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L'État démocratique, dit Montesquieu, vit par la vertu comme les monarchies vivent par l'honneur, comme les despotismes vivent par la crainte. Or, avec quoi M. de Lamartine ou M. Cavaignac peuvent-ils faire de la vertu en France? Nous défions M. de Lamartine de nous répondre autre chose que des phrases.

Ce n'est pas tout écoutez encore Montesquieu :

« Le principe de la démocratie se corrompt, dit-il, non seulement lorsqu'on perd l'esprit d'égalité, mais encore quand on prend l'esprit d'égalité extrême, et que chacun veut être égal à ceux qu'il choisit pour lui commander. Pour lors, le peuple ne pouvant souffrir le pouvoir même qu'il confie, veut tout faire par lui-même, délibérer pour le Sénat, exécuter pour les magistrats et dépouiller tous les juges. Il ne peut plus y avoir de vertu dans la république. Le peuple veut faire les fonctions des magistrats; on ne les respecte donc plus. Les délibérations du Sénat n'ont plus de poids: on n'a donc plus d'égards pour les sénateurs et par conséquent pour les vieillards; que si l'on n'a pas du respect pour les vieillards, on n'en aura pas non plus pour les pères: les maris ne méritent pas plus de déférence, ni les maitres plus de soumission. Tout le monde parviendra à aimer ce libertinage; la gêne du commandement fatiguera, comme celle de l'obéissance; les femmes, les enfants, les esclaves n'auront plus de soumission pour personne. Il n'y aura plus de mœurs, plus d'amour de l'ordre, enfin plus de vertu.

» Le peuple tombe dans ce malheur, lorsque ceux à qui il se confie, voulant cacher leur propre corruption, cherchent à le corrompre. Pour qu'il ne voie pas leur ambition, ils ne lui parlent que de sa grandeur; pour qu'il n'aperçoive pas leur avarice, ils flattent sans cesse la sienne. » (Montesquieu, Esprit des Lois, livre VIII, chap. II.)

Or, entendez-vous, comprenez-vous bien tout ceci, M. de Lamartine? Comment donc encore une fois ferez-vous de la vertu, dans une nation dont les chefs en ont si peu ? Comment ferez-vous du respect dans une nation dont les meneurs ne respectent rien? Comment ferez-vous de l'égalité, une égalité convenable dans une nation où l'esprit d'égalité extrême est partout, où chacun se croit l'égal de celui qui est au sommet du sommet?

M. de Lamartine ne veut donc et ne cherche à réaliser qu'une chimère parfaitement impossible, parfaitement absurde, parfaitement inconciliable avec tous les précédents de la France, avec son esprit actuel, une chose qui n'est possible que pour l'immense orgueil, l'immense ambition de son égoïsme comme de son prétendu patriotisme.

Du reste, que M. de Lamartine cite une seule chose qu'il puisse faire en bien et qu'un Roi ne puisse pas faire. Qu'il cite une seule chose en mal qu'il puisse éviter et qu'un Roi ne puisse pas éviter.

Quand la révolution de février est venue, on aurait dit que tout allait être renouvelé. Tout est resté comme auparavant.

Ainsi on avait hurlé pendant vingt ans contre le traité de 1815. Le traité de 1815 est resté intact.

On avait hurlé pendant vingt ans contre l'alliance anglaise. On a baisé la pantoufle de Palmerston, et on s'est estimé très-heureux qu'il ait daigné la laisser baiser.

On avait hurlé pendant vingt ans contre les Gouvernements absolutistes. On n'a pu mériter un regard bienveillant du Czar qu'en lui faisant exhibition de la plus haute réputation militaire de notre temps, du général Lamoric.ère.

On avait hurlé pendant vingt ans contre la bureaucratie. La bureaucratie s'est pétrifiée plus que jamais dans la personne de quelques intrigants émérites.

On avait hurlé pendant vingt ans contre les sinécures et les sinécuristes. Il n'y a partout que des sinécures.

On avait hurlé pendant vingt ans contre le luxe des ambassadeurs. Aujourd'hui les ambassadeurs se moquent de représenter la France; ils n'ont qu'un souci, c'est de vivre rangés et d'empocher le plus d'écus possible, en attendant que la comédie finisse.

Enfin, dites-le donc, M. de Lamartine, quel est le bien que vous avez fait avec votre république ?

M. de Lamartine répondra ce que répondent tous les politiques de bas étage, que tout aurait marché autrement s'il avait été élu président. Mais nous le demandons non pas à sa conscience d'écrivain qui n'a aucune valeur, mais à sa conscience d'autrefois, à sa conscience de poëte, si M. de Lamartine avait été élevé aux honneurs supérieurs, aurait-il déchiré les traités de 1815? Comment aurait-il fait la guerre à toute l'Europe? Aurait-il rompu avec l'Angleterre, avec la Russie? Sur qui se serait-il appuyé? Aurait-il mis un terme à toutes les scélératesses bureaucratiques, à toutes les dilapidations du trésor public qui ont lieu depuis si longtemps au profit de quelques illustres paresseux ou de quelques illustres viveurs?

Eh bien non, M. de Lamartine n'aurait rien fait de tout cela. Il aurait fait la roue, comme tous les autres, et puis rien.

En vérité, c'était bien la peine de demonter 14 siècles de grandeur et de monarchie pour jucher au pouvoir M. de Lamartine et ses acolytes !

M. de Lamartine peut donc avoir une grande valeur de poëte, et quoi qu'il en dise, il n'est quelque chose que comme poëte. Il peut intéresser l'imagination quand il est convenu que ses histoires ne sont que des œuvres de poëte, et qu'il n'y a pas là un mot de vrai. Mais on peut et on doit le dire à haute et intelligible voix, pour que M. de Lamartine cesse enfin de berner l'esprit public, M. de Lamartine, comme théoricien, est la plus pauvre cervelle de notre époque. Comme homme politique, il est le dernier de tous.

Il n'y a pas longtemps, nous entendions pousser de grandes lamentations

de ce que M. de Lamartine n'avait plus de fortune, de ce qu'il était obligé de vendre sa terre de Milly, de ce qu'on ne proposait pas la plus légère souscription nationale pour le grand homme, de ce qu'il n'a pas même l'espoir de mourir sur ce coin de terre où il est né, et de trouver une tombe là où fut son berceau et où est la tombe de sa mère.

Voici ce que nous avons à répondre à toutes ces niaises pleurnicheries : M. de Lamartine est académicien et comme tel il touche 1500 à 2000 fr. Comme député il touche 25 fr. par jour.

Comme homme de génie, il peut gagner 50 fr. par mois régulièrement. De quoi se plaint M. de Lamartine? Est-ce qu'il n'y a pas des hommes avec mille fois plus de mérite qui n'ont pas cela ?

D'ailleurs, M. de Lamartine n'est-il pas avant tout un démocrate? Pourquoi donc aurait-il plus que les enfants du peuple, de ce peuple dont il est depuis février l'ami, le frère, le conseiller? Quelle nécessité y a-t-il que M. de Lamartine, qui a réduit à la misère tant de milliers de familles, soit plus riche que n'importe qui?

M. de Lamartine fait du sentiment avec le nom de sa mère mais si Madame de Lamartine se levait de sa tombe et voyait l'effroyable désordre où l'imagination de son fils a précipité son pays, pensez-vous qu'elle bénirait son fils?

M. de Lamartine se console de tout ce qui lui arrive aujourd'hui en disant qu'il n'a servi aucun parti, que s'il en avait servi un, ce parti racheterait un million de fois sa terre de Milly, qu'il a servi purement et simplement la philosophie et l'humanité. Mais quoi! vous avez servi l'humanité, et vous ne trouvez pas un seul homme intelligent qui vous accorde une sympathie ! vous avez servi la philosophie, et vous ne trouvez pas un seul philosophe qui n'ait pitié de vous et de vos guenilles oratoires!

Lamartine! ah! vous êtes un grand coupable, ou plutôt vous êtes un grand enfant !

A.

OBSERVATIONS SUR L'AGRICULTURE FLAMANDE,

Dans un rapport présenté au comité consultatif sur les affaires des Flandres, M. Henri Kervyn, ancien membre de la Chambre des Représentants, a porté de nouvelles lumières sur la question agricole, aujourd'hui si diversément controversée et si peu comprise par le plus grand nombre. Avec son talent habituel, avec cette lucidité que l'on rencontre dans tous ses écrits, M. H. Kervyn a fait la revue de chaque région agricole; il a porté son attention sur les moyens d'augmenter la fécondité du sol; la culture des racines, mieux combinée avec les assolements, mieux entendue et plus variée, a été indiquée presque à chaque page comme le point de départ de toute amélioration agricole.

Nous reproduisons ici de l'excellent travail de M. Kervyn les observations qui ont trait aux préoccupations générales, à la question du paupérisme.

<< Certains agronomes prédisent déjà que la petite culture doit disparaître du sol des Flandres et qu'on verra arriver le moment où les paysans à brouette tomberont dans la condition des simples prolétaires agricoles, comme les tisserands de toiles et de calicot. C'est une fatalité à laquelle ils n'échapperont pas par l'effet du divorce de l'industrie avec l'agriculture. On nous menace de l'organisation agricole de l'Angleterre. Mais je tiens ces craintes pour exagérées, parce que les causes qui ont favorisé en Angleterre la formation des grandes fermes n'existent pas chez nous. Nos lois civiles ont une tendance opposée. Nous n'avons en conséquence à lutter que contre

une perturbation industrielle, que des efforts persévérants peuvent conjurer. D'ailleurs, notre petite culture a traversé, sans trop de dommage, trois années d'une crise presque sans exemple.

Comme la terre, exploitée par les paysans à brouette, quelque bien cultivée qu'elle soit, offre encore bien des ressources, nous pouvons espérer qu'étant soutenus et encouragés, ils échapperont au naufrage commun. Ce résultat est de la plus haute importance pour la condition sociale des Flandres. Il est digne de remarque que, dans les cantons où les petites fermes constituent un des rouages de notre organisation agricole, la population n'a pas pris des développements excessifs; la mendicité et le vagabondage ne sont pas devenus un danger permanent, tandis que le contraire existe là où les exploitations sont plus étendues et n'ont pas, en l'absence d'une classe intermédiaire, d'autres ouvriers que les prolétaires agricoles. Il est inutile de m'appuyer sur des exemples; un simple raisonnement démontre cette thèse: l'excès de population est dû à des mariages inconsidérés : la prévoyance de l'avenir, les soucis pour le sort des enfants ne sont pas des freins assez puissants pour prémunir les ouvriers contre les dangers de ces unions. Chez l'homine, au contraire, qui a une certaine position, la crainte de décheoir est souvent un obstacle à un établissement précoce ou mal assuré. Il en résulte que l'axiome des économistes, qui proclament que l'accroissement de la population est en raison des moyens de subsistance, est controuvé dans sa généralité, et que la position des individus crée une foule d'exceptions d'un ordre moral qui modifient la marche du paupérisme.

Cette digression m'amène à dire qu'indépendamment des ressources industrielles qu'on recherche pour nos petits fermiers, il est important de ne pas négliger d'autre part tout ce qui peut améliorer leur culture.

Le rapport du comité provincial a d'abord indiqué, comme un bienfait pour cette culture, la formation de dépôts de guano, où les petits fermiers pourraient s'approvisionner successivement et par petites provisions compatibles avec leurs ressources. Cette idée n'est pas sans importance; elle a déjà reçu son application et devrait être exploitée par les comices agricoles.

Ce même rapport a préconisé la culture au moyen des vaches. Ceci est également en pratique, mais demande une extension nouvelle. On ne se rend pas compte de ce que coûte le labourage, le hersage, le plombage au rouleau, les différentes façons qu'exige le sol, aux petits fermiers qui, ne possédant pas d'attelages, doivent recourir à leurs voisins. Ce calcul est néanmoins facile à faire.

Supposons une petite ferme de 7 arpents. Chaque arpent coûtera 11 fr. pour un labour complet, c'est-à-dire, 77 fr. par an, indépendamment de la nourriture du conducteur et des animaux et du dommage qu'éprouve le petit cultivateur de n'avoir pas terminé ses travaux en temps convenable.

On peut donc dire que le travail des vaches sur une ferme de 7 arpents

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