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facile à tromper comme les Rois! Mais s'il en est ainsi, et c'est vous qui le dites, est-ce qu'il est moins sûr de vivre dans un Gouvernement où l'on peut n'avoir à craindre que la faiblesse, la corruption d'un seul homme, que dans un Gouvernement où l'on peut avoir à craindre la faiblesse et la corruption de tous? D'après vos aveux, en quoi donc la république vaut-elle mieux que la monarchie? en quoi donc vaut-il mieux être exposé à trente-cinq millions de corruptions qu'à la corruption d'un seul ou de quelques-uns?

Vous craignez, dites-vous, les Dubois pour le peuple! Vous voulez des Fénélon. Mais qui m'assure que vous êtes un Fénélon? D'où venez-vous, où allez-vous ? Quels sont vos principes? Plus je vous tâte la tête, plus je la trouve illogique. Vous n'êtes qu'un instrument sonore, une cymbale retentissante. Vous n'avez que des mots à effet dans la bouche, des mots que vous cherchez chez vous, et que, avec la faiblesse de vouloir, vous donnez ailleurs comme des improvisations. Pourquoi aurais-je foi en vous? Quelle garantie positive me présentez-vous? Parlerez-vous de votre passé? je vous trouve en état de flagrante contradiction avec ce passé. Parlerez-vous de votre présent? je vous crois malade d'ambition. Parlerez-vous de vos livres? que m'importent vos livres et tout votre génie de poëte, à propos du Gouvernement de la France? Est-ce qu'on a jamais gouverné les hommes avec des lyres?

Vous parlez d'amis désintéressés du peuple? Mais est-il bien vrai que vous soyez désintéressé? Nul, quant aux principes, comme vous l'ètes, qui me certifie que vous n'avez pas sur le cœur la préférence donnée dans votre propre département à M. Rougeot, à M. Racouchot, que vous méprisez sans doute fort en vous même, mais qui probablement ont plus de bon sens que vous? Vous, désintéressé! vous qui avez été tout dans un moment où il fallait un nom pour masquer le hideux de certaines scènes; et qui, aujourd'hui, n'êtes rien! Quant à moi, je ne vous crois nullement désintéressé, et vous ne l'êtes pas.

J'ai donc de plus en plus le droit de me défier de vous; et pourtant vous me donnez des conseils.

« Nous nous préoccupions, dit M. de Lamartine, avant la république, de » la nécessité de faire des leçons écrites ou parlées de philosophie, d'histoire, » de politique à l'usage de l'immense partie du peuple qui a besoin de savoir >> et qui ne peut pas apprendre, des paysans surtout. »>

Évidemment, ici M. de Lamartine se vante.

M. de Lamartine peut très-bien improviser un discours, qu'il a travaillé pendant deux ou trois semaines chez lui, mais faire des leçons écrites ou parlées de philosophie, c'est autre chose; et je nie que M. de Lamartine soit en état de mener à bien ses préoccupations. Pour donner des leçons de philosophie, il faut la savoir; et positivement M. de Lamartine n'en sait pas un mot. Pour donner des leçons d'histoire, il faut l'avoir beaucoup étudiée

soi-même, et on sait que M. de Lamartine fait étudier l'histoire par ses secrétaires, quand il a besoin de savoir quelque événement. Pour savoir la politique, il faut l'avoir étudiée aussi, et M. de Lamartine ne l'a jamais étudiée de sa vie.

M. de Lamartine, sans doute, est bien capable de pérorer une ou deux fois par mois avec sa mémoire sur la philosophie, que lui chante sa vaporeuse imagination, sur l'histoire comme il la comprend dans ses Girondins, sur la politique comme il la rêve derrière quelques-uns de ces hommes de fer qu'il n'égalera jamais de sa vie, quelque louange qu'il prodigue à son courage. Mais enseigner la philosophie, l'histoire, la politique à qui que ce soit, M. de Lamartine n'a rien de ce qu'il faut pour une tâche pareille. M. de Lamartine n'est pas une nature en rapport avec ces sciences de granit il n'est fait que pour manier sa lyre et pour soupirer. Là est son rôle. En prendre un autre, c'est tenter l'impossible.

Ce qui prouve d'ailleurs que M. de Lamartine ne comprend pas ce qu'il dit, c'est le dernier mot qui termine la citation que nous rappelions tout à l'heure.

On comprend bien qu'on enseigne la philosophie, l'histoire et la politique à des jeunes gens ou à des hommes qui ont déjà l'initiation scientifique; qu'on l'enseigne, à plus forte raison, à des intelligences déjà longuement exercées. Mais enseigner la philosophie, l'histoire et la politique à des paysans, est une idée tellement saugrenue qu'elle ne peut être qu'une raillerie ou un acte de démence.

Et en effet, si les paysans ont à apprendre toutes les merveilles dont vous nous entretenez, qui donc soignera les champs, qui donc fera les moissons, qui donc enfermera dans les granges ces récoltes précieuses qui ont permis à tant d'imbéciles, de tant abuser de leurs loisirs?

Il vous est permis à vous qui ne vous doutez pas même de ce qu'est la philosophie, l'histoire, la politique, quoique vous soyez dans vos admirations le Mirabeau, le Démosthène, le Cicéron ou plutôt tout cela, plus vous-même, c'est-à-dire, le monde entier; il vous est permis de supposer qu'on peut verser, dans quelques cervelles, des solutions philosophiques, comme on verse du vin bleu dans certaines entrailles; mais le bon sens a plus de génie que vous; et le bon sens vous défend de jamais réaliser toutes les extravagances que vous nous débitez là.

On le voit, dès qu'on suit M. de Lamartine dans ses fantaisies intellectuelles, à chaque mot on peut l'arrêter; à chaque mot on peut lui demander compte de ses idées; à chaque mot, il est en faute; à chaque mot, il ouvre des abîmes dans des abimes, sans jamais avoir, quoi que ce soit, qui puisse supporter le moindre raisonnement.

M. de Lamartine pourtant ne borne pas là ses lubies. Or, savez-vous à quoi il a pensé? Savez-vous la découverte qu'il a faite ? Il a pensé, il a décou

vert qu'après avoir nivelé les droits, il faut niveler, autant que possible, les intelligences. Quoi! M. de Lamartine, les niveler, même la vôtre ! Vous qui êtes le premier philosophe, le premier historien, le premier politique, le premier des premiers entre les premiers, vous voulez que chacun soit ce que vous êtes! Il y a ici ou une immense ineptie, ou une immense mauvaise foi. Voulez-vous que ce soit de l'ineptie? pourquoi donc me donnez-vous des conseils ? Voulez-vous que ce soit de la mauvaise foi ? pourquoi donc voulez-vous que je m'en rapporte à vous? Si vous n'êtes pas franc une fois, qui me répond que vous ne devez pas être toujours suspect?

Vouloir niveler toutes les intelligences suffit à faire connaître un homme. Il n'y a jamais eu d'absurdité, de bourriquerie pareilles. Ces expressions ne sont peut-être pas très-académiques, mais il n'y a que ces mots-là qui puissent caractériser tous les abus, toutes les licences que se permet depuis deux ou trois ans la fièvre chaude politique de M. de Lamartine.

Vous voulez faire descendre l'instruction, en la vulgarisant, jusqu'à la portée des masses. Mais est-ce que jamais un homme sensé a eu l'idée de faire descendre l'instruction philosophique, historique, politique, jusqu'à la portée des masses? Est-ce que l'on n'a pas toujours cherché plutôt à élever les masses jusqu'à l'instruction?

Vous vous croyez né, c'est vrai, toujours en vertu de la prédilection, pourfaire des maisons, en mettant les fondements en haut, pour faire remonter leur pente aux fleuves, pour mettre le ciel en bas et la terre en haut. Mais tous vos dires ne prouvent qu'une chose; et cette chose ne tourne jamais à l'avantage de votre raison.

« Une encyclopédie populaire, dites-vous, serait une révolution pacifique >> accomplie. »><

Toujours des mots, et pas une idée. Qu'est-ce que cela veut dire une encyclopédie populaire ? Est-ce une instruction universelle, comme le comporte le mot encyclopédie? Mais le peuple, qu'a-t-il besoin de savoir la haute algèbre, la haute géométrie? De deux choses l'une, novateur, ou l'encyclopédie en question serait utile ou non. Or, si elle était utile, il n'y aurait plus un seul ouvrier dans votre pays. Si elle ne l'était pas, à quoi bon vos encyclopédies populaires?

« Inspiré par un sentiment de religieuse solidarité entre toutes les classes » de la nation, écrit avec la persuasive autorité de la bienveillance, ce livre » irait au cœur du peuple autant qu'à son esprit, »> dites-vous.

De plus fort en plus fort. En effet, pour qu'il y ait religieuse solidarité, il faut d'abord qu'il y ait une religion. Or, quelle est la religion que M. de Lamartine prendrait pour règle? Est-ce la religion catholique? M. de Lamartine est trop grand pour elle: elle est trop petite pour lui. Est-ce la religion mahométane? Non, car M. de Lamartine respecte les convenances. Est-ce la

religion naturelle? Non, car la religion naturelle était celle de Diderot, et M. de Lamartine n'imite personne son pied est assez cambré, pour cela, toujours d'après la prédiction. Quelle est donc la religion qui réglera la mise en œuvre de l'encyclopédie en question? Quoi! vous ne devincz pas; mais c'est la religion même que décrétera M. de Lamartine. Est-ce que M. de Lamartine est assez faible d'esprit pour se soumettre à une religion différente de celle qui doit sortir de son cerveau? Et voilà M. de Lamartine qui, après s'être cru le Jupiter de la politique moderne, se fait dieu.

Malheureusement, M. de Lamartine n'est encore qu'à moitié chemin. Ce n'est pas tout en effet d'être dieu et de laisser tomber une religion, des hauteurs de ses immensités; quand on parle de M. de Lamartine, il faut toujours dire immensité; il faut encore une religieuse solidarité dans toutes les classes de la nation. Besoin est donc que toutes les classes de la nation s'entendent sur la religion en question. Or, comment parviendra-t-on à ce résultat? Ne craignez pas que M. de Lamartine s'explique. M. de Lamartine ne s'explique jamais sur rien de pratique : il n'a que des mots et du vent dans la tête.

Il serait sans doute assez avantageux que toutes les classes de la nation vinssent à s'entendre sur la religion, sur le critérium religieux dicté d'en haut par M. de Lamartine M. de Lamartine aurait ainsi la chance de remplacer M. Napoléon; puis quand il serait ennuyé d'être président de la république, de faire ordonner son apothéose, quelque chose de ce qui arriva autrefois à Romulus, moins le poignard. Mais les peuples et surtout la France ont horreur de toute religion Lamartinienne; ils en ont horreur et dégoût. Comment donc M. de Lamartine s'y prendra-t-il pour son encyclopédie? Sauf meilleur avis, il est au moins douteux qu'il rencontre la religieuse solidarité qu'il cherche entre toutes les classes de la nation; et c'est ainsi que crêvent toutes les paroles enflées du nouveau député du Loiret, quand on sait trouver juste le point où doit se faire la jonction.

« Le peuple n'écoute que ceux qui l'aiment. >>

Dans ce cas, M. de Lamartine vous pouvez vous dispenser de donner des conseils aux peuples, car le peuple sait que

C'est vous qui l'avez fait mitrailler,

mourir de faim,

emprisonner,
ruiner,

déshonorer, non pas par votre méchanceté; mais en vous prêtant à toutes les singeries démocratiques qui ont régné sur la France, depuis près de deux ans, vous tenant l'échelle. La France se rappelait quelques-unes de vos strophes : elle pensait que le chantre d'Elvire et le magnifique amphytrion de la rue de l'Université, à une certaine époque, devait avoir quelque souci de lui-même. Elle avait en vous une foi qu'elle

refusait à ceux qui l'avaient surprise. C'est donc vous qui êtes responsable de toutes les calamités qui ont désolé votre pays; et l'histoire sera terrible pour vous; car vous n'avez été que ce que vous êtes, c'est-à-dire, un Érostrate politique.

Vous prétendez qu'on a trompé le peuple, qu'on s'en est servi à peu près comme d'un dogue qu'on demusèle, au profit de certaines ambitions, et que lorsque l'œuvre est faite, on lui dit : « Tais-toi, travaille et obéis. >>

« Voilà, ajoutez-vous, comment jusqu'à présent on a parlé au peuple : >> voilà comment on a transporté dans la rue les vices des cours et donné >> au peuple un tel goût d'adulation et un tel besoin de complaisances et de » caresses, qu'à l'exemple de certaines souverainetés du Bas-Empire, il n'a >> plus voulu qu'on lui parlât qu'à genoux. Ce n'est pas cela. Il faut lui » parler en face. Il ne vaut ni plus ni moins que les autres éléments de la » nation. La morale n'y fait rien. Prenez un à un chacun des individus qui >> composent une foule, que trouvez-vous? Mèmes ignorances, mêmes er»reurs, mêmes passions, mêmes vices qu'ailleurs. Y a-t-il là de quoi s'age>> nouiller? Non. Multipliez tant que vous voudrez toutes ces ignorances, » tous ces vices, toutes ces passions, toutes ces misères par millions d'hom>> mes, vous n'avez pas changé leur nature, vous n'aurez jamais qu'une >> multitude. Laissons donc le nombre et ne respectons que la vérité. »

Comment! au commencement de votre Premier Conseil, vous vous glorifiez d'être un partisan de la république, du suffrage universel, parce que, ditesvous, le suffrage universel, c'est la souveraineté du peuple mise à la place de la souveraineté d'un homme qu'on appelait Roi. Vous ajoutez aussitôt que le peuple est souverain. Et quelques lignes après, vous vous défiez encore du peuple, vous dites qu'il n'est qu'une agrégation d'ignorances, d'erreurs, de passions, de vices; qu'il n'y a pas là de quoi s'agenouiller, qu'il n'y a là qu'une multitude, qu'il faut laisser là le nombre et ne respecter que la vérité.

Nous savions bien ce que vous nous dites là, et nous le savions avant vous, mais vous qui rampez comme une chenille devant le peuple depuis trois ou quatre ans; vous qui ne voyez que souveraineté du peuple, ne rêvez que souveraineté du peuple, criez toujours et toujours à la souveraineté du peuple, vous n'avez aucune espèce de droit de parler comme vous le faites. Vous avez mis le peuple sur le premier plan: ce n'est pas à vous de l'en faire descendre. Vous devez l'écouter, le respecter, quoi qu'il fasse, quoi qu'il ordonne. Vous n'avez qu'un rôle à prendre, c'est de baisser la tête et de laisser passer la justice du peuple, comme vous disiez jadis. Que le peuple soit fou, qu'il soit stupide, vous devez vous taire et surtout vous n'avez aucune espèce de droit de le conseiller. D'après les principes que vous avez posés vous-même à l'hôtel de ville, vous n'êtes que le valet, le domestique du peuple, et il vous est éternellement défendu de prendre à son égard l'attitude d'un maître.

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