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Vous, ou M. Grémieux, ou n'importe qui, proclamiez donc la souveraineté d'une incapacité manifeste, du moins au moment où vous proclamiez cette souveraineté !

M. de Lamartine répond que ce qui proclama la république, c'est le peuple. Mais quel peuple? Est-ce le vrai ou le faux? C'est le vrai, répond le chantre d'Elvire; mais ce qui est le vrai pour vous est le faux pour moi, pour nous, pour toute la France. Pourquoi donc auriez-vous raison contre moi, contre nous, contre toute la France?

« Le peuple, est-il dit, envoya à Paris l'Assemblée nationale. L'Assemblée nationale, au nom du peuple tout entier, ratifia, à l'unanimité, l'institution de la république. »>

Mais nous ne sommes pas d'accord sur la signification du mot peuple, le peuple peut donc envoyer, tant qu'il lui plaît, l'Assemblée nationale à Paris. Restera toujours la question de savoir si c'est le vrai peuple ou le faux peuple qui fait cet envoi.

D'un autre côté, l'Assemblée nationale, au nom du peuple entier, peut ratifier, tant qu'elle veut, l'institution de la république, l'éternelle question se reproduit Est-ce au nom du vrai ou du faux peuple que l'Assemblée nationale ratifie l'institution de la république? Et par cela même tout ce que dit M. de Lamartine est non avenu.

Quoi qu'on pense, il y a un fait certain, c'est que les élections de 1848 ne furent pas sincères, puisqu'il a été déclaré que 100,000 fr. avaient été accordés à je ne sais plus qui, pour les élections. Il y a un autre fait certain, c'est que les élections de 1849 ont mis à peu près à néant l'esprit de celles de 1848; et cependant celles-ci ont eu lieu, de par le suffrage universel, comme les autres.

Or, cela étant, est-ce le vrai peuple, est-ce le faux qui a élu en 1848? Si c'est le vrai, il n'y a pas de raison pour ne pas déclarer la guerre et au pré-sident actuel de la république et au ministère, etc., etc.; et alors M. de Lamartine doit enfourcher sa bête et se remettre en campagne. Si c'est le faux, le peuple n'avait aucun droit de voter la république; choisissez, M. de Lamartine.

Mais M. de Lamartine a ses raisons pour nouer ses sophismes plus étroitement que jamais. Si le peuple, en effet, a eu le droit d'envoyer à Paris une Assemblée nationale, et si l'Assemblée nationale a eu le droit de ratifier, à l'unanimité, l'institution de la république, le peuple, l'Assemblée nationale donnent une force encore « aux remercîments votés à M. de Lamartine et à ses amis qui remettaient la dictature et la patrie non ensanglantées dans les mains des représentants légitimes de la France. » Or, M. de Lamartine n'est pas fàché que l'histoire sache que la France lui a voté des remerciments, parce qu'étant dictateur, il n'a pas voulu ni verser le sang, à la façon de Sylla,

ni garder le pouvoir. Par malheur pour lui, M. de Lamartine ne voit pas qu'il élève sa plus grande gloire sur un fondement absolument ruineux.

Cependant, voici venir le moment solennel de ce premier Conseil adressé au Peuple, celui où M. de Lamartine va prouver qu'il n'y a que la république qui soit possible en France. Voyons comment il va procéder.

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« Le mot de la Providence, en 1848, dit M. de Lamartine, a été la république. »>

Il est curieux de voir avec quelle assurance M. de Lamartine fait parler la Providence. On dirait qu'il est à tu et à toi avec elle. En doutez-vous? Écoutez ce bavardage qui a l'air de signifier quelque chose:

« Les révolutions, dit le poëte, sont les grandes improvisations de Dieu par la bouche des hommes. >>

Or, comme c'est M. de Lamartine qui a le premier acclamé la république en France, il s'ensuit que c'est par M. de Lamartine que la Providence improvise dans notre époque.

<«< Maintenant, poursuit le poëte, la nation doit-elle pour quelques agita» tions momentanées et pour quelques difficultés temporaires accepter ou » recuser ce mot? C'est ce que je vais examiner avec vous, et ce sera là » mon conseil pour aujourd'hui. »

Remarquez-le, M. de Lamartine entend qu'il n'y ait que des agitations momentanées et quelques diflicultés temporaires, dans une révolution qui substitue une république à quatorze siècles de monarchie.

Mais voilà deux grandes années ou plutôt deux grands siècles que dure la république. Est-on plus tranquille aujourd'hui qu'au début de cette république? Y a-t-il en France un atôme qui soit sûr de son lendemain? Y a-t-il rien qui puisse donner une sécurité quelconque à l'avenir? Mettez de côté toutes les stupidités democratico-demagogico-socialistes qui ont troublé le cerveau de quelques femmes, qu'y a-t-il dans le bagage de M. de Lamartine? Zéro, zéro, toujours zéro, enveloppé de fumée, et quoi devient cette fumée? Toujours des transes, des frayeurs inexprimables, plus la misère partout. Et quand tout cela finira-t-il? Sans doute, quand M. de Lamartine sera président de la république. Eh bien, nous disons, nous, que c'est alors que les agitations recommenceront, et toujours, et toujours, et toujours, jusqu'à ce que la France soit encore ce que ne la veut pas M. de Lamartine, et ce qu'il faut pourtant bien qu'elle soit, sous peine de mort. Et M. de Lamartine ne voit que des agitations momentanées et quelques difficultés temporaires dans cette inévitable éternité de tortures et de malheurs! O pauvre homme, ô pauvre tête!

« Je suppose, continue l'oracle, que la France en majorité ne fut pas républicaine par goût le 24 février au soir, je dis que le lendemain la France dut être républicaine par raison. »

Ainsi j'ai aujourd'hui cent cinquante motifs pour penser qu'un homme politique n'est qu'un imposteur; je n'en ai aucun pour penser qu'il est honnête homme. N'importe, tournez la manivelle, et je devrai déclarer par raison que ce misérable est digne de mon estime. Voilà la logique de ce grand poutife de la démocratie française.

Mais M. de Lamartine ne se tient pas pour battu.

« Une nation, dit-il, est un homme ou plutôt une nation est un homme » multiplié par dix, vingt, trente millions d'individus. Il s'ensuit qu'une >> nation est faite comme un homme. Or, tout homme est doué par Dieu » d'une faculté qu'on appelle l'instinct de sa propre conservation. Il en est » de même d'une nation. Elle veut vivre en ordre, en paix et en sécurité. C'est » son instinct à elle, et cet instinct devient sa sagesse et sa politique, quand elle est arrivée comme la France, à un haut degré d'intelligence, de » prévoyance, d'expérience et d'organisation.

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M. de Lamartine, car nous ne voulons rien laisser passer, n'est encore ici qu'un sophiste et un homme de mauvaise foi.

Quoi! vous comparez une nation de trente millions d'individus à un homme! Évidemment, la comparaison est absurde, et nous n'en voulons d'autre preuve que vos propres paroles. Que disiez-vous en effet tout-à-l'heure? Le voici Vous disiez que le peuple avait besoin d'être instruit, qu'il lui fallait une bibliothèque, qu'il avait deux goûts dépravés, l'adulation et le mensonge; qu'il ne savait ni se connaître, ni se juger, ni se considérer, qu'il n'avait pas de sens moral, qu'il n'était pas encore digne de régner, mais que le jour où il en sera digne, il règnera, que vous vous sentiez, auprès de lui, etc., etc. Le peuple n'est donc pas un homme dans le sens où il vous plaît de l'entendre maintenant, dans le sens d'un être qui « regarde, écoute, palpe, prévoit, évite, combat autour de lui tout ce qui peut menacer son existence, qui défend sa vie par tous ses sens, se sert de ses yeux pour voir le danger, de ses pieds pour le fuir, de ses mains pour le repousser, de son intelligence pour le combattre, de sa prudence pour l'éloigner. » Ce peuple, que vous assimiliez tantôt à un de ces animaux féroces qui ne dévorent que ceux qui fuient ou qui tombent devant eux, n'est donc nullement cette France parvenue à un haut degré d'intelligence, de prévoyance, d'expérience et d'organisation.

Pourquoi donc présentez-vous le peuple d'une part comme une bête brute qu'il faut dresser, élever, façonner; et de l'autre, comme un type d'intelligence, de prévoyance etc.? Je vais vous le dire: parce que d'une part il vous faut une raison d'être à ces Conseils que vous donnez et que personne ne vous demande; parce que de l'autre, vous avez besoin de toute espèce de mensonges pour acclamer encore la république, pour rester éternel dans votre infaillibilité. Mais pensez-vous que qui que ce soit ait grand souci de

votre infaillibilité? Ne sait-on pas que le vent est moins mobile que votre imagination, que l'orgueil est moins orgueilleux que vous, que vous êtes tout ce qu'on peut rêver de plus fantasque, de plus bizarre, de plus nul en fait d'idées politiques?

Néanmoins, M. de Lamartine poursuit ce qu'il croit une argumentation formidable; et supposant que l'on se lasse de la république, il montre les malheurs inhérents à la quadruple alternative d'avoir ou Henri V, ou un d'Orléans, ou un empire, ou une république démocratique et sociale. Mais encore ici M. de Lamartine ne fait que confirmer ce que nous avons dit de sa faiblesse théorique.

M. de Lamartine ne voit que des inconvénients dans tout ce qui ne lui plaît pas et il les signale. Suppléons donc nous-mêmes à ce qu'il oublie.

M. de Lamartine n'accepte qu'une république représentative et démocratique. Suivant lui, « dépasser la république représentative et démocratique, c'est » précipiter le pays et la civilisation, tête baissée, dans des abimes plus pro>> fonds que ceux de 1793 et si profonds qu'ils n'ont pas été sondés jusqu'ici » Or, voyez ce qui se passe en France après les dernières élections. La Montagne est devenue de plus en plus rare, et positivement elle ne se soucie nullement ni de M. de Lamartine, ni de sa république représentative et démocratique. Les autres éléments de la Chambre, ce qu'on appelle les grands partis, méprisent encore plus la république représentative et démocratique, que M. de Lamartine ne méprise l'objet de leurs prédilections. La république représentative et démocratique ne convient qu'à deux ou trois grands maigres qui, ayant brûlé leurs vaisseaux sous le vent républicain, vivent comme des Tantales près d'un pouvoir qu'ils ont goûté et qui fuit d'autant plus loin de leurs lèvres que la France s'éclaire mieux sur les austères tripotages de leur austère charlatanisme. La république représentative et démocratique est donc une impossibilité manifeste aujourd'hui et ne saurait être que cela de plus en plus. Le dada de M. de Lamartine est donc infiniment plus chimérique que tout ce qui excite l'animadversion du poète.

Voilà pour la pratique. Examinons maintenant la chose, du côté de la théorie.

D'abord, étant donné au pays qui n'est républicain ni par nature ni par goût, les dernières élections et la composition de la Chambre actuelle le prouvent surabondamment, il est assez difficile de créer un Gouvernement républicain même représentatif, voilà pour les badauds, même démocratiques, voilà pour les fiévreux. Mais supposons que cette difficulté puisse encore être levée avec des escamotages, tours de gobelet, etc., etc., c'est donc à dire qu'il faudra, tous les trois ou quatre ans, changer de chef, modifier le personnel administratif et politique, tenter continuellement la fantaisie d'un homme, mettre la France dans une position qui ne sera normale que lors qu'elle sera près d'une révolution?

Mais supposons encore qu'il puisse en être d'une grande nation comme il en serait d'un État qui ne serait qu'une bicoque, de quel droit vous, M. de Lamartine, ou vous M. Cavaignac, ou vous, Monsieur, je ne sais qui, aspireriez-vous à être président de la république? Pourquoi seriez-vous Roi, et pourquoi ne serais-je qu'un sujet? Mais depuis longtemps, dit M. de Lamartine, je suis un grand homme; l'Orient et l'Occident, le Nord et le Midi se disputent mes chefs-d'œuvre. Un grand homme! des chefs-d'œuvres! Faites un peu le tour du monde, et vous saurez ce que valent et le grand homme et vos chefs-d'œuvre. Mais je suis un orateur immense! Et moi je vous trouve un orateur prétentieux, matériel, plein de mots et vide d'idées. Vos titres sont donc non avenus. Et vous, général, vous comptez sur vos opinions parce qu'elles sont vieilles chez vous; mais faut-il mesurer la valeur des idées, des opinions à leur vieillesse chez certains hommes? Où en serionsnous, grand Dieu, s'il en était ainsi ?

D'ailleurs, dans un pays comme la France, dans un pays où tout le monde a de l'esprit, a du génie, pense-t-on que le premier venu ne se croie pas tout aussi apte que M. de Lamartine ou M. Cavaignac à tròner à l'Élysée ou aux Tuileries, à donner des bals ou des fêtes, à faire des discours d'apparat ou de protection, à singer le Roi sous le masque républicain? Or, voyezvous où mènent toutes ces prétentions, tous ces désirs plus ou moins insensés de pouvoir?

Supposons toutefois que la république représentative des badauds et la république démocratique des fiévreux, (on sait que ce n'est pas sans dessein que M. de Lamartine emploie ces deux mots,) soit acceptable, qu'arrivera-t-il si vous, M. de Lamartine, ou vous, M. Cavaignac, vous êtes élu une première fois, pensez-vous n'avoir aucun désir quand il s'agira de vous remplacer ? pensez-vous que vous allez tomber, de l'état d'hommes surexcités par toutes les convoitises, à l'état d'hommes pierres? Probablement non. Eh bien, admettons pour un instant que vous désiriez être continués dans les fonctions présidentielles, agirez-vous dans vos intérêts ou non? Que répondez-vous? Non. Vous mentez, Répondez-vous oui? Mais alors vous n'êtes plus que des intrigants hypocrites. Or, qu'aura gagné la France à être gouvernée par des intrigants, par des ombres de Rois plutôt que par des Rois ?

Mais supposons que, sans intrigue de votre part, vous soyez réélus une fois, deux fois, trois fois, etc., quelle différence y aura-t-il entre vous et des Rois légitimes, quant à l'exercice du pouvoir, quant aux faits? Évidemment

aucune.

Nous avons conquis un principe, direz-vous. Quel principe? Celui d'agiter la France jusques dans ses fondements, de remettre tout en question, tous les trois ou quatre hivers? Ici vous ne seriez que des scélérats.

Mais admettons encore que vous puissiez devenir des présidents à l'exclusion de tous les autres, quel est le principe qui nous garantira la république? Avec quoi la ferez-vous vivre?

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