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pressions ou la nature; car tout système est dans l'art le premier pas vers la manière, c'est-à-dire aussi, vers le conventionnel et le faux. Le meilleur système est de n'en avoir point.

Citons encore les Paysages, aussi sombres que poétiques (304 à 306) de M. F. KEELHOFF, dont le faible pour l'obscurité nous a bien paru quelque peu exagéré; -l'Hiver (397) de M. MOERMAN, de Gand, dont les progrès sont sensibles: vérité de l'ensemble, bonne disposition, étoffage pittoresque ; certaines parties, notamment les arbres à gauche, demanderaient une étude plus sérieuse de la nature; la Vue des environs de Bruxelles (424), de M. AUG. ORTMANS, très-joliment disposée, touchée avec finesse; les petites figures sont bien traitées; l'Hiver, vue prise en Flandre (660), de M. L. VERWÉE, où l'on remarque quelques oppositions heureuses, un jour large et qui ne manque pas de vérité. Son Paysage montagneux (661) paraît vouloir prouver une fois de plus que le talent de M. Verwée ne se prête pas volontiers à représenter d'autres saisons que l'hiver. Sa manière de peindre les arbres suffirait seule, semble-t-il, pour s'y opposer.

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Le talent de M. HENRY VERBEECK se présente aujourd'hui fort inégal à côté d'une médiocre Vue des polders, en hiver (655), il a exposé une Bruyère des environs d'Anvers, (634), qui le range parmi nos bons paysagistes. Le ciel en est beau de ton et de mouvement, le paysage est simple et grandiose dans ses masses, d'un aspect général rempli de vérité, d'une couleur délicate et très-nature. Les pins à droite sont majestueux de port et beaux d'exécution; mais ce qui l'emporte peut-être sur tout le reste, c'est la bruyère proprement dite; ces petites plantes d'un vert gris et violâtre, qui ne recouvrent qu'à demi le sable du sol, sont d'une touche pleine de franchise, de fixité et de largeur. Nous souhaitons qu'à l'avenir M. Verbeeck soit toujours aussi heureusement inspiré, et la Belgique comptera un beau talent

de plus.

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Quelques hommes de mérite, à la tête desquels vient se placer, comme toujours depuis plusieurs années à nos expositions, l'illustre A. ACHENBACH, de Dusseldorf, représentent la Marine au Salon d'Anvers.

Tout le monde connaît la merveilleuse souplesse du talent de M. Achenbach, qui se ploie sans efforts, et avec une supériorité toujours souveraine à tous les caprices, à toutes les splendeurs, à toutes les poésies du ciel, de la terre et de l'onde. Paysagiste et peintre de marines, il nous a révélé tour à tour, avec une supériorité presque sans rivale, le luxe végétal des forêts de sa patrie, la terrible majesté de l'Océan. Ses pêcheurs de Blankenberghe (39) sont peut-être, avec le Soleil Couchant de M. Zwengauer, les œuvres les plus parfaites de l'Exposition. Nous ne savons si l'on a jamais rendu, si l'on rendra jamais avec plus de bonheur les eaux profondes et transparentes de la mer que le vent creuse en sillons, soulève en montagnes, fouette en écume; que les rayons du soleil pénètrent et vivifient, si nous osons le dire, et

constellent de mille étincelles lumineuses. Voyez ces fiers nuages chevauchant de par le ciel, sombres et pressés, comme les génies de la tempête, emportant la foudre dans leurs flancs; et voyez, suspendues sur la crête mobile des vagues, ces deux barques de pêcheurs, deux points perdus dans l'immensité de l'Océan, mais où le génie de l'homme, toujours maître du monde dont Dieu l'a sacré Roi, brille intrépide et souverain de toute la simplicité, de toute la faiblesse même de ses instruments. Ces deux barques sont si vraies de soleil, si magistrales de peinture, et d'un contraste si piquant dans le tableau de M. Achenbach, qu'en vérité il peinerait infiniment d'en faire le sacrifice; et cependant, nous ne savons si nous nous trompons, mais il nous semble que cette œuvre si belle aurait gagné encore en grandiose et en poésie, si le maître de Dusseldorf se fût contenté de faire courir à l'horizon ce bateau à vapeur que vous voyez fumer à droite, incliné sous le vent.

En général, pensons-nous, lorsque l'artiste choisit dans la nature quelque sujet extraordinaire, soit comme site, soit comme effet, il doit se montrer très-sobre d'étoffage. Accorder en pareil cas trop d'importance à celui-ci, c'est presque toujours nuire à la majesté de l'ensemble, enlever quelque chose à la solennité de son œuvre, distraire l'œil du spectateur de ce qui doit faire le principal objet, le seul objet même, de toute son attention, de tous ses recueillements; celui auquel tout le reste doit être subordonné, qu'il doit se contenter de faire ressortir encore davantage en le complétant. Et cela est si bien compris, si bien senti, par tous les hommes d'un esprit réfléchi, méditatif, et par M. Achenbach mieux que par personne comme le prouvait assez sa Mer furieuse d'une si saisissante solitude, exposée à Anvers il y a trois ans, - qu'il est rare qu'un artiste de cette trempe d'élite ne borne pas tout son étoffage à une seule figure humaine, à un simple animal, un oiseau, un insecte, dont la petitesse et l'isolement ajoutent encore à l'imposante grandeur des lieux, à la gravité de l'heure. Les Marais-Pontins de Gudin, les Ruines des Temples de Pestum de Calame, les Marécages de Zwengauer, la Bruyère ardennaise de Kindermans et tant d'autres chefs-d'œuvre d'artistes éminents, en sont de magnifiques témoignages.

A côté, ou plutôt immédiatement après M. Achenbach, vient se placer M. JACOB JACOBS, d'Anvers, représenté au Salon par trois tableaux, dont deux fort remarquables. Nous ne dirons rien de sa Vue prise sur l'Escaut (292), dont l'exécution rapide, comme le prouvent assez les résultats, indique suffisamment le peu d'importance que l'artiste lui-même attache à cette œuvre. Mais qu'il nous soit permis de vous arrêter un instant devant deux toiles de sujets et d'effets tout différents, et plus dignes à tous égards de la réputation méritée du maître anversois.

Le fort des Chevaliers de Rhodes (293) unit à une entente singulière de la composition un bonheur d'oppositions, un éclat, une variété, une richesse de tons, digues des plus grands éloges. Ce ciel éblouissant que les feux du

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soleil à son déclin illuminent et réchauffent. ce sombre château fort, formidable colosse de pierres qui y dresse et dessine sa masse gigantesque, comme autrefois le colosse d'airain; ce vaisseau au mouillage; cette tartane grecque qui glisse et se balance sur les flots, déployant sur l'or du ciel sa coquette voile latine à l'immense envergure: tout cela est plein d'effet, plein de nature, plein de vie; tout cela frappe dans son ensemble, intéresse par ses détails. L'eau de la mer laisse seul à désirer. Plus extraordinaire comme motif, mais moins heureux peut-être d'exécution, se présente le Naufrage du navire Floridian sur le banc Longsand (côle d'Essex), (291). Nous ne pouvons mieux faire, pensons-nous, pour donner à ceux de nos lecteurs qui n'auraient point vu le tableau, une idée du terrible drame que l'artiste y a retracé avec une grande énergie, que de transcrire ici l'Extrait de la lettre d'Henri Hill qui a servi de texte à M. Jacobs; d'autant plus que le peintre anversois a suivi la narration de ce témoin oculaire avec une scrupuleuse et fort louable exactitude. Voici comment s'exprime M. Hill:

« Le vent du sud-ouest devenant de plus en plus violent à midi, le grand >> hunier fut serré et le navire mis à la cape. Le Floridian eut alors le cap >> au Nord-Ouest 1/4 Ouest jusqu'à environ 3 1/4 heures de l'après-midi, » moment où il toucha sur le banc dit: Longsand, avec une telle violence » qu'en moins de dix minutes il se cassa. La dernière chance de salut était >> le canot de sauvetage. Le capitaine Whitmore s'y élance le premier, pour y >> placer autant de passagers et d'hommes d'équipage que le permettrait la » capacité de l'embarcation, mais les passagers s'y précipitent en si grand » nombre que le canot chavira avant même que Madame Whitmore y fut >> entrée. Elle eut la douleur de voir périr son mari, le lieutenant John >> Dutcher et une quinzaine de passagers. Dans cet intervalle, Bill Hary et >> moi, nous coupions les rides de tribord des haubans du grand mât, qui >> tomba vers l'arrière en même temps que le mât d'artimon et dans la direc» tion où se trouvait la plus grande partie des passagers. Un coup de mer >> affreux vint enlever la dunette où se trouvait le second, Madame Withmore, » le cuisinier, le mousse, Bamos, Woods, Tom et tous les passagers, excepté » 4 ou 5 qui s'étaient mis dans les haubans du mât de misaine, avec Bill » Hary, Ephraim Stockbridge, Peter Daves et moi. Quelques minutes après >> tout avait disparu, et au coucher du soleil, nous n'étions plus que huit per» sonnes cramponnées dans le gréement du mât de misaine où nous pas>> sâmes la nuit. »>

Toute cette épouvantable scène, ou plutôt toutes ces scènes se succédant avec la rapidité de l'éclair et n'en faisant en quelque sorte qu'une seule, l'artiste les a reproduites avec une vivacité de conception, avec une profondeur de sentiment, avec une fougue de pinceau, qui émeuvent et qui glacent: c'est le canot de sauvetage qui chavire et qui sombre, entraînant dans l'abîme

tous les malheureux qui s'y étaient refugiés; c'est Madame Whitmore qui s'élance éperdue, l'œil hagard, les bras hauts et tendus, avec un de ces gestes presque convulsifs qui peignent admirablement toute la vivacité d'une douleur aussi insondable qu'il est foudroyant et irréparable le malheur qui la cause; c'est toute la mâture qui tombe, prête à broyer les innombrables passagers qui se pressent sur l'arrière du navire; c'est enfin le vaisseau qui se casse, comme eût fait un faible roseau, et la mer qui s'y précipite, renversant, emportant avec elle tout ce qu'atteint son flot inévitable. Et tout cela est voilé d'une lugubre couleur qui ajoute encore aux épouvantements que vous cause la vue de ce lamentable drame. La sinistre obscurité du ciel et de l'onde n'est rompue que par les sanglantes lueurs qui embrasent l'horizon et qui vont se reflétant et se répercutant, comme l'écho, sur la crête des vagues. D'une vérité moins frappante, et surtout d'un faire moins naïf que les eaux de M. Achenbach, la mer telle que l'a traitée M. Jacobs, est pourtant d'un fort bel effet; il y a surtout des passages d'une transparence, d'une profondeur vraiment magnifique, et les figures que l'on aperçoit vaguement s'y abîmer ajoutent encore à l'illusion comme à l'impression de douleur et d'effroi que l'on éprouve en face de la belle page du peintre anversois.

Si vous aimez les contrastes, voici de quoi vous satisfaire. Du tableau de M. Jacobs allez droit à celui de M. A. WALDORP, de La Haye; de la tempête au calme, de la beauté sombre et terrible à la beauté brillante et joyeuse, de la mort à la vie. Oui, c'est une fraîche et souriante page que cette Marine (670) de M. Waldorp, aux eaux si tranquilles et si pures moutonnant comme un lac sous les brises du matin, à l'étoffage si riche et si vrai, aux teintes si vaporeuses, si argentines, si délicates. Rien de plus fin de couleur que ces tourelles à droite; rien de plus piquant, de plus naïf, de plus juste de tons que ce cabotier dont la voile rouge, légèrement enflée par le vent, s'étale au soleil avec une simplicité et une nature si admirables.

L'éclat d'un soleil tout méridional que M. CLAYS a su introduire dans sa Marine, Rade de Logos (Algarves, Portugal) (114), en est sans doute la principale qualité. L'étoffage est joli, animé, naturel; l'eau ne manque pas d'une certaine transparence; mais le ciel nous semble laisser à désirer. Quant à sa Rade de Leith (aux environs d'Edimbourg) (115), elle nous paraît, malgré quelques jolis détails, à tous égards inférieure à celle de Lagos.

Nous aurions autant aimé ne pas trouver au Salon d'Anvers la Marine, soleil couchant (252), de M. FRANCIA, qui ne brille ni par la vérité de l'ensemble, ni par l'étude consciencieuse des détails, ni même par la vigueur ou l'éclat de l'effet. Les précédentes expositions nous avaient fait connaître trop avantageusement le talent de M. Francia pour que nous n'ayons pas le droit de nous montrer aujourd'hui quelque peu exigeant à son égard.

La Marine, Vue du château de Douvres (498), de M. LOUIS SERRUYS, d'Ostende, ainsi que l'Orage sur les côtes de Flessingue (591) de M. H. MERIUS, de Dusseldorf, attestent chez ces artistes un talent recommandable.

Le plus beau tableau que M. H. SCHAEFELS ait exposé cette année est à coup sûr cette Plage (477) inondée de soleil et d'une grande fraîcheur de tons; d'un effet si agréable, mais s'il nous est permis de le dire, un peu moins solide, et surtout moins naïvement nature qu'agréable. Nous avouons volontiers que rien n'est plus attrayant d'abord, séduisant même, que ces tons lilas et vaporeux dont plusieurs artistes anversois, à l'exemple de quelques peintres hollandais comtemporains, ont fait en quelque sorte l'atmosphère habituelle de leurs tableaux; mais nous devons convenir en même temps que cette première impression est rarement durable, parce que les motifs qui l'ont fait naître étant basés sur une exagération, parfois même sur une manière purement conventionnelle d'envisager et d'exprimer la nature, manquent ainsi presque toujours eux-mêmes de légitimité, au moins dans une certaine mesure. Ces réflexions ne s'appliquent pas assurément dans toute leur rigueur au tableau de M. Schaefels, Willem Van de Velde, étudiant l'effet d'un coup de canon que son ami De Ruyter a fait tirer à cet effet, comme s'exprime fort peu élégamment le catalogue de l'Exposition; mais nous serions heureux, en éveillant l'attention de cet artiste de talent sur le danger de certaines tendances, de prévenir chez lui les conséquences naturelles et presque inévitables qui en découlent. Ce tableau se distingue d'ailleurs par la légèreté de son ciel; par l'élégance, la richesse, le bon goût de l'étoffage; par une bonne entente de la composition et de l'effet; par une touche généralement moelleuse, mais sans mollesse et exempte de cet aspect flou et colonneux si désagréable, dont quelques tableaux du Salon d'Anvers offensent la vue des spectateurs.

Quelques artistes de talent, dont un tout-à-fait hors de ligne, M. DAVID ROBERTS, représentent la Vue de ville au Salon de cette année. M. Roberts, membre de l'Académie royale des Beaux-Arts de Londres, est un de ces hommes d'élite qui traitent l'art en grands seigneurs, avec une élévation de vue, avec une fierté d'exécution qui n'exclut point pourtant ni la vérité locale, ni l'exactitude. La manière dont il a disposé sa Vue générale d'Edimbourg, prise de la Citadelle (457), est aussi neuve que brillante. Il serait difficile d'imaginer un plus magnifique développement de la grande cité écossaise, mettant mieux en relief ses splendides édifices si variés de formes, si différents d'âges et de styles; s'étalant avec plus de coquetterie et d'élégance au pied des montagnes et au bord de l'onde; sous l'influence d'un soleil plus habilement distribué. M. Roberts cherche moins à briller par l'éclat de la couleur que par une entente magistrale de la disposition soit des lignes, soit du clair-obscur; moins par la perfection minutieuse des détails, que par la majesté de l'ensemble, appuyée d'ailleurs sur une exactitude scientifique, sur une connaissance profonde et familière de la perspective qui se dissimule sous ce sans-gêne d'une facture tout-à-fait anglaise, rappelant singulièrement Canaletti dans ce qui constitue proprement la vue

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