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calviniste devant ses provinces méridionales. D'autre part, quand le docteur Helfferich parle de l'union des catholiques et des libéraux avant 1830, il ne se garde pas de récriminations contre l'esprit démocratique du clergé catholique qu'il montre exerçant deux propagandes, l'une radicale, l'autre cléricale. Dans ces pages de son livre, il n'est pas seulement l'écho de la presse ultràlibérale de notre pays, mais encore de la bureaucratie d'Outre-Rhin, qui ne comprend ni accepte l'indépendance de l'Église, comme le prouve sa politique dans des circonstances encore toutes récentes. Il fait mainte allusion à l'esprit ambitieux de l'Église romaine, mais avec la modération de langage que l'on prendrait dans les salons piétistes de Potsdam et de Sans-Souci.

En vient-il à la Révolution de 1830, l'auteur fait un récit fort abrégé des faits; mais en regrettant le dénouement de la lutte, il croit devoir charger les Belges au profit des Hollandais, attribuer à ceux-ci franchise et courage, tandis que les premiers seraient coupables de défiance et d'ingratitude devant la sagesse paternelle du Roi, de lâcheté et de ruse devant la loyauté de leurs adversaires. Encore une fois, l'écrivain allemand semblerait avoir confondu nos journées de septembre avec les sanglantes journées de mars 1848 dans les rues de Berlin.

Passant à l'organisation intérieure de l'Etat belge, le docteur Helfferich résume les difficultés financières contre lesquelles ont lutté nos ministres depuis dix-huit ans; il explique la décadence de quelques industries, qui avaient donné naguère à la Belgique une grande partie de sa prospérité, et il montre l'extension qu'a prise le paupérisme dans quelques provinces, en disant de combien de systèmes il a été la source et à quel point il a été mêlé aux questions politiques.

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Dans le chapitre de son livre qu'il intitule le Parti catholique, le docteur Helfferich revient sur les sources de scission entre les deux populations du royaume des Pays-Bas, et sur la coalition de tous les partis en Belgique contre la prépondérance d'une nation qu'ils repoussaient comme étrangère. Quand il aborde la partie plus moderne de notre histoire, il juge la plupart des événements au point de vue du libéralisme doctrinaire qui l'a emporté dans les dernières élections générales. Cependant, alors qu'il étudie l'action sociale du clergé belge, il se plaît à lui rendre justice, à reconnaître sa moralité et son zèle, à le féliciter de son esprit national et de sa véritable popularité qui se concilient avec un étroit attachement aux dogmes catholiques et à la suprême autorité de la communion romaine. M. Helfferich repousse expressément à ce sujet les injures lourdes et vulgaires que Junius a déversées sur le clergé catholique de la Belgique dans des pamphlets anti-jésuitiques publiés en Allemagne, et il loue des catholiques sincères de notre pays de savoir rendre hommage au talent d'écrivains, de penseurs éminents, tels que Gioberti, suspects naguère de hardiesse ou d'innovation dans la profession et la défense du Catholicisme.

Défenseur de la nationalité des peuples, comme l'entend l'école historique d'Allemagne, le docteur Helfferich s'est fait un devoir de retracer dans un chapitre particulier (pp. 138-73) ce qu'il appelle le mouvement flamand. Il aborde les questions qui ont fait quelque bruit dans notre patrie par leur côté de polémique ainsi se plaint-il assez vivement des obstacles apportés à la culture et au perfectionnement du Flamand par les Wallonistes (sic) de Belgique. Mais ce n'est pas assez pour lui d'avoir accusé les Belges d'origine wallonne, ministres, journalistes, représentants, etc., de partialité et d'injustice, d'ambition et d'opiniâtreté: il venge bien mieux la cause qu'il fait sienne en reprochant aux habitants des provinces wallonnes de ne savoir ni parler ni écrire en français. En conséquence, le critique de Berlin se met en devoir de supputer la quantité de solécismes et de barbarismes dont est coupable chaque jour la bouche des Belges parlant français; il applaudit aux censures de la presse parisienne, il cite fièrement le fàcheux adverbe prétenduement qui pèse sur la conscience littéraire d'un de nos publicistes distingués; il fait bon marché des essais poétiques qui ont vu le jour en Belgique, et il donne, en témoignage d'une stérilité qu'il déplore, deux couplets de notre chanson nationale. Le critique ne fait grâce d'aucune de ses impressions: dans les rues et au théâtre, la prononciation de la population belge a choqué son oreille; mais elle a été surtout blessée par le son de l'e fermé. On conviendra que la leçon est un peu dure pour la Belgique, quand elle ne vient pas d'un des maîtres de la langue qui a son centre d'usage et de perfection au-delà des frontières du pays ce n'est pas de ce nouvel Anacharsis que nous la recevrions volontiers, tout en concédant aux bouquetières d'Athènes le privilége de faire la leçon aux étrangers de Lesbos et des îles comme autrefois à Théophraste. Qu'on avoue d'ailleurs que le procédé est assez étrange: rabaisser la moitié d'un peuple qui use d'une langue, pour encourager l'autre moitié à sauvegarder et à mieux cultiver la sienne.

Le docteur Helfferich revient de cette curieuse digression à son thème principal, le maintien de la nationalité flamande et de la langue qui en est réputée la condition. Il se plaint de ce que l'on n'ait pas créé dans ce but un grand foyer d'études scientifiques et littéraires, une université vraiment slamande, tandis que l'Université de Gand elle-même « est peuplée de Wallons. » Presque partout, selon lui, il y a mauvais vouloir et même conspiration: M. Bormans n'a pas trouvé d'auditeurs pour ses leçons sur les langues germaniques, et le docteur Wolf a dù fuir après quelques séances devant une sorte d'émeute. Cependant, si trop souvent le pouvoir a été faible et le public indifférent et ingrat, la persévérance de quelques hommes a suffi pour assurer aux provinces flamandes la jouissance de droits qu'on leur cût contestés sans raison : une rédaction officielle des lois en flamand, l'usage libre du flamand dans les tribunaux, la présence de linguistes et d'écrivains flamands trèspopulaires dans les rangs de l'Académie royale; ce sont-là des bienfaits et

des actes de justice que l'auteur allemand a dû enregistrer avec complaisance. Il lui restait la tâche de signaler une foule de journaux et de revues écrits en flamand pour réhabiliter d'anciens noms chers au pays, pour rappeler certains souvenirs d'histoire locale, pour discuter quelque point de linguistique, pour soumettre à l'opinion des essais de tous les genres de style dans la langue régénérée. M. Helfferich montre fort bien l'activité personnelle de Willems encourageant et soutenant toutes ces tentatives non moins par des exemples que par des conseils, et dominant jusqu'à son dernier jour la rivalité des écoles et des sociétés. Avec quel bonheur l'écrivain retrace en finissant les relations entamées par les associations de littérature flamande avec l'Allemagne littéraire, qui, soit dit en passant, n'a pas toujours répondu généreusement à tant d'hommages et de prévenances! Avec quelle joie il peint la fraternité qui s'est établie à l'occasion de plusieurs fêtes entre les sociétés lyriques des provinces flamandes et les chanteurs des provinces du Rhin!

La question de l'enseignement et la science, tel est le titre d'une espèce de rapport auquel le docteur Helfferich donne place dans son livre après avoir esquissé le mouvement flamand (p. 174-222). Commençant par montrer que c'est toujours sur le terrain de l'enseignement que les partis politiques se sont trouvés en lutte après leurs trèves, puis exposant à ce sujet quelle a été l'extension de l'enseignement librement organisé par le clergé, l'auteur en vient à rapporter ses propres jugements sur l'état de l'instruction en Belgique ses jugements, il faut s'y attendre, seront sévères, parce que l'instruction a réellement trop peu préoccupé nos hommes d'État; ils seront même absolus, parce que celui qui les a formulés s'est placé presque toujours invinciblement dans le cercle d'idées qui ont cours dans la savante Allemagne sur cette matière. Il nous semble qu'il y a lieu d'après cela d'expliquer et même de tempérer la sévérité de ses critiques, et de signaler ce que plusieurs de ses remarques peuvent avoir d'utile et d'applicable dans l'avenir. La lecture du travail de M. Helfferich serait certainement de quelque profit pour les personnes appelées à porter remède au mal.

Le docteur Helfferich constate d'abord que l'enseignement pris en général n'est pas en Belgique à la hauteur du siècle : c'est une première assertion que l'on devrait modifier en bonne justice, en tenant compte des vicissitudes politiques par lesquelles la Belgique a passé et des exigences que de grands pays peuvent seuls élever en matière d'instruction; il est incontestable que la majeure partie des populations doit avoir en quelque sorte contracté les habitudes d'une vie littéraire, pour que la nation se montre jalouse de progrès constants et de succès marqués dans sa culture intellectuelle. Notre auteur veut bien reconnaître que, depuis dix ans surtout, l'enseignement a été chez nous l'objet d'améliorations successives; mais il oppose l'état présent des écoles de tous les degrés au terme que la Belgique aurait facilement pu atteindre au bout de dix-huit années. C'est sous l'empire de ces idées

que M. Helfferich passe en revue l'organisation de l'enseignement primaire, l'état précaire de l'enseignement moyen qui n'est rien moins qu'organisé, et enfin la portée de l'enseignement supérieur dispensé dans les Universités. Le sort des écoles primaires tel que l'a réglé la loi de 1842, leurs subsides, leur double inspection et leurs livres, ce sont autant de points qui méritaient la sérieuse attention qu'il leur accorde. A propos des colléges et des établissements d'instruction moyenne, il est amené à parler des colléges des PP. Jésuites et de leurs méthodes, et il le fait dans des termes graves et pleins de sens. Le savant Allemand n'a pas poussé trop loin sa critique, en montrant l'insuffisance des efforts jusqu'ici tentés dans l'enseignement des humanités. Passant à l'étude des Universités de la Belgique, M. Helfferich affirme nettement << qu'elles ne répondent pas à leur mission, » et il explique son assertion en montrant la raison du fait dans la faiblesse des écoles moyennes. D'une part, les Universités ne reçoivent pas d'étudiants suffisamment instruits, aptes à de fortes études : d'autre part, aucun pouvoir n'a pris soin de stimuler le zèle de ceux qui sont appelés à remplir les chaires des Universités, par exemple au moyen de concours comme ceux qui sont établis en France pour les chaires de toute faculté. Privées d'étudiants capables et fort souvent de professeurs habiles, les Universités n'ont point pris l'initiative d'un mouvement intellectuel qu'elles auraient communiqué à tout le pays. La philosophie n'y a pas pris racine; une des causes de sa stérilité, selon le D' Helfferich, c'est qu'elle est séparée presque partout de la théologie et manque du secours de cette science.

Notre auteur fait ici une digression historique pour retracer les annales de l'ancienne Université de Louvain, l'existence temporaire des Facultés dans les années de l'empire français, et l'érection des trois Universités méridionales du royaume des Pays-Bas, si richement dotées et pourvues de quelques hommes de haute capacité; après avoir exposé succinctement les circonstances sous l'influence desquelles furent créées en 1834 les Universités libres de Bruxelles et de Louvain, et furent réorganisées en 1835 les Universités de l'État à Gand et à Liége, il revient à l'appréciation des résultats du haut enseignement. L'institution d'un jury central d'examen formé par les trois pouvoirs de l'État, a concouru à assurer la liberté des études, et en même temps à répandre dans la jeunesse universitaire des habitudes de travail qu'elle ne connaissait pas auparavant au même degré. Cependant si un grand nombre des récipiendaires emportent des Universités un matériel assez considérable de connaissances positives et pratiques, la plupart confient à une véritable routine le succès de leurs épreuves devant les jurys, et ils dédaignent toute idée de recherche et de progrès scientifique. La seule étude qui soit en possession de forces incontestables dans les Universités belges, c'est celle des sciences naturelles et des sciences exactes. L'enseignement du droit y manque généralement d'étendue et de profondeur; celui de

la philosophie et de l'histoire y est le plus souvent restreint et renfermé dans le même cercle de notions élémentaires; les études philologiques et littéraires y souffrent bien plus encore de la nécessité de réduire le programme des cours aux exigences annuelles des examens. Nous avons hâte de répéter que ces jugements si sévères du docteur Helfferich n'ont leur valeur pleine et entière que par rapport à l'état avancé des sciences et des lettres dans les écoles de l'Allemagne, mais qu'ils méritent d'être étudiés en vue de l'avenir des études en Belgique; ajoutons que l'auteur tient compte, d'autre part, des améliorations obtenues d'année en année et des efforts heureux de quelques hommes dans notre pays. Le critique berlinois, disons-le à sa louange, se plaît à rendre justice à tout le monde : il reconnaît que l'Université catholique de Louvain a soutenu noblement la concurrence des trois autres Universités, qu'elle a mérité la confiance des familles, parce qu'elle a revendiqué la mission de conserver leurs antiques croyances sans violenter la conscience de la jeunesse, et qu'elle s'est efforcée de maintenir dans la science les caractères d'unité et d'universalité qui ont souvent marqué les œuvres de l'esprit catholique.

En terminant cette section de son ouvrage, M. Helfferich devait jeter un coup d'œil sur la vie scientifique en dehors de l'enseignement universitaire ; il indique rapidement quel est le cercle d'action de nos associations savantes, et surtout de l'Académie royale des sciences, des lettres et des arts de Belgique; il mentionne nos principales revues, en constatant que le genre d'écrits qui y prédomine, c'est la littérature poétique qui a reçu le nom de belletristik en Allemagne. Parmi les travaux scientifiques dus à des hommes instruits de notre pays, l'auteur distingue surtout les travaux entrepris sur les sources ou sur de grandes époques de notre histoire nationale, comme les publications de la commission royale d'histoire et les ouvrages spéciaux des Gerlache, des Altmeyer, des Polain, des Borgnet, et dans une autre partie du domaine de la science, il cite plusieurs travaux approfondis, plusieurs dissertations originales sur la minéralogie, la géologie et l'anatomie.

Quand, dans un chapitre suivant, M. Helfferich aborde l'étude de l'art belge, il est non seulement fidèle historien, mais encore critique indépendant : seulement nous croyons qu'il ne s'est pas assez dégagé des opinions dominant actuellement dans sa patrie en matière d'art, pour juger les tendances particulières de la nouvelle école flamande. L'expression du sentiment religieux ne laisse sans doute que trop à désirer dans les œuvres si abondantes qu'a produites en ce genre le pinceau de nos peintres; mais il ne faudrait pas trop leur reprocher le mouvement et l'action qu'ils donnent à leurs personnages, en voulant les mettre en garde contre une affectation romanesque et contre les dangers des poses théâtrales. L'écrivain étranger veut bien admettre que les ouvrages de nos statuaires sont pleins de vie; mais il regrette que les artistes, en visant à un premier effet dramatique, aient laissé

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