Page images
PDF
EPUB

nom de Père, alors qu'il aurait échange ceux de Félix Peretti et de Montalte, contre celui de Sixte-Quint, est naturel de pose, délicat d'expression, mais d'une couleur, d'une touche, et même, dans certains passages, d'un dessin assez étranges.

Si chacun ne savait que M. ALEXANDRE MARKELBACH est bel et bien un élève de l'Académic d'Anvers, on serait tenté, en face de son Homère chantant son Iliade (381), de le prendre pour un fils de la Germanie, formé dans l'une des écoles d'art si nombreuses et si brillantes de ce beau pays, tant son talent rappelle à plus d'un égard celui des peintres tudesques. Et sans doute le nom de M. Markelbach pourrait-il bien à son tour confirmer cette méprise. Quoi qu'il en soit, le tableau de ce jeune homme renferme d'éminentes qualités, soit de sentiment du sujet, soit de distinction dans la manière de le rendre, soit de dessin et même de couleur, car il y a quelque chose de tout méridional dans les tons clairs, et en quelques endroits même presque crus, que l'artiste a osé employer, mais qui l'ont bien servi, dans cette page digne d'attention et d'éloges. Toutefois que M. Markelbach nous permette de lui faire remarquer, ce qui a d'ailleurs frappé tant de monde, la disproportion qui existe dans son tableau entre la figure colossale du sublime aveugle de Chio et celle toute petite de la jeune fille qui guide ses pas mal assurés. Peut-être le peintre, à l'exemple des Grecs, dont il évoque un des plus glorieux fantômes, et qui eux aussi donnaient souvent à leurs figures de grands hommes, des proportions surhumaines, peut-être, disons-nous, a-t-il voulu simplement exprimer la sublimité du génie par l'élévation de la taille. Mais si gigantesque que se dresse la figure d'Homère dans les splendeurs du passé, nous ne croyons pas que l'artiste puisse s'en prévaloir pour enfreindre, d'une manière aussi ostensible, les inflexibles lois des proportions relatives, et ainsi priver sciemment son œuvre de l'harmonie qui en découle. Mais à vrai dire, c'est plutôt la jeune fille qui est trop petite, qu'Homère qui est trop grand, dans le tableau de M. Markelbach. Car l'expression de douce et pensive mélancolie, l'expression réfléchie de son visage, ses formes allongées et parfaites, aussi bien que celles de toute sa personne, accusent une prématurité à laquelle la petitesse toute enfantine de sa taille s'oppose formellement, et que d'ailleurs en tenant compte de cette petitesse, la précocité méridionale elle-même ne saurait suffisamment ni expliquer, ni justifier.

Et maintenant venez admirer dans le triste coin où on l'a reléguée sans pudeur, l'une des œuvres les plus belles, les plus complètes, de l'Exposition d'Anvers. Nous avons nommé la Scène de Faust (273), de M. F. CARl Hausman, de Hanau. Comme maturité de tons, comme entente large et vraiment magique du clair-obscur, comme science raisonnée des oppositions, comme délicatesse d'expressions, comme finesse de dessin, comme exactitude anatomique, l'artiste allemand marcherait déjà l'égal, si non le supérieur de tout ce que l'école d'Anvers peut produire de maîtres distingués, quand bien même

son observation profonde, philosophique du cœur humain, si merveilleusement sentie dans son œuvre, ne suffirait pas pour lui donner un genre de supériorité dont la plupart des peintres anversois, trop rarement penseurs, semblent généralement, et bien à tort sans doute, assez peu se soucier. L'épisode du drame de Goëthe choisi par M. Hausman est celui de l'offrande faite à la Vierge, par la mère de Marguerite, entre les mains du vieux pasteur, du précieux écrin clandestinement déposé par Faust dans la chambrette de la jeune fille. Dire que l'artiste a su reproduire dans les expressions variées de ses figures, et avec une remarquable justesse, les caractères si vigoureusement tracés par le poëte; c'est dire assez, que le principal de ses personnages, tout en commandant l'admiration pour le talent du peintre, excite aussi une juste réprobation pour les arrière-pensées de l'homme. Et ceci expliquerait peut-être les rigueurs de la commission de placement, à l'égard de M. Hausman, si d'un autre côté, le soin qu'elle a pris de mettre en évidence, et le plus possible, telle autre œuvre qui soulève à bon droit le blâme du public d'élite, de celui là qui se respecte et qui veut qu'on le respecte, ne nous donnait le droit de suspecter quelque peu les délicatesses de conscience de cette estimable commission.

Et maintenant, allons admirer un autre chef-d'œuvre, car c'en est un aussi - malgré quelques imperfections inévitables d'ailleurs dans toute œuvre humaine, que cet Épisode de la St-Barthélemy (499), de M. ERNEST SLINGENEYER. Chacun sait par quelles douloureuses épreuves il lui a fallu passer, à ce jeune artiste de forte trempe, pour arriver, nous ne disons pas au talent, mais à la place éminente et méritée, que l'opinion publique ne lui a accordée qu'en régimbant, et où nous le voyons enfin monté, pour ne plus la quitter sans doute. Aussi ne voulons-nous point retracer la longue et lamentable histoire des luttes violentes et inégales entre l'artiste et ses détracteurs, dont quelques-uns ont encore le triste courage, ou si l'on préfère, la puérile faiblesse, aujourd'hui qu'il a triomphé de leurs attaques et fait taire leurs clameurs, de se croire et de se dire, comme pour se consoler de leur défaite, les véritables auteurs de son beau talent. Heureusement personne n'est dupe de cette étrange prétention, qui n'est après tout qu'une rubrique bien vieille et bien usée. Et nous pouvons le dire en toute confiance, si leur amour propre ne s'était point chargé de se donner à soi-même ce petit coup d'encensoir passablement prétentieux et déplacé, ce ne serait pas à coup sûr la reconnaissance équitable de l'artiste qui se fût crue obligée de le lui donner; et qui oserait pour cela l'accuser d'ingratitude?

Disons quelques mots de son œuvre.

C'était avant l'aube, la lune brillait encore au ciel, et la cloche des nombreux couvents de la vieille cité, sonnait matines; Coligny venait de tomber sous le poignard des gens de Guise, qui vengeait par un assassinat l'assassinat de son père, et le cadavre de l'amiral exposé aux outrages de la foule devait

recevoir encore la suprême insulte du gibet; la ville sourdement éclairée par les mouvantes lueurs des torches, retentissait des mille cris confus de rage et d'effroi, d'excitation au carnage et de désespoir, des meurtriers et de leurs victimes, mêlés au monotone tintement de la prière qui semblait être plutôt le glas lugubre de la mort. Surprise au milieu de son sommeil, une famille huguenote s'est réfugiée à la hate, les enfants en chemise, la jeune mère à peine vêtue, sur une terrasse élevée, où elle espérait, à l'abri de solides créneaux, échapper à la vigilance des assassins; mais vaine a été son espérance, car déjà sa retraite est découverte, déjà la mort plane sur elle.

[ocr errors]

Au milieu du tableau, se dessine le gentilhomme huguenot, dans un de ces mouvements à la fois si naturels et si difficiles à bien rencontrer pour un artiste; il n'est ni accroupi, ni debout; mais il est prêt à bondir sur l'ennemi qui le cherche et dont on entrevoit déjà la tête, ainsi que l'extrêmité d'une échelle appuyée au mur, dans l'embrasure du parapet; et, l'on comprend, sans peine, à l'anxiété vivement sentie de son visage, à la violente contraction de tous ses muscles, à l'énergique étreinte dont sa main droite serre la poignée de son épée, que cet homme traqué comme une bêtefauve, saura mourir comme un chevalier, et qu'il ne vendra qu'au prix de bien des vies, sa vie et celle de sa famille. Sa compagne, suave et belle jeune femme, chargée du plus doux, du plus honorable des fardeaux, son enfant second-né, celui-là qui ressemble toujours à sa mère! — cédant à la violence de l'émotion, s'affaisse sur elle-même, et sa tête s'appuie pâle, bleuie, échevelée, convulsive, mourante, sur la poitrine haletante de son époux, comme pour s'interposer entre le cœur de son mieux-aimé et le poignard des assassins, et lui faire ainsi, de sa faiblesse même, un bouclier contre la force et la violence. Mais ce qu'il y a sans doute de plus naïvement vrai dans cette page éminemment dramatique, éminemment émouvante, c'est ce pauvre enfant, reveillé en sursaut, tiré à demi-nu de sa couchette, et que vous voyez à droite, s'abritant à moitié sous le pan de muraille, à moitié sous le manteau de son père, les traits consternés, des larmes dans le regard, et qui n'ose bouger, et qui se mord le doigt de crainte de pleurer et de compromettre ainsi ses parents poursuivis; car on lui a dit de ne point faire de bruit, et s'il n'a pas tout-à-fait conscience du malheur qui les menace tous, il comprend assez, à cette fuite précipitée, à ces clameurs sinistres, à ces cris de mort, qu'il se passe à cette heure, dans Paris, quelque chose d'extraordinaire et de terrible; et qu'il vaut mieux se taire.

A gauche, dans l'ombre portée d'une haute muraille, un serviteur du Huguenot, guette, le mousquet dans la main gauche, le moment de faire feu, et de lâcher un énorme chien qu'il retient avec peine, de la main droite, par la peau du cou, tandis que le fidèle animal, flairant les ennemis de son maître, s'élance avec une incroyable furie pour le défendre. Voilà, bien affaibli, bien décoloré sans doute par les lenteurs de la description, le

[ocr errors]

drame saisissant que M. Ernest Slingeneyer a retracé avec une étonnante énergie de pinceau. Son œuvre, pour le sentiment du sujet, de la composition, des expressions; pour le talent des oppositions, pour l'énergie, l'éclat tout vénitien de la couleur, qui atteste une fois de plus l'influence sur les artistes d'avenir de notre grand Gallait; pour la magie du clair-obscur, et même jusqu'à un certain point, pour l'élégance du dessin : son œuvre, disons-nous, occupe une place honorable à côté de ce que l'Exposition d'Anvers offre de plus parfait. Et si l'on y rencontre quelques défauts, comme l'éclat trop brillant de la lune sur les figures, ce qui soulève d'abord quelques doutes sur l'heure choisie par l'artiste et donne de l'équivoque à sa lumière; comme la pose peut-être bien un peu forcée de la jeune femme dont la poitrine se découvre trop intentionnellement aux yeux du public : nous devons convenir aussi que ces défauts mêmes, le dernier du moins, sont devenus pour M. Slingeneyer l'occasion de déployer toutes les ressources, toutes les délicatesses, toute la vie de son pinceau. Et cette poitrine toute frémissante de la pauvre mère, laisse bien loin derrière elle ces chairs d'ivoire, sous la peau desquelles le sang n'a jamais circulé, et dont M. le directeur de l'Académie d'Anvers a cru devoir doter Jeanne de Naples et sa suivante.

Encore un mot sur M. Slingeneyer, à propos du choix de son sujet. Ce choix, nous l'avouons, nous ne pouvons l'approuver sans faire nos réserves. Nous aimons la vérité, nous ne la craignons pas; mais nous aimons la vérité toute entière, non la moitié de la vérité. Un silence affecté est souvent le frère du mensonge.

Et n'est-ce pas céler au moins la moitié de la vérité que d'agir comme on agit le plus souvent de nos jours de rappeler sans cesse avec une sorte d'affectation, tous les événements où, à tort ou à raison, les ennemis de la religion et de la société sont représentés comme victimes, comme martyrs de leurs opinions ou de leurs actes? tandis que jamais, ou presque jamais, on ne semble se donner la peine de recueillir, pour leur donner la consécration du talent, quelques-uns de ces admirables exemples, de ces traits sublimes de courage et de dévouement, la plus héroïque, la plus surhumaine des vertus, que l'amour de Dieu et des hommes a su inspirer à tant de généreux chrétiens? N'est-ce pas encore tronquer la vérité, et tromper ainsi la conscience publique, que de rappeler toujours les rigueurs regrettables sans doute, condamnables même, d'un parti, sans qu'on veuille jamais avoir l'équité de placer en regard les atrocités inouïes dont les ennemis de ce parti s'étaient d'abord rendus coupables, et dont elles n'étaient que les représailles? Ah! s'il n'est pas bien difficile, en fouillant dans des époques de perturbation générale, aidé surtout d'une féconde imagination, de déterrer, de forger au besoin, des sujets de drames ou de tableaux où l'on puisse faire jouer aux catholiques un rôle odieux, qu'on le sache bien,

il serait mille fois plus aisé d'opposer à ces tristes scènes une bien plus longue, une bien plus sanglante galerie des turpitudes, des infamies, des cruautés de toutes sortes dont les ennemis du Catholicisme ont pris soin de souiller leurs noms et leur cause. Mais les catholiques, ceux qui comprennent la sublime folie de la croix, ne veulent se ressouvenir que des préceptes d'une religion toute d'amour et de pardon. La vengeance leur est inconnue. Et s'ils confient parfois au bronze, au marbre, à la toile, les pénibles et glorieux triomphes des Témoins de leur foi, ce n'est point pour apprendre aux fils des martyrs à maudire la mémoire des bourreaux de leurs pères; c'est pour leur enseigner à marcher sur les traces vénérées de ceux-ci, et comme eux, à prier pour ceux-là !

Que M. Slingeneyer ne nous en veuille pas trop de ces quelques observations. Elles s'adressent bien moins encore à son œuvre en particulier, quant an choix de son sujet, qu'aux tendances générales d'une époque où la mauvaise foi et l'ignorance semblent s'être donné le mot pour tronquer les faits, dénaturer l'histoire, obscurcir la vérité, et entraîner ainsi la société tristement abusée, dans l'abîme où nous la voyons déjà se précipiter et se débattre. La dernière Exposition de Bruxelles nous avait montré M. J. VAN EXCKEN bien au-dessus de ses antécédents artistiques; l'Exposition d'Anvers de cette année nous le montre au-dessous de ce qu'il était l'an dernier. Nous n'en recherchons point les causes, nous constatons simplement un fait; et ceux qui savent tout ce que nous portons d'intérêt et d'amour à la cause et aux progrès de l'art, quels qu'en soient d'ailleurs les représentants, comprendront assez, nous en sommes sûr, que ce n'est pas sans peine, et uniquement pour remplir avec conscience notre mandat vis-à-vis du public, que nous enregistrons un pareil fait. Sans doute M. Van Eycken n'a pas toujours composé avec une énergie aussi concise, si nous pouvons transporter dans le domaine de l'art ces termes de rhéteur, qu'il l'a su faire dans son principal tableau exposé à Anvers : Un épisode de la vie de Francesco Mazzuoli, dit le Parmésan, (588); sans doute encore l'artiste bruxellois s'est montré plus sévère que d'habitude sur le dessin, et en particulier sur le dessin et le modelé des mains, où la science anatomique et perspective, grâce à l'influence si générale en Belgique de Gallait et de De Keyser, a heureusement remplacé l'à-peu-près et le conventionnel. Mais ces qualités, si importantes d'ailleurs ne suffisent pas à elles seules pour constituer un tableau. Il y faut ajouter bien autre chose encore, chacun le sait, et c'est précisément cet autre chose, nous ne disons pas qui fait défaut, mais au moins qui laisse beaucoup à désirer dans le tableau de M. Van Eycken. Nous n'insisterons pas davantage; nous nous contenterons d'indiquer l'harmonie générale, la couleur, le clair-obscur, l'expression efféminée et la pose du Parmésan, etc., etc., comme les principaux témoignages produits par l'artiste luimême en faveur de nos observations. La Chute des feuilles (589), du

« PreviousContinue »