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en abondance parce qu'elles ont à profusion des revues, des journaux, de la philosophie, etc. Évidemment si M. de Lamartine avait quelque portée dans l'esprit, il comprendrait que c'est précisément là cette opulence de misères intellectuelles de toute espèce qui est un fléau; il comprendrait que la philosophie, la littérature, les journaux, les revues, sont tout ce qu'on peut imaginer de plus faux dans notre époque; que là est la cause de toutes ces perturbations de tête et de cœur qui désolent la France et l'Europe. Si M. de Lamartine avait quelque portée dans l'esprit, il saurait que le catéchisme dont il semble tant dédaigner le contenu, vaut mieux, lui tout seul, que tout ce qu'il vante le plus.

A entendre M. de Lamartine, « il ne meurt que ce qui ne peut vivre au milieu de la superfluité de richesses dont nous regorgeons, c'est-à-dire, l'incapable ou l'indifférent. »

Eh bien! que M. de Lamartine renonce à sa pension d'académicien, qu'il renonce à son traitement de représentant et qu'il se réduise à ne vivre que de sa plume, nous défions M. de Lamartine de gagner sa vie.... Ne sait-on pas que, si on privait de leurs places et de leurs sinécures tous nos grands hommes, tous nos grands hommes livrés à eux-mêmes, aux imprimeurs et aux éditeurs mourraient de faim? Pourquoi donc mentir au public? pourquoi se mentir ainsi à soi-même? pourquoi jeter dans le public des forfanteries qui ne sont que des gasconnades? Demandez du reste à M. de Lamartine ce qu'il a gagné de fortune, depuis qu'il édite ses bouquins, lui qui a tant de valeur, tant de génie, une supériorité si vaste et si olympienne! Demandez à Rothschild combien de millions il a recueillis dans ses caisses pour M. de Lamartine devenu libraire, après avoir été le Jupiter du peuple!

On le voit, plus on marche sur M. de Lamartine, plus on le dépouille du clinquant des oripeaux dont il recouvre ses fantômes d'idées, plus il est vide, plus il est absurde; et ici nous n'exagérons rien nous ne sommes que juste.

Or, ce que nous venons d'écrire s'applique à M. de Lamartine en 1843 et en 1849, car ce que M. de Lamartine pensait en 1843, il s'honore de le penser en 1849. On voit donc que l'intelligence qui a le plus contribué à la révolution de février, est une des plus pauvres intelligences de notre temps, en dépit du vernis qu'elle doit à sa valeur de poëte.

M. de Lamartine pourtant ne se contente pas de rappeler des idées qu'il prétend avoir eues en 1843 et qu'il prétend avoir encore en 1849. Il veut dire encore au peuple comment il est arrivé à sa souveraineté, « lui qui n'est pas digne de régner; lui, qui le jour où il sera digne de régner, régnera » et pourquoi il est république. Il veut lui dire encore ce que c'est que la république, et quelle conduite il a à tenir pour la maintenir et la perfectionner. Et maintenant va commencer un récit, au No IV.

Déjà M. de Lamartine a rempli la partie théorique de son Premier Conseil de toute espèce de non sens, de toute espèce de contradictions; il n'y a pas

de ballon plus léger que la tête de M. de Lamartine. Le récit ne vaudra guère mieux que la théorie. Soyez-en sûr seulement il sera tout aussi mauvais que la théorie, pour d'autres motifs.

Quelle est en effet l'idée, la tendance générale de ce récit? Évidemment, c'est de faire une justification. Il faut donc que M. de Lamartine se justifie tant bien que mal.

Or, quel est le premier motif qu'allègue M. de Lamartine pour justifier sa coopération au renversement de Louis-Philippe? C'est le droit qu'avait la nation de concourir plus largement à la nomination des représentants et le refus du Roi de céder à ce droit. De là une tirade de M. de Lamartine contre le favoritisme, etc., etc.

Quant à nous, nous n'avons à défendre ni Louis-Philippe, ni les ministères de ce Roi. Ce que nous voulons ici, c'est de défendre la vérité contre tous les charlatans, grands ou petits, qui la déshonorent. Revenons par conséquent à M. de Lamartine.

«En dehors de deux cent mille électeurs, dit-il, exerçant seuls leur droit » de souveraineté représentative, tout le reste du peuple était privé du droit » de se faire représenter. Par conséquent, une faible partie du peuple fran» çais régnait avec le Roi et gouvernait avec les ministres. »

Or, est-il bien sûr qu'aujourd'hui le peuple français soit mieux représenté que sous Louis-Philippe? Est-il bien sûr que la Chambre soit l'image fidèle de la France? Est-il bien sûr que le mérite soit plus en évidence qu'auparavant?

Si je lis les journaux, je vois se réaliser ce que dit Montesquieu au commencement de son Esprit des Lois, à propos de l'époque de Cromwell : Partout en France on cherche de la démocratie, il n'y a partout que de la monarchie.

D'autre part, qu'est-il arrivé dans les élections? A-t-on eu égard au mérite plus qu'à la fortune et à la naissance ou à celles-ci plutôt qu'à l'autre? C'est toujours la fortune, la naissance qu'on a préférées partout. Les petits, les humbles n'ont pu arriver à la Chambre qu'en se déclarant socialistes.

Eh bien, M. de Lamartine, de bonne foi, si vous êtes capable de bonne foi, qu'avons-nous gagné ?

« Au fond, dit M. de Lamartine, la France n'est pas révolutionnaire, depuis qu'elle a conquis les grands principes et souffert les grandes calamités de sa première révolution, il y a cinquante ans. La France n'est pas même impatiente. >>

Quoi! la France n'est pas révolutionnaire, elle n'est pas impatiente; et vous, M. de Lamartine, vous l'avez lancée dans un mouvement révolutionnaire où c'est miracle si elle n'a pas été étranglée.

Quoi la France n'est pas même impatiente; et d'un même coup, vous

l'avez montrée à toute l'Europe, à tout l'univers, échevelée et sanglante, comme si elle n'avait qu'un seul dessein, celui d'égorger tous ses princes, toute son aristocratie, tout ce qu'elle possède d'honnête.

Quoi! vous convenez que la France a conquis ses grands principes; et depuis sept ou huit ans, vous lui jetez toute espèce de phrases déclamatoires pour enflammer son imagination et la pousser aux extrémités!

Comment jugeriez-vous, vous-même, la position d'un autre, si un autre, en donnant des conseils au peuple, avait le malheur d'écrire ce que vous copiez ?

M. de Lamartine qui semble avoir un remords à l'endroit de la duchesse d'Orléans, et qui semble n'écrire ce premier conseil que pour se disculper, va maintenant employer toute sa finesse, tout ce qu'il y a de renard dans le style et la pensée d'un sophiste, pour prouver au peuple qu'on ne pouvait rien faire de mieux que ce qu'on a fait; mais tout ce que dit, tout ce qu'écrit M. de Lamartine est plus déplorable encore que tout ce qu'il a dit, tout ce qu'il a écrit jusques-là. Ici M. de Lamartine fait pitié.

«La duchesse d'Orléans vint se présenter, dit-il, comme régente, à la » Chambre des Députés. Le peuple vainqueur y était entré avec elle. On > aimait généralement cette princesse innocente, malheureuse, veuve d'un prince qui promettait un homme supérieur. On l'aurait volontiers pro» clamée régente, si l'on n'avait écouté que son cœur. Mais il y a des >> moments dans la vie des hommes publics où il faut dominer son atten» drissement pour une femme, n'écouter que sa raison et ne s'attendrir que » sur une nation. >>

Tout à l'heure M. de Lamartine, contrarié de n'avoir pas été élu président, trouvait le peuple à peu près stupide. Maintenant pour le besoin de la cause nouvelle qu'il veut plaider, il faut que le peuple soit tout autre. Cette fois le peuple est vainqueur, et le peuple vainqueur est entré à la Chambre des Députés, avec la duchesse d'Orléans. Or, puisque le peuple est vainqueur, la duchesse d'Orléans n'a qu'à partir. Mais qu'est-ce que ce peuple, M. de Lamartine? Je vais vous le dire, puisque vous l'oubliez. Ce peuple vainqueur qui règne à la Chambre des Députés, au moment où la duchesse d'Orléans s'y présente, c'est l'écume de Paris, l'écume de la France, l'écume de toutes les nations; c'est cette armée de bandits qui grouille partout, dès que les ambitieux qui n'ont rien à perdre, leur font signe. Ce peuple vainqueur, c'étaient ces assassins qui ont failli vous poiguarder vous-même; ce peuple vainqueur, ce sont ces misérables dont vous aviez peur; et qui sait si ce n'est pas la peur, quelque brave que vous disiez être, qui vous inspira ces atroces paroles dans ce jour qui restera le plus laid de toute votre existence, même de toute votre existence de démocrate, vous le sentez bien vous-même? Et vous parlez du peuple vainqueur, en même temps que de la

duchesse d'Orléans! Je ne sache pas, quant à moi, qu'on ait jamais prostitué le nom de vainqueur à une vermine plus hideuse.

M. de Lamartine qui sent ce qu'il y a de honteux dans cette orgie de bagne, se met à entourer le nom de la duchesse d'Orléans d'une foule d'épithètes. Il fait pour cette princesse ce que font les écoliers quant ils ont à peindre l'aurore ou quelque magnifique scène de la nature. Il cherche tout ce qu'il pense devoir aller droit au cœur et à l'esprit de cette noble jeune femme : il appelle le duc d'Orléans un homme qui promettait d'être un homme supérieur. Il assure qu'on aurait volontiers proclamé régente l'illustre veuve, si on n'avait écouté que son cœur. Mais comme tout cela est niais, comme tout cela est pauvre aujourd'hui !

M. de Lamartine pourtant tient à prouver que ce qu'il a fait, il devait le faire; et alors il appelle à lui un escadron d'arguments. Mais savez-vous à quoi ils ressemblent ces arguments? Le voici :

Supposons que quatre on cinq chenapans mettent le feu à une maison. Que faire, dirait M. de Lamartine? La maison brûle; elle est brûlée, il n'y a plus moyen de la sauver.

Que faire, M. de Lamartine? mais il ne fallait pas y mettre le feu. Voilà tout. Or, pourquoi avez-vous mis le feu à la France? quel avantage en a-t-elle retiré?

Dites plutôt un meá culpâ, M. de Lamartine; dites un meâ culpá éternel; et ne songez pas à rhabiller des guenilles de raisons dont chacun fait justice. M. de Lamartine déploie toutes ses ressources pour persuader que la régence était impossible. On voit que c'est là le point qui le préoccupe. Je ne serais pas étonné qu'il eut écrit ce Conseil au Peuple pour se faire le courtisan de ceux qu'il a contribué à chasser. Mais personne ne croira M. de Lamartine; et ce n'est là qu'un châtiment parfaitement légitime.

M. de Lamartine rappelle que le lendemain du jour où lui et ses grands hommes qui l'entouraient eurent proclamé « la république, le droit suprême du peuple, les hommes de faction et de violence voulurent leur imposer une autre république, une république de parti, de vengeance, — d'expropriation et de sang, avec le drapeau rouge. » Il rappelle que le Gouvernement, le Gouvernement ici, c'est M. de Lamartine, présenta sa poitrine et résista.

Mais de quel droit M. de Lamartine et ses amis auraient-ils tenu, seuls, les ficelles du drame républicain qu'on jouait? Est-ce que M. de Lamartine vaut plus et mieux que Barbès pour la générosité, l'aspiration chevaleresque? Est-ce que politiquement, il vaut plus et mieux que Louis Blanc et Raspail? Est-ce que logiquement, il vaut mieux que Proudhon? Pourquoi donc M. de Lamartine se serait-il eru l'archange de la république? Barbès, Blanc, Raspail, Proudhon avaient raison de ne pas vouloir laisser la république entre les maius d'un poëte, d'un avocat et d'un astronome: la logique leur donne pleinement

raison contre ceux-ci. Quand on a dépassé la première borne du royaume de l'absurde, il faut marcher, toujours marcher jusqu'à ce qu'on tombe dans l'abime. M. de Lamartine donc n'était qu'absurde contre ses co-religionnaires politiques, et Dieu sait si ceux-ci lui ont épargné les gros mots.

M. de Lamartine, il est vrai, n'était pas fâché, au fond de sa vanité, d'avoir à opposer sa frêle poitrine à de vaines menaces. Ceci était un sujet de vignette dont l'imagination d'enfant du poëte était singulièrement affriandée. Il y a tant de misère dans l'orgueil! Mais on a toujours tort quand on est en lutte contre la logique; et encore une fois, il n'y avait aucune espèce de motif pour que M. de Lamartine ne cédât pas la place à ceux qui venaient après lui.

M. de Lamartine se vante d'avoir fait partie d'un Gouvernement qui décréta l'abolition de la peine de mort pour désarmer le crime et les passions politiques. Ici M. de Lamartine ne dit pas non plus la vérité : M. de Lamartine et consorts n'abolirent nullement la peine de mort pour désarmer le crime et les passions politiques : ils l'abolirent, parce qu'ils en eurent peur pour euxmêmes. M. de Lamartine et consorts, à défaut d'autre science, savaient au moins qu'il n'y a qu'un pas de la tête de Danton à celle de Robespierre, quand on fait tant que de s'échauffer la tête en France; et ils aimèrent autant couper court à certaines craintes.

Mais voilà ce qui les accuse encore davantage. De qui pouvaient-ils craindre la mort ou l'échafaud? Ce n'était pas du parti vaincu. Ils ne pouvaient la craindre que du parti vainqueur auquel ils avaient tracé la route. Abolir la peine de mort, c'était donc déclarer que les républicains qu'on précédait étaient capables de tout; et dès-lors pourquoi faire planche à de pareils hommes ? ou plutôt pourquoi coopérer à une révolution dont les instigateurs étaient implicitement déclarés capables de refaire les horreurs de 93 ?

Le vrai peuple, dit M. de Lamartine, était avec nous ! Il y a donc un vrai peuple et un faux peuple. Or, qui fixera les limites où s'arrête le vrai peuple et où commence le faux? Est-ce vous, M. de Lamartine? Est-ce parce que vous êtes un homme de génie? Mais les hommes de génie sont-ils infaillibles? Est-ce parce que vous êtes connu de toute la terre? Mais la raison se mesure-t-elle au bruit qu'on a fait, ou qu'on fait avec des journaux ou avec des livres qu'on a tambourinés soi-même avec ses écus dans toutes les capitales? La distinction entre le peuple vrai et le peuple faux est donc une véritable chimère, ajoutée à tant d'autres chimères écloses du cerveau de M. de Lamartine.

«La république, continue M. de Lamartine, proclama la souveraineté représentative du peuple. »

Mais qu'est-ce que la république représentative du peuple? Était-ce vous, ou M. Crémieux ? Quoi qu'il en soit, vous, ou M. Crémieux, proclamiez la souveraineté d'un être « qui, lorsqu'il sera digne de régner, régnera, » mais qui n'en est pas encore digne. C'est vous qui le dites, M. de Lamartine.

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