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Qu'est-ce ensuite, Monsieur de Lamartine? A la page 3, vous vous applaudissez que le peuple soit souverain; et à la page 4, vous dites que le peuple <«< ne vaut ni plus ni moins que les autres éléments de la nation. » Il y a ici, sans que vous vous en doutiez, plus qu'un sophisme: il y a ici un acte de malhonnête homme qu'il faut éclaircir.

Qu'entendez-vous par peuple? Est-ce tout le monde? Mais dans ce cas, pourquoi dites-vous que le peuple ne vaut ni plus ni moins que les autres éléments de la nation?

Entendiez-vous par peuple les hurleurs qui vous entouraient à l'hôtel de ville, lorsque vous visiez au Mirabeau, au Tiberius Gracchus, quand vous jouiez le mélodrame politique, pour que le lendemain on dit de vous dans les journaux que vous étiez le premier historien, ou le premier orateur politique des temps modernes ? Vous devez convenir dans ce cas que la souveraineté du peuple est une assez piteuse chose, et vous auriez alors à mettre un terme à la farce que vous donnez depuis 1848.

De deux choses l'une, en effet, ou le peuple est tout le monde ; et alors M. de Lamartine a tort de vouloir donner des conseils à tout le monde; ou le peuple n'est qu'une minorité, et alors M. de Lamartine n'est qu'un grand coupable, lui qui, pour favoriser une poignée d'égoïstes, a jeté dans l'inconnu le sort d'une grande nation.

Quel parti, prenez-vous, M. de Lamartine?

M. de Lamartine prétend qu'on a transporté dans la rue les vices des cours, à propos des flatteries qu'il suppose qu'on adresse au peuple.

Il y a ici une autre comédie qu'il faut démasquer, car M. de Lamartine est assez coupable pour qu'on ne l'épargne pas.

Si M. de Lamartine était une de ces natures austères qui aiment la simplicité pour elle-même et qui fuient l'ostentation, le faste, etc., M. de Lamartine aurait droit à quelque confiance, quand il parle des vices des cours. Mais examinons, ne serait-ce qu'un instant, la vie de M. de Lamartine.

Un jour, M. de Lamartine a une envie, celle de faire l'Alexandre ou le Châteaubriand. Que fait M. de Lamartine? Il frête un vaisseau pour lui tout seul. Il voyage en prince; il voyage en Roi. Sa Majesté Lamartinienne part pour l'Asie.

M. de Lamartine a envie d'avoir du monde dans ses salons: M. de Lamartine étale un faste qu'aurait envié Rothschild.

M. de Lamartine n'est devenu humble, il n'a cherché le peuple, il n'a été le plat valet du peuple que depuis le jour où d'innombrables billets ont été protestés.

Moi qui suis du peuple, je ne crois donc pas un mot de la vertu, de l'austérité de M. de Lamartine. Notre croyance est que M. de Lamartine ne dédaigne les cours, les princes, le faste et l'ostentation, que depuis qu'il est ruiné.

M. de Lamartine pourrait done épargner au peuple le profond déplaisir qu'inspirent certaines convictions.

Et voyez, en effet, s'il y eut jamais une vanité, un orgueil, une contradiction, pareille à celle de cet homme.

Tout à l'heure vous l'entendiez parler de la souveraineté du peuple. Savezvous ce qu'il dit maintenant aux multitudes, à ces multitudes qu'il appelle pourtant souveraines: « Comptez tant que vous voudrez; moi, je me sens. » Ainsi maintenant les multitudes ne sont plus rien; elles ne sont que de la misère, de la vermine intellectuelle; M. de Lamartine la dépasse de toute la hauteur qui sépare un homme qui se sent, d'êtres grossiers qui broûtent comme des animaux.

Tout d'un coup donc, M. de Lamartine s'élève d'une hauteur incommensurable au-dessus de l'être sans nom qu'il déclare le souverain: il est lui seul souverain du droit que donne une intelligence souveraine

Au droit qu'un esprit vaste et ferme en ses desseins,

A sur l'esprit grossier des vulgaires humains.

Mais d'autre part, le peuple est non seulement souverain chez lui; mais dans les songes de M. de Lamartine, la France est la souveraine de l'Europe, la souveraine du monde. Voyez-vous où ça mène M. de Lamartine, lui qui se sent, devant les multitudes ?

M. de Lamartine toutefois n'est pas seulement en contradiction manifeste avec lui-même sur le peuple d'un même coup il livre à tous les mépris ce fameux suffrage universel qui a servi à faire tant de dupes et qui en fera tant d'autres encore.

Cavaignac, Charras, lourdes culottes de peau, qui vous imaginez que tout le monde a le droit d'avoir une opinion en politique, vous vous feriez tuer, n'est-ce pas, pour le suffrage universel ? C'est le suffrage universel qui vous fait espérer à vous d'être président de la république, à vous d'être maréchal de France, car on sait ce que valent toutes les sornettes d'opinions dans certaines natures. Eh bien, réfléchissez sur les paroles de M. de Lamartine :

« Le peuple, dit-il, ne vaut ni plus ni moins que les autres éléments de » la nation. Le nombre n'y fait rien. Prenez un à un chacun des individus qui >> composent une foule, que trouvez-vous ? mêmes ignorances, mêmes erreurs, » mèmes passions, souvent mêmes vices qu'ailleurs. Y a-t-il là de quoi » s'agenouiller? Non. Multipliez tant que vous voudrez toutes ces ignorances, »tous ces vices, toutes ces passions, toutes ces misères par millions » d'hommes, vous n'aurez pas changé leur nature, vous n'aurez jamais » qu'une multitude. Laissons donc le nombre, et ne respectons que la » vérité. »

M. de Lamartine a peut-être sur le cœur qu'on lui ait préféré M. Bonaparte pour la présidence de la république; il a au fond de lui-même un immense mépris pour toutes ces brutes qu'il a pourtant appelées luimême au suffrage universel. Mais nous le demandons à tout honnête homme, nous le demandons à M. de Lamartine lui-même, est-il loyal de parler ainsi du peuple et de vivre encore du suffrage universel? Quant à nous, nous n'hésitons pas à répondre qu'il n'y a qu'une âme exécrablement perverse ou aveuglée qui puisse tant dédaigner le peuple d'un côté et tant l'élever, de l'autre. Ici est la honte, la honte éternelle du poëte qui s'est cru taillé pour être le chef d'un parti politique, d'un peuple, d'un continent, du monde entier !

« Quel beau commentaire de la Providence, ajoute l'écrivain, qu'un livre » quotidien ainsi écrit à l'usage des masses! et j'ajoute quel bienfait pour » le peuple et quel gage de sa future puissance mise ainsi dans sa main » avec un pareil livre! »>

Mais qui écrirait ce beau commentaire de la Providence? Nul autre sans donte que M. de Lamartine. Il n'y a que lui en effet qui puisse écrire un commentaire pareil. Or, voyez-vous le nouveau Moïse? Celui-ci n'a plus besoin de Dieu; il n'a qu'à s'écouter lui-même; il n'a qu'à parler ce qu'il pense, et qu'à écrire le tout, voyez-vous quel bienfait pour le peuple, etc.? Poursuivons:

<< Apprendre au peuple, par les faits, dit-il, par le dénouement, par le >> sens caché de ces grands drames historiques, où les hommes ne voient que >> les décorations et les acteurs, mais dont une main invisible combine le

plan; lui apprendre, dis-je, à se connaître, à se juger, à se modérer; le >> rendre capable de discerner ceux qui le servent, lui apprendre à juger les >> choses et les hommes; lui dire Pèse-les toi-même, non pas aux faux >> poids de tes passions du jour, de tes préjugés, de tes colères, de ta vanité >> nationale, de ton étroit patriotisme, mais au poids juste et vrai de la >> conscience universelle du genre humain et de l'utilité de l'acte qu'on te >> conseille pour la civilisation; le convaincre que l'histoire n'est pas un » hasard, une mêlée confuse d'hommes et de choses, mais une marche en » avant à travers les siècles, où chaque nationalité a son poste, son rôle, son >> action divine assignés; où chaque classe sociale elle-même a son impor>tance relative aux yeux de Dieu; enseigner par là au peuple à se respecter >> lui-même et à participer, pour ainsi dire religieusement avec conscience » de ce qu'il fait, à l'accomplissement progressif des grands desseins de la >> Providence; en un mot, lui créer un sens moral et exercer ce sens moral » sur tous ses règnes, sur tous ses grands hommes et sur lui-même, j'ose >> dire que c'est là donner au peuple bien plus que l'empire, bien plus que le » pouvoir, bien plus que le Gouvernement; c'est lui donner la conscience,

» le jugement et la souveraineté de lui-même, c'est le mettre au-dessus de >> tous les Gouvernements. Le jour où il sera digne, en effet, de régner, il » régnera, et peu importe alors sous quelle forme et sous quel nom. »>

Ne le perdons jamais de vue, « le peuple est souverain; à titre de souve» rain, il règne par ses votes et par ses lois qu'il se fait à lui-même. » C'est M. de Lamartine qui le dit en commençant son Premier Conseil. Or, d'après le nouveau passage que nous venons de citer:

Le peuple ne sait rien des drames historiques,

Il ne se connaît pas,

Il ne sait ni se juger ni se modérer,

Il ne sait distinguer ni les choses ni les hommes,

Il les pèse aux faux poids de ses passions, de ses préjugés, de ses colères, de sa vanité nationale, de son étroit patriotisme,

Il ne se respecte pas lui-même,

Il n'a pas de sens moral,

Il n'a ni la conscience, ni le jugement, ni la souveraineté de lui-même. Et vous osez dire que ce peuple que voilà est souverain, doit être souverain! Vous n'admettriez pas chez vous un homme qui aurait les défauts que vous reprochez au peuple; et c'est vous qui avez le plus contribué à mettre le peuple sur le pavois! C'est vous qui l'y maintenez au nom de la république !

Vous avez remué la France jusques dans ses fondements, au nom du peuple; vous avez failli la faire disparaître de la carte des nations, au nom du peuple; et c'est ainsi que vous traitez votre souverain!

M. de Lamartine veut ensuite apprendre les faits, les dénouements, le sens caché des grands drames historiques. Mais sait-il lui-même ce qu'il a la prétention d'enseigner ?

Il veut apprendre au peuple à se connaître. Mais M. de Lamartine se connaît-il ?

Il veut apprendre au peuple à se juger. Mais M. de Lamartine sait-il se juger?

Il veut apprendre au peuple à se modérer. Mais M. de Lamartine sait-il se modérer ?

Il veut apprendre au peuple à se respecter. Mais M. de Lamartine sait-il se respecter ?

Il veut créer un sens moral au peuple. Mais M. de Lamartine a-t-il un sens moral, lui qui adore le peuple d'une part et qui le traîne dans la fange, de l'autre?

M. de Lamartine ajoute que le peuple régnera, le jour où il sera digne de régner. Le peuple n'était donc pas digne de régner le 24 février; pourquoi donc l'avez-vous investi du droit de régner ce jour-là, et pourquoi donc lui conservez-vous ce droit-là? Pourquoi donc, avant tout, ne montez-vous pas

aujourd'hui à la tribune pour crier à toute la France, à toute l'Europe, au monde entier, que vous avez trahi votre pays, que vous vous êtes trompé.

M. de Lamartine continue et jette négligemment cette phrase que le peuple régnera, le jour où il en sera digne, et peu importe alors sous quelle forme et sous quel nom.

Peu importe! Ce mot seul équivaut pour nous à toute une vie coupable. Quoi! voilà je ne sais combien d'années que vous courez après la république, après le Gouvernement du peuple, tout en déclarant vous-même que le peuple est stupide; c'est pour la république, pour le Gouvernement du peuple que vous avez mis votre pays à deux doigts de sa perte ! Et aujourd'hui vous ne tenez plus à la république peu vous importe sous quelle forme et sous quel nom régnera le peuple! Vous êtes bien criminel, M. de Lamartine.

« Les Gouvernements ne sont, après tout, continuez-vous, que le moule » où se jette la statue d'un peuple. »

Encore des bavardages. D'après vous, ce sont donc les peuples qui font les Gouvernements. Mais de votre aveu, le peuple n'est pas encore digne de régner. Pourquoi donc avez-vous fait la courte échelle, avec votre lyre, à quelques ambitieux? Est-ce que ces quelques ambitieux, vous en tête, étaient plus dignes de régner que le peuple?

« C'est le peuple, dites-vous, qu'il faut modifier? » Mais avec quoi modifierez-vous le peuple? Est-ce à coups de sabre? Non, répondez-vous. Est-ce avec des idées? De quelles idées parlez-vous? Est-ce des idées de M. Louis Blanc ? Non. De M. Arago? Non. De M. Marie? Non. De M. Crémieux? Non. De M. Cavaignac? Non. De quelles idées parlez-vous donc? Des vôtres ? Estce que vous avez jamais eu autre chose que des mots et des cymbales dans la tête?

Sunt verba et voces, prætereaque nihil.

Voilà ce qu'il faudra graver sur votre tombe. Et vous voulez qu'avec des mots et des phrases, on modifie le peuple!

M. de Lamartine se plaît à faire contraster les grands moyens d'instruction que possède la classe aisée, avec la pénurie intellectuelle où est le peuple:

« Sciences, dit-il, philosophie, lettres humaines, politique, revues, journaux sans nombre, tout nous est versé à pleines coupes; et si ce n'est pas assez, des bibliothèques intarissables s'ouvrent pour nous. A un pareil régime, il ne meurt que ce qui ne peut pas vivre: l'incapable ou l'indifférent.

» Pour les enfants du peuple, au contraire, rien de tout cela.... Un catéchisme et des chansons, voilà leur régime. »>

Ainsi donc les classes élevées dont fait partie M. de Lamartine, ont tout

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