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de certains de nos sculpteurs et de nos peintres. Ils usent avec une licence vraiment abusive de la vieille loi de tolérance Pictoribus atque Poctis; et se complaisant, parait-il, dans les égarements de la pensée, si ce n'est même dans toutes les orgies de l'imagination, ils jettent à la face du public, comme une pâture faite pour lui plaire, les fruits morbides de ces débauches artistiques. Et l'idée ne semble pas même leur être seulement venue, que le public, justement irrité de cette conduite injurieuse, ne vienne à les citer à la barre de l'opinion, à leur demander raison de cette insulte, à les exposer au pilori de son indignation, si ce n'est plutôt à leur rendre à son tour mépris pour mépris. Car, on ne saurait se le dissimuler, suivant la remarque que nous en faisait l'autre jour un des penseurs les plus distingués de notre époque, c'est avoir une bien mauvaise opinion de ceux à qui l'on s'adresse que de ne pas les juger capables de comprendre le vrai, de sentir le beau, d'aimer l'honnête, d'admirer le sublime; c'est les mépriser souverainement que de les traiter comme des enfants frivoles et corrompus, et de ne plus même se croire obligé de s'adresser à leur esprit ou à leur cœur, mais à leurs sens et à leurs passions.

Quelqu'un a dit, en parlant de l'œuvre du peintre anversois, et il a eu raison : « Le tableau de M. Wappers est une voluptueuse composition, volup>> tueusement exécutée, qui porte en tout et partout le cachet de l'histoire >> licencieuse de la cour où l'auteur du Décaméron s'est formé, où et pour » laquelle le Décaméron lui-même a été écrit. » (1) « Non, ajoute un peu >> plus loin le même critique, il n'y a pas là l'élévation que l'on doit retrou» ver, même dans un sujet gracieux, lorsqu'il est traité sur une aussi grande » échelle, et qu'il a la prétention de s'attaquer à des personnages historiques; >> il ne faudrait pas beaucoup d'efforts pour donner un tout autre nom à la » scène représentée par M. Wappers, et pour la transporter dans un lieu » tout différent. Avec un peu de bonne volonté, on y verrait tout aussi >> bien un jeune homme causant avec deux belles créatures, deux femmes, si » vous voulez, que les anciens appelaient hétaires, et que notre pudeur mo» derne a décorées de l'épithète de lorettes. >>

Ces observations, d'une trop fâcheuse exactitude, expliqueront suffisamment à nos lecteurs, croyons-nous, les motifs de haute convenance qui nous empêchent d'analyser en détails l'œuvre du peintre anversois. Nous ne pourrions le faire sans relever certaines intentions aussi ostensibles que regrettables, et sur lesquelles il vaut mieux, pour l'artiste comme pour le public, étendre le voile du silence, si ce n'est celui de l'oubli.

Du reste, nous sommes les premiers à le reconnaître, comme élégance et

(1) Emancipation du 12 août 1849.

grâce de composition, comme splendeur éblouissante de palette, comme largeur, comme moelleux de touche, comme science profonde et magistrale des oppositions, comme parfum de fraîcheur, mais aussi de volupté, répandu sur toute cette étincelante toile, qu'on dirait embaumée de ciname et d'aloès, comme les sérails de l'Orient: le tableau de M. Wappers est à coup sûr l'une des plus brillantes créations qui soient encore sorties, nous ne disons pas de son pinceau, mais d'un pinceau d'artiste. Et s'il est vrai, comme nous le pensons, que les chairs manquent bien un peu de morbidesse et de vie, le modelé de science, le dessin de châtié, ce ne sont là que des taches légères que les autres qualités éminentes, mais matérielles, de ce tableau parviennent sans peine à dissimuler.

Nous aimons à croire que M. le baron Wappers ne nous en voudra pas de notre sincérité. Nous savons, et par expérience, que lui aussi aime la franchise. D'ailleurs, si nous en usons si largement à son égard, c'est que nous estimons trop haut son talent; trop inévitable, trop nécessaire même l'influence de ce beau talent, pour ne pas déplorer vivement ses écarts, et ceux qu'il semblerait légitimer à l'avenir chez ses imitateurs. Que personne ne cherche donc dans nos intentions autre chose que ce qui s'y trouve notre ardent désir d'être utile à l'artiste en l'avertissant, à son école en la prémunissant, à l'art et à la patrie en disant la vérité.

JOSSE-B.-J. CELS, junior.

DU DISCOURS DU TRONE.

On s'attendait assez généralement à trouver le programme de la nouvelle session dicté par cet esprit de lutte que les dangers présents n'ont pas encore amorti chez tout le monde. Depuis quelque temps, la presse exagérée se livrait à de nouveaux efforts pour ranimer le feu de la discorde au profit de ceux dont les querelles de parti font toute la force et la puissance.

On pouvait craindre jusqu'à un certain point que le ministère ne se laissât entraîner dans cette voie. S'il a plus d'expérience pratique, partant, plus de prudence et de modération que les éclaireurs du parti qu'il représente au pouvoir, il ne nous a pas assez donné de preuves de son indépendance à leur égard, pour que nous le croyions toujours en mesure de suivre ses propres inspirations. D'ailleurs, le langage des journaux ministériels et l'école du cabinet dans l'élection de Thielt autorisaient, au moins, le doute.

Ces prévisions ont été trompées. Le ministère a été, cette fois, plus sage que ses patrons. Le discours d'ouverture est convenable et modéré, et constitue un programme d'affaires plus intéressantes pour les citoyens que des discussions soi-disant politiques.

Disons-le hautement : le ministère a, dans cette occurrence, bien compris sa mission, et il mérite d'autant plus d'éloges qu'il revient spontanément sur les erreurs commises par ses membres, il y a trois ans à peine, lorsqu'on reprochait au ministère de Theux un programme pareil et une « sèche nomenclature » d'affaires.

Nous ne rappelons pas ce souvenir pour jeter un reproche aux ministres actuels, ni pour restreindre la justice que nous leur rendons. Considérant les actes et non les personnes, nous louons sans arrière-pensée ce qui est bien, et le retour à de meilleurs errements trouvera toujours notre approbation et jamais notre ironie.

C'est donc comme programme d'affaires que nous devons examiner le discours du Trône. Sous ce rapport, il mérite des éloges, mais il nécessite aussi des réserves et quelques réflexions critiques.

La presse a déjà fait remarquer la tendance de ce discours à dégénérer en panégyrique ministériel. Les adresses des deux Chambres ont dù servir de correctif en rendant à la Royauté trop effacée la place qui lui appartenait. Sans nous arrêter plus qu'il n'est besoin à cette distraction du cabinet, nous passerons à l'examen du discours.

Ce document touche deux catégories de faits législatifs : ceux qui sont accomplis et ceux qui sont encore à réaliser.

Nous aurions désiré plus de réserve dans l'appréciation des premiers. Le ministère se décerne une ovation, mieux placée partout ailleurs que dans sa bouche et qui est, dans tous les cas, prématurée. La plupart des mesures dont il s'applaudit sont trop récentes, pour qu'on puisse encore les juger avec connaissance de cause, et leurs premiers effets sont admirés avec une complaisance par trop paternelle.

La première phrase du discours d'ouverture donne peut-être déjà prise à cette critique, s'il faut l'entendre dans toute l'étendue de son expression. « La situation du pays, y est-il dit, continue de se montrer sous un aspect >> très-favorable. » Si, comme les deux phrases suivantes permettent de le penser, cette expression se rapporte à notre état politique au milieu de l'Europe agitée, nous n'avons rien à dire, c'est juste. Mais si, comme le ton laudatif du programme permet de le supposer également, il s'agit de notre situation intérieure, c'est trop. Sans doute, cette situation est meilleure que celle de nos voisins; elle est meilleure qu'elle ne l'était il y a un an; elle est, si l'on veut, relativement bonne; mais elle offre encore trop de plaies à fermer pour qu'on puisse la trouver « très-favorable. »

Cet optimisme se fait sentir dans tous les détails de la revue rétrospective à laquelle le ministère se livre avec tant de complaisance. C'est ainsi que l'état de l'agriculture nous est dépeint comme parfaitement prospère. « Les >> récoltes de cette année ont été d'une grande abondance. Elles ont assuré » à nos populations laborieuses le bienfait d'une nourriture à bon marché, » tout en permettant à nos cultivateurs d'exporter une plus grande quan» tité de leurs produits. » Il y a malheureusement beaucoup à rectifier dans ce tableau trop flatté. D'abord, la « grande abondance » n'est réelle que pour certains produits agricoles. Les principaux, le froment et le seigle, n'ont pas rempli toutes leurs promesses, à raison de la sécheresse prolongée

et n'ont donné qu'une récolte ordinaire. Puis, il est assez difficile de comprendre la distraction qui fait attribuer aux cultivateurs le bénéfice de l'exportation des grains. Jusqu'ici nous avions cru qu'ils se bornaient à vendre leurs moissous et que les profits du commerce des céréales n'échéaient qu'aux négociants. Par aventure, a-t-on changé tout cela? Cette opération commerciale ne tournerait à l'avantage de l'agriculture que si elle avait pour effet de relever le prix des denrées, et ce résultat n'entre ui dans la réalité des faits, ni dans les désirs de nos gouvernants. La situation de nos campagnes est loin d'être favorable. Les cultivateurs sur lesquels retombent de lourds impôts, la charge accablante des octrois communaux, doublés et triplés par suite du paupérisme, et la protection accordée aux industries privilégiées, doivent s'imposer les plus rudes privations et ne peuvent vendre leurs produits qu'à un prix qui n'est plus rémunérateur. La phrase ministérielle n'est pas autre chose qu'un non sens. Nous avons vu sans surprise la Chambre des Représentants commettre, dans sa réponse, la même erreur. La connaissance des intérêts positifs est fort rare dans cette Assemblée, et celle des intérêts agricoles y fait défaut plus qu'aucune autre. Les défenseurs de l'industrie nourricière du pays ont été particulièrement traqués aux dernières élections, et le petit nombre de ceux que nous avons conservés, lutterait en vain contre une présomptueuse ignorance, alliée à l'esprit de parti. Aussi les de Theux, les Coomans, les De Decker ont plutôt réservé la vérité qu'entrepris une discussion complétement inutile. Nous avons été plus étonnés de voir le Sénat accepter si bénévolement l'assertion ministérielle et ne pas donner plus d'accueil aux observations très-justes du comte de Ribaucourt. Tout ce qu'il y a d'exact dans le paragraphe en question, se réduit à ce que le bon marché des denrées alimentaires est favorable aux ouvriers. Cela est vrai et cela peut avoir un certain degré d'utilité: mais il ne faut pas établir, en règle générale et permanente, un état de choses, qui finirait par ruiner la masse des habitants, au profit du moindre nombre. Nous avons même tort de supposer à cette aberration un profit final pour qui que ce soit. Toutes les industries sont solidaires (nous l'avons dit ailleurs), et l'on n'en ruine aucune sans perte pour les autres. Sacrifiez l'agriculture, sous prétexte de procurer le pain à meilleur prix à l'ouvrier, et savez-vous ce qui en arrivera? L'ouvrier verra le premier s'évanouir l'avantage que vous lui promettez, parce que le bon marché des denrées servira de prétexte pour abaisser les salaires, et que souvent, il n'est même réclamé avec tant d'instance, que pour arriver à ce résultat. Les rangs plus élevés de l'industrie finiront par s'en trouver euxmêmes lésés, parce qu'ils verront le placement de leurs produits se restreindre par la décadence de leurs consommateurs. Nous ne voulons pas, sans doute, que les céréales obtiennent une valeur trop élevée; ce serait commettre une erreur aussi grave en sens contraire; mais nous voulons que tous vivent et prospèrent, l'ouvrier des champs aussi bien que celui des villes.

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