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elle exercera une grande prépondérance. Puisse-t-elle en user avec une générosité et un respect de la dignité humaine dont elle" a/toujours fait preuve ! En résultat général, l'année 1849 a vu les modernes Vandales forcés de reculer et les défenseurs de la société reprendre du terrain; c'est beaucoup et il doit nous être permis d'en tirer d'heureux augures: mais il ne faut pas se flatter et s'endormir dans une trompeuse sécurité. Windischgraetz, Radetzki, Cavaignac, Changarnier ont vaincu les démagogues, mais ils auront vainement triomphé si la corruption des mœurs et des idées continue d'enfanter de nouveaux adeptes et de susciter des vengeurs aux vaincus. Voilà l'ennemi véritable et celui que les Gouvernements eux-mêmes ont élevé avec la plus impardonnable imprudence. S'ils reconnaissent leur erreur, s'ils travaillent à reconstituer la société sur ses véritables fondements, nous pouvons espérer un avenir heureux peu éloigné; mais s'ils persévèrent dans leur aveuglement, il est trop à craindre que de nouveaux cataclysmes ne viennent ravager l'Europe.

La Belgique a été providentiellement préservée. Ce n'est pas à dire que les mauvaises passions y soient inconnues et que les intelligences y soient encore intactes. Assez et trop d'efforts ont été faits pour pervertir les esprits. Nous avons vu récemment encore l'ambition et l'esprit de parti faire appel au fanatisme anti-religieux, et il n'y a pas longtemps qu'une souscription a été publiquement ouverte pour offrir une plume d'or à l'auteur d'un roman ordurier et socialiste. Des hommes que leur expérience des affaires auraient dû rendre plus circonspects, n'ont cessé d'attaquer la base la plus sûre de la morale et de l'ordre public. Mais les doctrines religieuses ont conservé trop d'influence pour que cette imprudence ait porté tous ses fruits, et leurs traditions ont maintenu dans les masses le respect des lois, de l'autorité et des droits de tous.

L'exemple de ce qui s'est passé a d'ailleurs exercé son action réparatrice. Le mouvement de retour à la modération et aux principes conservateurs est lent mais progressif, et l'opinion publique se dégage peu à peu des préjugés qui l'égaraient. Dans l'ordre matériel nous avons fait moins de chemin qu'on ne pouvait s'y attendre. L'année a été moins calamiteuse que la précédente, et une reprise s'est manifestée dans les affaires; mais nous avons simplement profité du bénéfice du temps, et nos efforts n'ont pas grande part à cette amélioration. Notre pouvoir législatif n'a pas même rétabli l'équilibre dans nos finances et après tant de pompeuses promesses, il vit au jour le jour, se tirant d'affaires au moyen de palliatifs. La réforme parlementaire a privé nos Chambres de plusieurs capacités éprouvées, et l'urne électorale de 1848 n'en a certes pas donné l'équivalent. D'un autre côté, le ministère oublie que les promesses engagent, ou ce qui est le plus apparent, il s'aperçoit que dire et faire sont deux. Nous reconnaissons cette vérité, et nous n'en refusons pas le bénéfice à nos gouvernants: mais ils devraient avoir au moins un plan arrêté, et ils nous font un peu trop attendre que la lumière se fasse. D. 0.

LA BELGIQUE DEVANT L'ALLEMAGNE.

BELGIEN in politischer, kirchlicher, pädagogischer und artistischer Beziehung.

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LA BELGIQUE étudiée dans la politique et la religion, dans l'instruction

et dans l'art. Par le Dr Adolphe HELFFERICH.

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Pforzheim, 1848,

Tout le monde sait chez nous que l'Allemagne a porté depuis plusieurs années un regard attentif sur la Belgique, et que ce ne sont pas seulement ses touristes et ses étudiants en voyage, mais encore ses publicistes et ses écrivains, qui ont payé leur tribut de sympathie à notre royaume naissant. Longtemps avant que ce recueil fût fondé, notre presse nationale avait recueilli soigneusement les témoignages, qu'un sentiment de justice dictait en notre faveur à des bouches étrangères. Nous ne croyons pas devoir remonter bien haut pour entretenir nos lecteurs de jugements et d'observations qui doivent les intéresser vivement, puisqu'ils touchent au présent et à l'avenir de notre patrie. Quelques-uns d'entre eux n'auront pas de peine à se rappeler les esquisses dans lesquelles M. Arendt faisait connaître à l'Allemagne la situation financière et politique de la Belgique au point de vue des intérêts allemands, les pages d'éloge que M. Thiersch consacrait à nos établissements d'instruction dans son grand ouvrage sur l'enseignement, ainsi que les lettres où le professeur Loebell communiquait ses réflexions de voyageur et d'historien après une excursion dans nos provinces. Nous ne pensons même pas devoir revenir sur des publications bien plus récentes, qui ont eu dans toute la Confédération germanique un retentissement considérable, celles de MM. Höfken et Kuranda : mettant à profit un séjour assez long dans notre pays, ces deux auteurs ont présenté à leurs compatriotes un tableau complet de notre vie intérieure et de notre existence politique; sujets autrichiens, ils ont con

tribué sans doute à éclairer le midi de l'Allemagne sur le véritable esprit de la Belgique que les hommes d'Etat de ces contrées avaient longtemps méconnu (1). M. Kuranda, après avoir résidé à Bruxelles, où il publiait un journal allemand (le Grenzbote), a composé en 1846 un livre intitulé la Belgique depuis sa Révolution. M. Gustave Höfken a surtout considéré la Belgique dans ses rapports avec le corps des États germaniques, en composant un ouvrage tout spécial sous le titre de Vlämisch Belgien, la Belgique flamande, (2 vol. 1847) : il a du moins retracé complétement tout ce que nos provinces du Nord ont tenté pour le maintien de leur caractère national dans la langue, dans les arts et dans les coutumes. Cet écrivain ne sera pas moins utile à son pays, en y faisant connaître exactement le point où est parvenu notre développement industriel. Député à l'Assemblée nationale de Francfort en 1848, il a été nommé en 1849 secrétaire (chef de cabinet) au ministère du commerce à Vienne, et il est devenu rédacteur du journal l'Austria, consacré à la discussion des intérêts matériels.

L'ouvrage auquel nous allons accorder une mention assez détaillée dans cette Revue, est d'une date plus récente que les précédents; il a été terminé après les événements de l'année 1848, et il offre par conséquent une plus grande nouveauté dans les vues et dans les faits eux-mêmes. La Belgique est déjà prise par le docteur A. Helfferich dans la position nouvelle et bien dessinée que lui a faite l'explosion du 24 février : interprète des opinions de l'Allemagne, l'auteur loue hautement la Belgique de l'attitude qu'elle a su garder à travers les derniers événements, qui à diverses reprises ont ébranlé le sol autour d'elle. Pour bien juger la valeur des jugements portés par le docteur Helfferich dans son livre, il est bon de savoir qu'il a observé le mouvement politique de la France et des Etats européens depuis de longues années, et qu'il a écrit à l'adresse des Allemands une série de lettres sur l'avènement de la république française (2). De même, il n'est pas sans importance de faire ici observer que M. Helfferich est attaché à l'Université de Berlin, et qu'il a déjà acquis en Allemagne quelque réputation par ses écrits philosophiques; que par conséquent, il était à même d'apprécier la situation intellectuelle de la Belgique d'accord avec les idées que les meilleurs esprits de son pays se font de la science et des progrès de l'instruction.

En signalant à l'attention du public instruit un travail récent consacré à la Belgique, nous n'entendons aucunement le donner comme un ensemble de vues toujours solides et toujours justes sur un pays que M. Helfferich n'a pu apprendre à connaître par un long séjour. Qu'on n'oublie pas que, sans témérité, chacun de nous peut se constituer juge des réflexions et des

(1) L'Autriche elle-même n'a pas balancé à demander dans les dernières semaines à la Belgique le secours de son expérience: elle nous a envoyé des jurisconsultes distingués avec mission d'étudier notre législation et l'organisation de nos tribunaux, en vue de la réforme judiciaire qui est projetée à Vienne.

(2) Deutsche Briefe aus Paris 1848.

vues d'un étranger, qui ne se soustrait que rarement à l'influence de sa propre nationalité et de ses croyances, quand il s'agit de juger une nation jalouse de son indépendance comme la nôtre. La Belgique est monarchique, mais non au degré où les publicistes de la cour de Berlin conçoivent la monarchie. La, Belgique a proclamé et assuré pour tous la liberté des cultes; mais la société belge est de cœur et de tradition une société catholique : ne sera-t-il pas plus d'une fois impossible à des penseurs de l'Allemagne protestante, même à des membres orthodoxes de l'église évangélique, de comprendre la perpétuité du Catholicisme en Belgique et son influence presque immédiate sur la plupart de ses institutions, comme sur ses arts et ses mœurs? Cette réserve une fois faite, on se rendrait aisément compte de certaines méprises dans les appréciations du docteur Helfferich, sans nier qu'elles soient dues aux recherches d'un esprit sérieux; on ne s'étonnerait pas de le voir juger la révolution de 1830 au point de vue de la diplomatie hollandaise ou russe, et la royauté constitutionnelle de Léopold d'après les intérêts de la dynastie des Hohenzollern; on ne s'étonnerait pas davantage de le voir mêler l'Église romaine à tous nos débats de politique intérieure, et substituer en certains cas des questions de tendance, aussi vieilles que l'ère même de la Réformation, à la discussion des faits, à l'exposé et au parallèle des intérêts de parti, à l'application de grands principes sociaux dans la Constitution nouvelle d'un peuple nouveau. Une autre espèce de réserve se présente ici naturellement, au sujet de méprises et même d'erreurs qui ont dû résulter quelquefois pour M. Helfferich de la manière dont il s'y est pris pour étudier la Belgique il lui aurait fallu une plus longue résidence dans le pays même pour faire un usage toujours intelligent des livres imprimés, des documents officiels que notre ministère n'a pas manqué de mettre à sa disposition. Ces sortes de documents ne prennent le plus souvent entre les mains d'observateurs étrangers d'autre valeur que celle d'une statistique, valeur latente qui réclame le secours d'une interprétation vivante.

Le travail du docteur Helfferich se prêterait bien à une traduction française sous le rapport de la clarté constante de la diction; cependant jugeraiton peut-être qu'il laisse à désirer dans sa forme, qu'il ne satisfait pas dans son plan à ce que son titre semble promettre. On y retrouve des aperçus détachés, des mémoires, qui ont vu le jour sous forme d'articles dans des recueils périodiques de l'Allemagne, tels que la Literarische Zeitung de Berlin mais l'ordonnance, l'unité d'un livre manque à l'œuvre dont nous allons nous occuper, et que le public belge est en droit de juger d'autant plus sévèrement qu'elle vient à la suite de publications remarquables faites en Allemagne sur le même sujet.

M. Helfferich décrit dans une première esquisse la ville de Bruxelles, le centre de notre vie politique et administrative; il représente les cafés, les réunions, les cercles, dans leur influence de chaque jour sur l'opinion, et en

étudiant des vicissitudes de la presse belge depuis la révolution, il montre l'ascendant exercé à tous les instants par le journalisme devenu une puissance dans notre état constitutionnel. L'auteur a mêlé à son examen des révélations plus ou moins fâcheuses sur quelques noms de la presse, sans songer sans doute qu'il s'agit de personnages vivants suffisamment jugés. Puis, c'est une suite de tableaux historiques concernant l'État de la Belgique à diverses époques : le docteur Helfferich n'a pu méconnaître que le malheur du pays pendant bien des siècles a été de n'avoir pu obtenir des princes de son choix, d'avoir été privé de souverains indigènes; il trouve dans ce fait pour ainsi dire permanent la cause des révolutions continuelles d'un peuple que l'on a dit ingouvernable au congrès de Vienne. Il rappelle ce que fit la Belgique pour défendre des intérêts de province et ses libertés communales jusqu'à l'époque de Joseph II, en s'appuyant sur les recherches de M. Arendt insérées dans les Historische Taschenbücher de Raumer; l'examen des faits le conduit à avouer que la lutte de nos états provinciaux et de uos communes contre toute unité gouvernementale imposée par l'étranger, était une lutte nécessaire dont la force et la perpétuité même font honneur à l'esprit d'un peuple.

La révolution de 1788 occupe ensuite l'écrivain allemand, qui ne perd point de vue, dans ce coup d'œil historique, les droits acquis à la maison d'Autriche par les traités c'est pourquoi il raconte un peu ironiquement, en autant de traits détachés, les tentatives d'émancipation dues au clergé et à la noblesse, et il met quelque complaisance à attribuer à ce qu'il appelle le parti théocratique le plus haut degré de violence révolutionnaire. N'importe la nature de ses idées sur le droit d'insurrection, l'auteur eût bien fait de mettre à profit, au sujet de la révolution brabançonne, le dernier et principal ouvrage de M. Borgnet, l'Histoire des Belges à la fin du 18° siècle (1844, 2 v. in-8°); il ne semble pas qu'il l'ait connu et consulté.

Il n'est pas moins curieux de lire les aperçus du docteur Helfferich sur la Belgique pendant la domination hollandaise (pp. 32-75). Il expose, sans les affaiblir, sans les révoquer eu doute, les causes de division et d'inimitié qui devaient amener tôt ou tard la séparation des deux peuples unis subitement par la diplomatie du Nord. Il passe en revue ces causes diverses: langue, intérêts différents du commerce et de l'industrie, religion, caractère et mœurs; il caractérise très-bien les habitudes et l'humeur opposées des deux nations rien que par l'aspect de leurs villes et de leurs bourgs. M. Helfferich n'a pas pris garde, en touchant à la grave question des croyances, de tenir compte de l'esprit particulier du Protestantisme en Hollande; il aurait dù le peindre sévère, défiant, haineux, persécuteur, pour que l'on jugeât de l'impression que les seules tendances du Gouvernement de Guillaume Ier ont produites sur toutes les classes de la société belge en un mot, quoiqu'appartenant à l'Allemagne évangélique, il était tenu à signaler l'attitude menaçante de la Hollande

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