter ses maux? C'est ainsi, je pense, qu'eussent procédé les apôtres du Christ.

Je ne vois pas cela chez nos socialistes modernes ; ils gardent très précieusement leur trésor, le grossissent s'ils sont économes, ou le dépensent bel et bien pour eux-mêmes s'ils sont prodigues, continuent à boire et à manger comme par le passé, se contentent par acquit de conscience de faire l'aumône en passant dans la rue, et de souscrire publiquement sur des listes qui seront lues; leur charité, leur abnégation et leur dévouement se bornent là. - Ils aiment tant les ouvriers, ils ont une tendresse si vive pour ces frères tra

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