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COUP-D'OEIL SUR L'ANNÉE 1849.

31 décembre 1849.

Encore quelques heures, et l'année 1849 ne comptera plus que dans le temps écoulé. La journée de demain commence une année nouvelle et probablement fort importante dans notre vie sociale. Répondra-t-elle aux vœux des hommes d'ordre? S'achèvera-t-elle en nous laissant dans notre état précaire, ou nous amènera-t-elle de nouvelles complications? Qui tenterait de résoudre cette question? Heureux ceux auxquels l'âge n'a pas encore ôté les illusions de la jeunesse! A cette époque fortunée de la vie, le malheur paraît anormal et l'avenir se montre toujours richement pourvu d'espérance. Avec le temps, on se détrompe et l'on finit par s'apercevoir qu'il est peu d'années heureuses comme il est peu de jours entièrement purs et sereins.

L'année 1849 a été moins sinistre que la précédente, et si la situation européenne est encore dans un état critique et violent, nous avons cependant des actions de grâces à rendre à la divine Providence. Loin d'avoir fait de nouveaux progrès, l'anarchie a été comprimée, et c'est beaucoup car souvent il suffit d'un temps d'arrêt pour donner aux honnêtes gens la faculté de se reconnaître; mais la malheureuse Europe est encore bien loin d'avoir écarté les dangers où l'ont placée les désastreux événements de 1848.

Jetons d'abord les yeux sur la France, où l'ouragan révolutionnaire a pris son point de départ. Les républicains modérés ont commis une faute énorme. Pour se venger de leur échec dans l'élection présidentielle, ils ont favorisé,

au moins par leur inaction, les succès électoraux de la république rouge. «Ils se sont vengés partiellement, disions-nous (page 144) des vainqueurs » du 10 décembre; ils leur ont créé de graves embarras en laissant surgir >> au Parlement une minorité trop forte pour ne pas être un constant obstacle; >>> mais ils ont agi au détriment de leur cause commune et fortifié des enneL'événement ne nous a, >> mis dont ils seraient les premières victimes. >> certes, pas démentis. Les scandales de l'Assemblée législative sont une honte pour la France et une difficulté incessante pour ses représentants. Un danger plus grave encore et plus immédiat s'est manifesté. A peine le nouveau corps législatif était-il en fonctions, et déjà les vaincus de juin 1848 relevaient la tête et se croyaient assez forts pour en appeler à l'émeute. Heureusement, l'énergie n'a pas fait défaut aux chefs, et l'armée s'est montrée dévouée. Ce qu'il y a d'assez rassurant pour le moment, c'est que l'opinion s'écarte tous les jours davantage des auteurs du pitoyable état de ce pays : mais les masses sont activement travaillées, et jusqu'ici nous ne trouvons guères d'autre sauvegarde contre ce danger que la force matérielle.

La France a vu son état s'améliorer, mais elle est cruellement déchue dans sa prospérité et dans son influence extérieure, et elle se trouve toujours en présence des mêmes périls. Nous ne savons guères si le nouveau tuteur qu'elle s'est donné est homme à recommencer avec succès le rôle échu à son oncle après les saturnales de la révolution. Il invoque assez volontiers les souvenirs du consulat, mais il lui est plus difficile d'y conformer son action. On ne peut lui refuser le mérite qui s'attache à d'assez grands services rendus à l'ordre, mais ses coups de tête et la manière dont a été conduite l'expédition de Rome, plus heureuse dans ses résultats que dans sa combinaison, rappellent trop l'auteur des équipées de Strasbourg et de Boulogne. On ne serait pas médiocrement embarrassé s'il fallait définir le caractère de sa politique : ce qu'il y a de plus clair, c'est qu'il veut être l'âme de son Gouvernement; et ce crime de Louis-Philippe est, à ce qu'il paraît, très-facilement pardonné à son successeur. Ne nous en étonnons pas trop la France en a peut-être assez du Gouvernement parlementaire, et il est permis de douter que ce pays puisse le supporter. Le Gouvernement personnel du chef de l'Etat, mu par une même pensée et mis à l'abri des intrigues et des rivalités, peut devenir le salut de la France, comme il le fut après le 18 brumaire mais cette tradition napoléonienne devrait être rappelée tout entière, et nous ne voyons jusqu'à présent dans ce qui se passe à Paris qu'une assez médiocre contrefaçon. Napoléon s'est fait l'arbitre des destinées de la France; mais il avait révélé un génie égal à sa tâche, et il se présentait entouré de tout ce que la guerre, la politique et l'administration avaient formé d'hommes des plus illustres et des plus estimés. LouisNapoléon ne nous a pas encore appris s'il a recueilli dans l'héritage de son oncle autre chose qu'un nom, et il a eu la malencontreuse idée de faire appel

à des hommes fort honorables sans doute, mais aussi peu capables de le séconder que de l'offusquer.

La conduite de la représentation nationale laisse aussi beaucoup à désirer: assez unie contre les rouges, elle se fractionne en nuances qui n'ont, sur tout autre point, ni le même but ni les mêmes moyens. L'union des honnêtes gens est encore à l'état de ligue temporaire, tandis qu'elle devrait constituer un parti national et réparateur. Aussi la France, malgré le bienfait d'une année plus propice, ne saurait lire encore dans l'avenir, et elle est condamnée à trembler peut-être longtemps pour son sort.

L'Italie n'a trouvé que le bras de l'étranger pour la tirer du précipice où l'avait entraînée la folie de quelques-uns de ses enfants et la lâcheté des autres. Il faut toutefois mentionner honorablement le royaume de Naples. Le Roi Ferdinand s'est montré prudent dans ses concessions, énergique dans la résistance, et son peuple l'a noblement secondé. La Toscane avait d'abord commis la faute d'abandonner le grand-duc aux prises avec l'insurrection ; mais elle n'a pas tardé à reconnaître quel prince elle avait perdu et quels maîtres elle subissait. Bientôt elle a lavé la honte d'une première surprise et le soulèvement unanime des populations a fait prompte et bonne justice des tribuns.

Rome, qui avait donné l'exemple de la faiblesse, n'a pas eu l'énergie subséquente de la Toscane. Peu de souverains ont été payés d'autant d'ingratitude que Pie IX. Il avait donné de lui-même à ses sujets des institutions qui devaient les contenter. Il avait accordé successivement à d'insatiables exigences toutes les concessions qui n'étaient pas essentiellement incompatibles avec la souveraineté pontificale. Il a peut-être été fort loin dans cette voie et donné à son peuple plus de liberté que n'en comportait son éducation politique. La récompense qu'il a reçue sera pour les Romains un long opprobre. Quand Pie IX s'arrête au point où la résistance devient un devoir, les hypocrites hosanna se changent en tolle, crucifige. Son ministre tombe assassiné, une horde de bandits envahit son palais, et lui-même est forcé de fuir un peuple ingrat ou indifférent. Parmi ces imbéciles Romains, nul n'a le courage de tenir à son poste contre l'émeute ou d'essayer de porter quelque secours au père de la patrie. Rome se courbe huit mois sous le joug le plus ignoble, el, délivrée, ose à peine saluer ses libérateurs.

Rome expie sévèrement sa lâcheté. Humiliée, opprimée, elle a dû trembler pour les monuments et les chefs-d'œuvre qui font sa gloire, et elle voit aujourd'hui ses finances détruites et l'œuvre de sa régénération à recommencer. Le présent est déplorable, et l'avenir frustrera sans doute bien des espérances autrefois légitimes. Avec toute sa magnanimité, ses bonnes intentions et ses lumières, Pie IX ne saurait détruire les conséquences des faits accomplis, et il est à craindre que Rome ne retrouve de longtemps la paix et la prospérité des jours de Grégoire XVI.

Au nord de l'Italie, les populations Lombardes soulevées contre l'Autriche, ont été également le jouet de ces intrigants qu'il vaut mieux avoir pour ennemis que pour amis. Charles-Albert, qui s'est dévoué pour leur cause, n'en a obtenu que de l'inertie, de l'ingratitude et des coups de fusil. Les voilà retombés sous la domination autrichienne; mais, après tout, mieux vaut Radetzky que Mazzini, et l'on peut espérer que le Gouvernement impérial, éclairé par l'expérience, satisfera les voeux légitimes de ces provinces.

Charles-Albert a cru trop légèrement à l'empire de la reconnaissance sur des hommes auxquels la royauté et l'ordre lui-même sont antipathiques. Il s'est mis à la tête du mouvement révolutionnaire, et, défait une première fois, il a de nouveau tenté le sort des armes. La postérité appréciera sans doute avec plus de calme que les contemporains l'injustice de son agression contre une puissance avec laquelle il était en paix, mais elle lui reconnaîtra certainement le mérite du courage. Sa dernière levée de boucliers, si funeste pour lui, n'était qu'un coup de désespoir, dont les chances étaient presque toutes défavorables; mais ce malheureux prince était débordé chez lui par un parti qui voulait jouer le sort de l'Italie. Ruine pour ruine, il a mieux aimé s'exposer aux balles de l'ennemi qu'aux pavés de sa capitale. Il a vainement compté sur les caprices de la fortune, et le dé ayant tourné contre lui, il est allé mourir loin de son pays abandonné à la générosité autrichienne, grâces à la folie des meneurs piémontais. Toutefois, la Providence paraît avoir pitié de ce peuple infortuné. Des Chambres composées d'hommes plus modérés et plus intelligents ont remplacé celles qui voulaient tout remettre en question. Le nouveau Roi n'a donc pas inutilement eu confiance dans son peuple, et pourra se livrer à la tâche difficile de guérir les plaies de ses États. En somme, l'Italie, violemment bouleversée par l'anarchie républicaine, est rendue à l'ordre; mais elle aura besoin d'un long temps pour réparer ses désastres moraux et matériels.

En Allemagne, l'effervescence révolutionnaire a gâté tout ce qui s'est tenté dans l'intérêt de l'unité ou de la véritable liberté de ce pays. Presque aucun État n'a échappé aux convulsions. A Vienne, dans le Palatinat, en Saxe, en Prusse, il a fallu recourir à la force du glaive, et la fidélité des troupes a seule préservé l'Europe centrale des horreurs d'une révolution dont 1793 n'aurait probablement offert que l'esquisse. Le danger est écarté pour le moment. L'ordre légal a repris son empire, et le Parlement de Francfort s'est séparé couvert de ridicule. Comme en Italie, les mouvements de 1848 n'ont produit que des ruines, et le travail d'organisation est tout entier à faire. Dieu sait ce qui résultera des efforts faits dans ce sens, mais rendus plus difficiles par l'ambition de la Prusse. Toujours est-il que l'Allemagne est au moins plus en mesure d'en profiter par le rétablissement de l'ordre, car l'anarchie qui la menaçait est incapable de rien édifier.

A Vienne, on a montré dans l'adversité cette fermeté de caractère et cette constance qui distinguent la nation autrichienne et son Gouvernement. Le cabinet impérial ne s'est pas laissé effrayer par denx guerres à soutenir, par une révolution à comprimer dans sa capitale, et par l'attitude hostile de Francfort. Il a fait face à tout, et a fini par sortir victorieux de cette lutte dangereuse. La pacification de la Hongrie est d'un immense intérêt pour la cause de l'ordre. Nous ne voulons pas nous rendre juges entre les Autrichiens et les Magyars. Peut-être tous les griefs allégués par ces derniers n'étaient pas sans quelque fondement: mais les Magyars avaient en tout cas gâté leur cause en se rendant les aveugles instruments des révolutionnaires de tous les pays, et notamment des Polonais. Malgré la juste compassion, due aux malheurs de la Pologne et aux infortunes de ses émigrés, il faut bien reconnaître qu'une trop grande partie des réfugiés polonais, aigris peut-être par l'adversité, mettent en tout pays leurs bras à la disposition du désordre et de l'anarchie. Ils marchent ainsi sur les traces de ceux qui ont perdu leur propre patrie et qui ont contribué à leur ruine commune, au moins autant que les armes de Paskewitz. Par cette conduite ils perdent et l'intérêt qu'ils avaient d'abord inspiré et ceux-là mêmes qui leur tendent la main. Sous leur influence la cause des Magyars avait pris un caractère autrement vaste que celui d'une querelle de peuple à peuple. La Hongrie était devenue un foyer de révolution qui devait embraser le Nord et l'Est de l'Europe. La Russie qui ne s'y est pas trompée, a combattu pour elle-même non moins que pour l'Autriche.

La malheureuse Suisse n'a pas obtenu de soulagement cette année. Elle gémit toujours sous une tyrannie ignoble et d'autant plus intolérable qu'elle prend impudemment le masque de la liberté. Chaque jour on doit craindre de la voir tomber des mains du radicalisme dans celles de la république rouge.

Deux puissances, l'Angleterre et la Russie, également respectées par la révolution, tiennent une conduite toute opposée. La première excite les passions populaires, la seconde arbore le drapeau de la résistance. Il est difficile de comprendre quel intérêt bien entendu peut engager l'Angleterre à faire alliance avec les brouillons de tous les pays. Le fait est qu'elle a été prise la main dans le sac en Suisse, il y a deux ans, et depuis, en Hongrie, à Rome, en Sicile. Espère-t-elle que le malheur d'autrui lui profitera en débit de denrées? Elle risque de s'y tromper. Ruiner les consommateurs n'est pas d'une bonne politique commerciale. D'un autre côté, le feu qu'elle alimente pourrait bien gagner certaines de ses possessions. La Russie se montre plus loyale et plus habile. Non seulement elle garantit son propre territoire, mais elle augmente son influence européenne. Les antipathies qu'elle inspirait cèdent peu à peu à la crainte des révolutions, et quand viendra le moment de reconstruire l'édifice, social partout ébranlé,

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