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Il est moins essentiel de voir vendre le pain à bon marché, que d'avoir les moyens de le gagner.

L'état souffrant de nos populations rurales prouve assez combien le Gouvernement s'exagère l'effet des mesures insuffisantes qui les concernent. Les débats de l'adresse nous montrent la même allusion dans ce qui a trait à l'industrie. Les organes de plusieurs industries du plus haut intérêt ont répondu par de vives doléances à cette description peu exacte de leur état. Si le ministère s'était moins hâté de trouver la situation « satisfaisante; » s'il s'était borné à dire que cette situation commençait à se relever, il aurait été dans le vrai et aurait fait plus d'honneur à sa perspicacité.

Il y a une dose par trop forte d'optimisme à trouver qu'une « amélioration sensible» se fasse remarquer dans les districts flamands qui ont eu le plus à souffrir. C'est prendre ses vœux pour des réalités. A Dieu ne plaise que nous versions dans l'erreur opposée! Il y a du mieux, mais si plusieurs des petites industries, introduites depuis quelques années, ont repris une certaine activité, la grande plaie du peuple flamand, le défaut de travail, paralyse toujours la masse des bras que jadis la fabrication de la toile à la main occupait fructueusement. Dans la plupart de nos communes rurales, le nombre des pauvres s'élève au tiers et au-delà de la population, et les charges locales qui en résultent deviennent un lourd fardeau. Si M. le ministre de l'intérieur veut en avoir la preuve, qu'il se fasse faire un relevé des budgets communaux et des sommes qui y figurent du chef de subsides aux bureaux de bienfaisance; qu'il veuille bien se rappeler en outre que, malgré ces subsides, ces administrations ne peuvent donner que du pain et de loin en loin quelques rares vêtements, sans qu'il reste rien pour la vieillesse et les infirmités, et il reconnaîtra bientôt que, nonobstant une légère amélioration due à des circonstances plus propices, il reste encore énormément à faire. Nous lui savons bon gré de ses intentions; elles sont les mêmes que celles de ses prédécesseurs; mais il importe qu'il ne se trompe pas sur la valeur des résultats obtenus.

Nous ne nous arrêtons pas à la révélation (bien tardive à coup sûr,) de l'aptitude et de l'énergie des Flamands, due à notre dernière exposition. Nous ne voyons dans cette malencontreuse expression qu'un lapsus calami, assez étrange, il est vrai, dans un document où chaque terme doit être pesé et subit un sextuple examen.

Le ministère se flatte encore quand il s'applaudit des effets de la réforme postale. L'expérience de l'Angleterre et même celle de la France, où l'on pourrait bien l'un de ces jours modifier la nouvelle réforme, nous font envisager ce système comme désastreux pour le trésor. Puisque notre opinion n'a pas triomphé, nous ne contestons pas la convenance à laisser à celle qui a prévalu le temps de produire ses résultats. Nous attendons les faits, et le Gouvernement aurait dû s'imposer la même circonspection.

Même erreur en ce qui concerne la nouvelle loi sur l'enseignement. Le ministère l'a emportée à coups de votes, et grâces à la pression exercée sur le Sénat; mais si l'on pèse les suffrages, si l'on fait attention que cette loi a soulevé de vives répugnances dans l'enseignement de l'État comme dans l'enseignement libre, parmi les élèves comme parmi les professeurs, on ne se hâtera pas de ratifier le satisfecit que le cabinet se décerne au moins trèsprématurément.

Nous avons été peinés de voir passer entièrement sous silence le fléau qui a si cruellement frappé notre pays, et qui a donné lieu à tant d'actes du plus noble et du plus saint dévouement. Après la première apparition de cette terrible épidémie, le Gouvernement a payé la dette de la reconnaissance publique par de justes éloges et par d'honorables récompenses. Pourquoi aujourd'hui que le choléra s'est montré plus fatal encore et succédant à une épidémie typhoïde de trois ans, le Gouvernement ne trouve-t-il pas même un je vous remercie à proférer ?

Le programme des travaux législatifs n'est pas très-étendu, mais les projets énumérés sont d'une utilité évidente. Comme nous n'en connaissons pas encore la teneur, nous nous bornerons à exprimer le vœu que les lois sur l'enseignement soient conçues dans un esprit plus élevé que celle de l'année dernière, et qu'il ne soit pas fait des concessions aux idées imprudentes du jour dans celles qui ont trait aux classes ouvrières. Nos remarques sur cette partie du discours du trône se borneront aux points qui n'y sont pas mentionnés.

D'abord, il n'est pas dit un mot de notre situation financière. La chose en valait la peine cependant, car cette partie de la gestion ministérielle est le plus en souffrance. Les économies se sont à peu près évanouies, et les recettes ont diminué tant par les imprudentes réductions de l'année dernière que par l'effet des événements politiques. Par quel moyen le Gouvernement se propose-t-il de rétablir l'équilibre? A-t-on encore à redouter le projet sur les successions? Pas un mot. Nous voyons seulement, par les débats parlementaires, que le ministre ne donne pas ou ne donne plus d'écoute aux utopistes qui voulaient faire main basse sur les impôts indirects, et nous l'en félicitons (1).

Notre belle et patriotique armée est toujours menacée, d'abord par ceux à qui elle fait obstacle, et puis, ce qui est plus dangereux, par les hommes à courte vue auxquels une sordide économie ôte la faculté de comprendre l'histoire contemporaine qui nous montre partout une bonne et fidèle armée comme le dernier boulevard de la société. On prêtait au ministère le projet de faire des sacrifices à ces obsessions. Rien ne nous éclaire à ce sujet.

(1) Depuis que cet article est écrit, nous avons eu connaissance des budgets des travaux publics et de la guerre, qui ont subi quelques réductions.

Le ministère ne touche pas à nos relations commerciales. Que sont devenues les négociations ouvertes dans le temps avec diverses puissances et dont on nous entretenait il y a deux ans? Peut-être les troubles européens y ont mis obstacle, mais les bonnes dispositions montrées par la Hollande depuis dix-huit mois, permettaient d'espérer de ce côté un traité favorable aux deux nations. Y a-t-on songé?

Il ne paraît plus être question de la société d'exportation si vivement attendue et si souvent promise.

Le ministère est muet sur les projets concernant les Flandres. Nous ne demanderons pas des nouvelles du comité consultatif. Nous croyons qu'il fait ce qu'il peut, c'est-à-dire, rien, vu sa composition dans laquelle les hommes pratiques occupent trop peu de place mais le Gouvernement a dû recueillir des avis plus certains et se trouver, après deux ans, éclairé au moins sur quelques points.

Comme on le voit, nous ne sommes pas entièrement satisfait du discours d'ouverture. Nous ne laisserons pas cependant d'être justes et de reconnaître qu'il est exprimé dans un langage convenable et digne d'un Gouvernement. Il constitue à tout prendre un bon programme d'affaires, et s'il se traduit en actes législatifs conformes à la prudence et à l'équité, la session actuelle sera fructueuse pour le pays.

24 novembre 1849.

D. O.

ÉTUDES

SUR LES RÉVOLUTIONNAIRES DE 1848.

M. DE LAMARTINE ET LE CONSEILLER DU PEUPLE.

M. de Lamartine est l'homme dont se sont servi les démocrates, socialistes et autres, pour faire passer la république en France: c'est lui qui a été le metteur en page d'une forme de Gouvernement que son pays n'attendait pas. Moyennant certaines complaisances pour la vanité du poëte qui aspirait surtout à se poser comme tribun, moyennant quelques articles de journaux calculés pour plaire à cette juvénile imagination, on a fait de M. de Lamartine tout ce qu'on a voulu, et M. de Lamartine s'est cru l'homme providentiel de notre âge. Il a rêvé, dans son sommeil du jour et de la nuit, que l'oracle de la folle de l'Orient allait se réaliser. Ils nous a donc pris fantaisie de savoir ce que vaut au juste l'intelligence de M. de Lamartine dans ses rapports avec la politique. Depuis plus de vingt-cinq ans, cet homme a été bercé au bruit des louanges les plus niaises et les plus absurdes. Les Aimé Martin et tant d'autres se sont prosternés devant le chantre d'Elvire comme devant le Jupiter moderne. Il n'est pas de sottise, pas de platitude qu'on n'ait envoyée dans des nuages d'encens à ce dieu contemporain. Il faut une fois pour toutes faire justice de toutes ces exagérations et de tout ce ridicule. M. de Lamartine a fait assez de mal pour qu'on lui doive toute la vérité aujourd'hui.

Commençons par le Premier Conseil au Peuple, que publie en ce moment le poëte.

Que veut M. de Lamartine? Conseiller son pays. Mais d'abord de quel droit un homme comme M. de Lamartine peut-il donner des conseils? M. de Lamartine est passé du blanc le plus pur au bleu, du bleu au rouge, du rouge à trente-six mille nuances, suivant les trente-six mille nuances de ses ambitions ou de ses coteries plus ou moins désappointées. Qui nous dit que ce qui est adopté aujourd'hui comme excellent par M. de Lamartine, il ne let regardera pas demain comme tout ce qu'il y a de plus détestable? En principe donc, les conseils de M. de Lamartine sont non avenus; ils n'ont ni ne méritent aucune espèce d'autorité, aucune espèce de confiance.

M. de Lamartine pourtant persiste. Il veut donner des conseils au peuple, et voici sur quoi il se fonde :

«La France, dit-il, a proclamé la république; la république a proclamé » le suffrage universel. Le suffrage universel, c'est la souveraineté du peuple, » mise à la place de la souveraineté d'un homme qu'on appelait Roi.

» Le peuple est donc souverain.

» A titre de souverain, le peuple règne par ses votes et par les lois qu'il » se fait à lui-même.

» Le peuple est homme. Il peut se tromper, s'égarer, se perdre, etc., etc. » Il a besoin d'être éclairé, modéré, instruit, conseillé. Il a des flatteurs et » des courtisans comme toute autre puissance. Il lui faut des amis désinté>>ressés et courageux qui écartent les mauvais conseils de ses oreilles, et » qui lui en donnent de bons.

>> Le peuple est novice à la souveraineté. Le peuple aujourd'hui est comme >> un enfant élevé pour le trône, auprès de qui on place, pour l'instruire, » un corrupteur ou un sage, un Dubois ou un Fénélon. »

Ici paraît déjà tout ce qu'il y a d'incohérent dans la tête de M. de Lamartine. Quoi vous accordez au peuple le droit de proclamer la république, de proclamer ce suffrage universel, sa propre souveraineté; vous lui accordez le droit de régner par ses voles, par les lois qu'il se fait à lui-même; et aussitôt après, vous le mettez en suspicion, vous vous avisez de vous croire supérieur à lui en intelligence, vous venez le régenter comme un tout jeune garçon qui ne peut savoir ce qu'il fait !

De deux choses l'une, M. de Lamartine, ou le peuple sait ce qu'il fait, ou il ne le sait pas. S'il le sait, il n'a pas besoin de vous; s'il ne le sait pas, pourquoi lui accordez-vous tout ce que vous lui accordez ?

Vous prétendez que le peuple peut avoir ses flatteurs comme les Rois; mais le peuple n'est donc pas ce que vous le déclarez, quand vous lui donnez le droit de changer la nature même de sa constitution? Le peuple est donc faible comme les Rois, il peut être corrompu comme les Rois, il est donc

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