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1848, bien supérieure, sauf les baigneurs, au tableau qu'il a envoyé à Anvers. C'étaient deux taches dans le tableau que ces deux figures, tout le monde en convenait, mais les règlements académiques étaient là, il fallait se soumettre. Et les Académies ne seraient pas les foyers lumineux du vrai progrès et les sources vives d'une sage liberté! Et la France ne serait pas la première nation du monde!

Deux mots de M. THUILLIER, de Paris, qu'on trouve partout au Salon d'Anvers. Sa couleur et son soleil sont assez vrais, surtout dans son Petit pont en Touraine (552), mais son exécution est toute ficelles.

Moins vrais de tons que M. Thuillier, les tableaux de M. ACHARD, son compatriote, sont d'un faire plus conventionnel encore.

Examinons maintenant les œuvres de nos paysagistes nationaux. Nous avons constaté l'année dernière le pas immense que la vue des chefsd'œuvre de Calame avait fait faire à M. KINDERMANS. Dire que ce jeune artiste persévère dans l'excellente voie où nous l'avons trouvé lors de l'Exposition de Bruxelles, c'est dire assez que ses œuvres nouvelles continuent à lui assurer l'une des premières, sinon la première place de toutes, parmi nos paysagistes contemporains. Majesté de l'ensemble, vérité intime des détails, poésie du choix, richesse d'exécution qui ne doit rien à la ficelle, au chic, si on nous passe ces termes consacrés de l'atelier, mais à la science acquise dans l'étude, la méditation, le commerce familier de la nature; en un mot, idéalisme quant à la pensée créatrice de l'œuvre, naturalisme puissant, mais toujours sagement subordonné, dans la manière de l'interpréter: voilà, selon nous, les qualités saillantes et hautement remarquables qui caractérisent plus que jamais le talent de M. Kindermans. Nous avouerons cependant que sa Vue prise dans les bruyères des Ardennes (308) ne nous a pas semblé tout à fait irréprochable; à part le choix, l'effet général et l'exécution de certaines parties, comme la mare à droite et les pierres qui y trempent et qui sont magnifiques, quelques passages nous ont paru plus faibles. Ainsi par exemple, la touche påteuse et d'un fondu désagréable de ces grands arbres du second plan, d'un port d'ailleurs si majestueux et si fier.

Mais voici venir une page admirable à tous égards, splendide de loin, merveilleuse de près, qui attire, séduit, captive et retient; une de ces pages qu'on ne se lasse jamais de contempler, de méditer, que chacun voudrait posséder, et qui suffiraient seules à la réputation d'un homme. Chacun a nommé déjà ce poétique Crépuscule (309), un autre épisode, si nous pouvons le dire ainsi, et des plus solennels, et des plus attachants des bruyères ardennaises. Le soleil couché depuis longtemps déjà, n'a laissé dans le ciel que quelques rayons égarés dont les vapeurs du soir ternissent encore l'éclat. La nuit abaisse sur la nature son voile violet qu'un filet de lune, comme une agrafe d'argent, semble fixer à la voûte des

cieux. A l'horizon, une colline, baignée des derniers reflets du soleil, s'abaisse en fuyant vers la droite; une autre placée devant elle, incline au contraire vers la gauche; des bois taillis la couvrent; et sur sa crète quelques grands arbres que la cognée du bucheron a sans doute oubliés, se dressent comme les fantômes du soir, et découpent sur les vapeurs lumineuses du ciel leurs silhouettes aux formes moqueuses et bizarres. Puis en se rapprochant, sur la gauche, une plaine herbeuse, légèrement ondulée, avec son petit sentier qui serpente, sa croix de bois isolée au bord, dépositaire muet de quelque sinistre souvenir, mais dont le silence même, pareil à celui des tombeaux, semble être à la fois une prière en faveur des morts, un avertissement pour les vivants; et vis-à-vis de cette croix, et pour tout étoffage, un pâtre qui semble rêver à la funeste aventure qu'elle rappelle, deux boeufs aussi graves que la solennité de l'heure et du lieu. Enfin tout près de vous, une berge brodée de broussailles, et un petit ruisseau qui coule, entre de grosses pierres, son filet d'eau limpide et brillante, dont les chuchottements mystérieux, répondant de loin aux vagues bruissements des feuilles qui frissonnent sur leurs branches aux baisers de la brise, rompent seuls le silence profond de la nature qui s'endort. Oh! pour comprendre la nature et l'interpréter ainsi, il faut être plus qu'un peintre vulgaire il faut être un poëte.

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Et celui-là encore est un poëte dont le pinceau mélancolique a tant de fois bercé votre imagination et la nôtre de si vagues, de si calmes, de si chères rêveries; ce LOUIS KUHNEN, dont le talent tout germanique, va chaque année grandissant, et qui semble avoir concentré avec amour toutes les ressources de son génie d'artiste dans ce frais Paysage (323), ce Soleil Couchant d'un éclat si vrai, l'une des perles du Salon. Nous ne reprocherons pas à M. Kuhnen les tons violacés dont il a en quelque sorte inondé son calme et grandiose paysage; un sol bas coupé de flaques d'eau, le brouillard léger qui s'en élève et va se mêler aux nuages chargés de pluie dont le ciel est en partie couvert, l'humidité vraiment pénétrante dont toute cette nature est comme baignée: voilà, croyons-nous, ce qui explique suffisamment, et au besoin, ce qui excuserait l'emploi de ces tons d'une fraîcheur un peu froide, que l'artiste a répandus dans toutes les parties de son tableau, et qu'on serait peut-être tenté de blâmer au premier aspect, avant qu'un examen réfléchi n'en eût assez expliqué les motifs.

Rarement M. TAVERNIER nous a semblé mieux inspiré que dans sa Ferme en Flandre (521). Non que le sujet porte en soi de grandes ressources de poésie et d'intérêt; mais le cachet de vérité naïve que l'artiste a su imprimer à cette simple ferme assise au bord d'un chemin, adossée à la lisière d'un bois, lui donne un attrait singulier; ce qui prouve une fois de plus, qu'en peinture comme en poésie, le talent consiste moins à imaginer des choses extraordinaires, qu'à les exprimer convenablement, en donnant à ce mot toute

son énergie étymologique. Nous n'avons que bien peu de tableaux au Salon d'Anvers qui présentent autant de largeur de jour et surtout de vérité de soleil que celui de M. Tavernier. Malgré la touche des arbres, généralement trop lâchée chez cet artiste, et la monotonie d'exécution du chemin sur le premier plan, nous ne craignons pas de placer ce paysage, non seulement parmi les meilleurs qui soient sortis jusqu'à présent du pinceau de M. Tavernier, mais encore, comme qualités de nature et d'ensemble dans la couleur et les oppositions, comme l'un des plus remarquables de l'Exposition. Quant à ces Ruines d'un château féodal (522), dans lesquelles chacun a pu reconnaître l'antique et imposant château de Beersel, l'effet, quoique piquant et fantastique, comme il convient, paraît-il, à ce fantôme encore menaçant d'un autre âge plein de mystères et plein d'éclat, bien semblé quelque peu forcé. Il y a de la poésie dans sa Pêche à l'étiquette, effet de lune et de brouillard d'une certaine franchise de vérité; mais dont l'exécution semble accuser trop de rapidité pour être soignée.

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nous en a

Quittons maintenant un instant les brumes d'une si attachante mélancolie, les gras pâturages, les bruyères si poétiques, les collines boisées, les masures ruineuses d'une si magnifique puissance de tons, de nos bons Pays-Bas, pour suivre M. ED. DE VIGNE de Gand, dans une de ses plus souriantes excursions en Italie. Oui, venez réchauffer vos souvenirs, et si ce n'est vos souvenirs, votre imagination du moins, aux rayons de ce soleil de fête, de ce soleil d'Italie, qui répand avec ses chauds rayons sur sa terre de prédilection, de si gracieux, de si brillants, de si splendides trésors: fraîche guirlande de verdure et de fleurs, riche corbeille de fruits! Venez, et arrêtons-nous non loin de Civitella, l'antique Capena, près de cette cascatelle dont les eaux se précipitent à grand bruit à travers les pointes de rocher, bondissent au moindre obstacle, brillantes et blanches d'écume, pour retomber en neige et rebondir encore. Asseyons-nous au bord, sur cette pierre, à l'ombre de ces ramées si gracieusement penchées sur les flots, et dans le feuillage desquelles les rayons du soleil viennent se jouer avec les brises qui murmurent, avec les oiseaux qui chantent ! Et laissons flotter notre regard, à travers ce berceau de verdure et les brouillards du torrent, sur les montagnes boisées de ce lointain tout baigné de vapeur et de lumière !

A côté de ce charmant Paysage italien (190), M. Ed. De Vigne nous montre une vue des environs d'Audenarde (191), que nous aimerions autant qu'il n'eût point faite, ou tout au moins, qu'il n'eût pas exposée. Ce n'est pas là notre pays, mais bien une nature purement idéale.

Nous sommes heureux de constater un sensible progrès dans le talent de M. DELVAUX, directeur de l'Académie de Spa. Sa Forêt de Géronstère (175) est une des conceptions les plus originales qui se puisse imaginer. Sans paraître s'effrayer des difficultés pourtant redoutables de l'exécution, l'artiste s'est jeté, et nous avec lui, dans un déluge de troncs, de branches et

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de feuilles qui rappellent jusqu'à un certain point la luxuriante végétation des forêts américaines, et dont il a fini par se tirer tout-à-fait à son honneur. Il y a bien encore dans son feuillé quelque chose de sauvage, à la Van Asch, son maître; certaines personnes qui retrancheraient volontiers le vert du paysage, trouveront même un peu de crudité dans sa couleur; mais il n'en est point qui se refusent sans doute à rendre justice au choix si neuf, si piquant, si plein de majesté, de l'ensemble; au bonheur d'exécution de certains détails ainsi ces immenses ramées, à gauche, où les rayons joyeux du soleil vont s'égarant entre les feuilles; ainsi ces eaux profondes, à droite, qui se perdent dans l'épaisseur du bois, et dont l'obscurité mystérieuse contribue si puissamment à augmenter le charme poétique d'un site si poétique déjà. - La manière dont M. Delvaux a conçu son tableau, constitue une véritable innovation dans le mode de composition du paysage. Nous faisons des vœux pour que son talent, en se mûrissant chaque jour davantage, lui permette de tirer tout le parti dont ce genre, un peu fantastique et plein de ressource, est susceptible.

Il est peut-être bien un peu vert aussi ce poétique et ruysdalesque paysage de M. AUG. Boпм, cette vue prise sur les bords de l'Yvette, près de Longjumeau (58); mais à part ce léger défaut, si c'en est un, quel charme ne respire pas cette nature si calme, si puissante de végétation et en même temps toute imprégnée d'une teinte de mélancolie douce, qui fait rêver et qui attache! Depuis qu'il nous a été donné de faire connaissance avec le talent de M. Bohm, nous nous sommes senti une vive sympathie pour sa manière de comprendre le paysage, sympathie que chaque exposition confirme et grandit. Son autre vue des Bords de l'Yvette, Vallée de Chevreux (59), n'est qu'un tout petit tableau, une espèce d'esquisse poussée à sa vigueur comme tons, mais d'un grand laisser-aller de touche. M. Bohm n'a pas oublié de nous montrer encore cette fois quelques-uns de ces beaux dessins à la mine de plomb sur papier pelée tinté, repiqués au grattoir et à la pointe, faisant partie de cette collection d'études si intéressantes et si curieuses sur les constructions des XIIIo, XVI© et XVIIe siècles dans la ville d'Ypres, que la Société des BeauxArts, sur l'avis de la régence de cette ville, a eu l'intelligente pensée de Jui commander.

Un seul petit tableau, mais un véritable joyau, représente M. P. LAUTERS au Salon d'Anvers. C'est un charmant Chemin Creux (339), celui de Boitsfort, si nous ne nous trompons, qui court joyeusement entre ses berges sablonneuses, toutes chargées de broussailles aux mille allures diverses, toutes couvertes de beaux arbres dont l'élégante ramure arrête à demi les rayons du soleil et entretient la fraîcheur délicieuse du chemin. Nous ne savons s'il faut féliciter M. Lauters de la transformation de son exécution qu'atteste cette petite toile, et des allures un peu françaises qu'on y peut constater. Il y a, dans la manière d'entendre aujourd'hui le paysage chez

nos voisins, d'excellentes choses incontestablement, mais ce n'est pas à coup sûr l'exécution.

Deux qualités opposées semblent se développer parallèlement chez M. QUINAUX et caractériser de plus en plus son talent: une certaine vérité d'ensemble, parfois singulièrement heureuse, à côté d'un faire toujours plus conventionnel, surtout dans les détails. Ses œuvres sont un mélange curieux de vérités et de mensonges.

Ses ciels généralement pleins de vic, riches de composition et de variété de tons; ses coups de soleil d'un éclat si naturel; la composition de ses tableaux presque toujours remplie d'imagination et de grandeur, attestent chez ce jeune artiste de l'observation, une étude réfléchie de la nature, et le sentiment du beau; tandis qu'au contraire la touche de ses arbres traités par masses compactes, solides et quelques fois presque rocheuses, si nous l'osons dire ainsi, semblerait n'accuser plutôt qu'une connaissance peu approfondie d'un des éléments indispensables, essentiels, constitutifs du paysage. M. Quinaux nous paraît ne considérer la nature qu'à un certain point de vue, d'ailleurs important, et mépriser, ou au moins négliger, tout ce qui ne s'y rapporte pas directement. De là, quelque site qu'il peigne, vous pourrez trouver dans ses œuvres à peu près toujours les mêmes qualités et les mêmes défauts. On le croirait muni de quelque instrument d'optique qui lui fait très-clairement distinguer ceci, et l'empêche d'apercevoir cela. Quoi qu'il en soit, son Marais, Soleil couchant (452), fait un beau paysage, majestueux, d'un effet large et piquant, d'une remarquable vigueur de tons. Nous ne parlerons pas de sa Vue des environs de Fontainebleau (453), qui n'est sans doute, pour lui comme pour nous, qu'une simple ébauche.

Nous ne pouvons que citer les jolis paysages (463 à 466) de M. ROFFIAEN, dont les Vues de Suisse, tant pour le choix des sites que pour la manière de les rendre rappellent toujours son dernier maître, Calame, mais en l'exagérant. Nous ne croyons pas devoir l'en féliciter. Autant que personne peut-être nous goûtons, nous admirons tout ce qu'il y a d'excellence dans le talent de l'illustre Génèvois; et jamais pourtant nous ne voudrions dire à personne Faites ainsi. C'est qu'il y a quelque chose qui vaut mieux toujours que la meilleure imitation, qui est comme la pierre de touche du génie : ce quelque chose, c'est l'originalité. — En général, M. Roffiaen réussit mieux à peindre les seconds et les troisièmes plans que les premiers, qui sont presque toujours un peu durs. Ceci est surtout saillant dans son Glacier de Jungfrau (464), où il y a des passages des plus heureux. Nous ne cacherons pas à ce jeune artiste que nous trouvons dans son faire une certaine monotonie qui ressemble beaucoup à un parti-pris d'exécution, et qui ne laisse pas que de finir par fatiguer. Il nous semble qu'en général les peintres devraient se défier beaucoup de tout ce qui ressemble à un système, même dans les procédés pratiques dont ils se servent pour rendre leurs im

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