Page images
PDF
EPUB

en Belgique a pu admirer depuis quelques années, et aujourd'hui encore, les magnifiques toiles, à nos Expositions publiques. Il y a dans la manière de comprendre et d'interpréter la nature, et jusque dans la pâte, dans le manicment de la brosse, des airs de famille tout à fait saillants entre ces deux grands peintres du même nom. Un Paysage (41), poétique clair de lune, où tout respire un calme délicieux, depuis les vapeurs argentées de la clairière, depuis les grands arbres de la forêt, jusqu'à ces amants couchés sur la mousse du rocher, et dont on croit ouïr les chuchotements mystérieux mélés au frôlement des feuilles sèches que la brise de nuit fait rouler sur l'herbe et aux notes mélancoliques que le rossignol, ami des nuits sereines, se plait à confier au silence et à la solitude des bois ; Une Vue de Sicile (49), magnifique comme site, admirable de dispositions, d'un effet aussi vrai que grandiose, d'une touche riche, large et fixe tout ensemble : tel est le contingent fourni par M. Osw. Achenbach, pour ses débuts en Belgique, et qui lui assure parmi nous de vives et sincères sympathies.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Vous n'avez pas oublié sans doute cette âpre vue de Suisse, ce torrent sauvage et vagabond qui roulait ses eaux impétueuses entre les pierres du ravin, au pied des sapins noirs et sourcilleux, et qui était signée du nom de Steffan. Eh bien! toutes les qualités que vous admiriez à bon droit dans la sombre création du peintre de Munich, vous les retrouverez, et peut-être plus complètes encore, dans l'œuvre nouvelle qu'il nous montre aujourd'hui: Vue prise dans la haute Bavière (506). C'est encore un torrent, mais plus sauvage, plus vagabond que jamais; ce sont encore ces flots écumeux, irrésistibles, qui bondissent à travers d'admirables rochers tout fendus par l'eau et par la foudre; et ces noirs sapins qui dressent et balancent leurs funèbres pyramides dans les brumes du ciel. Mais voici qui est nouveau et qui ajoute singulièrement à la terrible poésie de cette étrange page. De sombres nuages descendus du ciel se tordent et tournoient en tous sens, envahissent la terre, ce châlet isolé, perdu sur les cîmes de la montagne, ces sapins gigantesques, et jusqu'aux eaux du torrent; et c'est de leur sein, comme d'un gouffre ténébreux et béant, comme de leur véritable source, qu'on voit celles-ci sortir et se précipiter avec une incroyable furie. Devant un semblable tableau, on ne sait ce que l'on doit le plus admirer, ou de la sauvage beauté de cette nature germanique, ou du talent de l'artiste à qui elle a inspiré une œuvre si grandiose et si belle.

Le passé n'est pas toujours, il faut en convenir, une garantie de l'avenir, ni même du présent ; et les plus mâles talents, comme les plus belles choses en ce monde, ont leurs jours de splendeur et leur époque de défaillance. C'est une loi de notre nature débilitée par la chute première et corrompue par le crime, d'apporter dès en naissant, dans la vie, les germes de la destruction et de la mort. Rien n'y échappe; et les plus fiers génies comme les plus vulgaires médiocrités en rendent chaque jour, de force ou de gré, le fatal et

-

irrécusable témoignage. — Or, c'était un grand peintre aussi que ce SCHIRMER, de Dusseldorf, dont chacun a pu admirer, dans la galérie du Roi, le grave et bean talent se déployant énergique et attachant dans un vaste paysage, d'une si remarquable exécution, d'une si splendide richesse de détails traités de main de maître; mais il faut le dire, et le dire à regret, il y a loin déjà de cette œuvre magistrale aux paysages (489 à 491) que le même artiste nous a envoyés aujourd'hui. Le choix des sites et la disposition générale attestent toujours un homme supérieur; mais l'exécution, mais la couleur, mais l'ensemble de ces tableaux, sont bien plus susceptibles de nous faire regretter ce qu'il fut, qu'admirer ce qu'il est.

Vous rappelez-vous encore ce tableau que Funck exposa à Anvers, il y a quelques années? C'était une vue du Tyrol. Les derniers rayons du soleil couchant empourpraient les crètes rocheuses et les glaciers des Alpes; tout dormait déjà dans la vallée qui serpentait au pied de la montague, et la nuit avait étendu sur elle un voile obscur et flottant de brouillard. C'était aussi beau d'exécution que de majesté et de poésie. En représentant le Kaisergebirge et les Tauren dans le Tyrol, pris des Alpes (590), M. METZ, de Munich, paraît s'être singulièrement inspiré du beau tableau de M. Funck, à moins que l'on préfère ne voir dans le choix presque identique du site, de l'heure du jour, et de l'effet des deux tableaux, qu'une de ces coïncidences aussi étranges que fortuites, une de ces rencontres nées du fond même de la nature qui les a inspirés l'un et l'autre. Quoi qu'il en soit, si l'on ne retrouve pas dans l'œuvre de M. Metz toutes les éminentes qualités qui brillaient dans celle de M. Funck, on y rencontre néanmoins ce cachet de grandiose et de vérité, cette atmosphère de mélancolie un peu sombre mais attrayante, appuyés sur une grande énergie de touche, qui caractérisent en général les paysagistes tudesques modernes, et qui leur assurent une place si élevée, si ce n'est la première de toutes, parmi les écoles contemporaines.

Que dire de la Vue du lac de Hallstads (278), de M. F. HENGSBACH, de Dusseldorf? Ceux qui ont vu les Alpes assurent qu'elle est d'une frappante vérité dans son aspect général; ceux qui n'ont visité les montagnes qu'en imagination et sur la foi des impressions de voyages, prétendent que c'est horriblement bleu, bleu jusqu'à l'impossible; mais un point sur lequel tout le monde semble s'accorder, et avec raison pensons-nous, c'est que la facture de ce tableau est d'une monotonie et d'un cotonneux des moins agréables. Les impressions, toutes favorables pour l'artiste, que l'on reçoit à la vue de ce lac aux eaux si tranquilles et si pures; de cette petite ville qui se mire blanche et proprette dans l'azur limpide du lac, et que surplombe un gigantesque rocher, dominé à son tour par les cimes couvertes de neige des Alpes ces impressions, disons-nous, l'exécution matérielle de M. Hengsbach vient malheureusement les atténuer, si ce n'est même presque entièrement les détruire. Cela est d'autant plus fâcheux qu'il y a à coup sûr chez

cet artiste les éléments d'un talent sérieux, mais qui aurait besoin de certaines réformes pour se développer convenablement et se compléter.

La Vue du Wetterhom (355), par M. LINDLAR, de Dusseldorf, suffirait seule pour placer son auteur parmi les maîtres de cette grande école. Disposition, couleur, vérité de jour, connaissance intime de la nature, manière heureuse de l'exprimer, rien ne lui manque; et pourtant, voyez avec quelle sollicitude touchante et éclairée, avec quelle docte et consciencieuse impartialité les commissions de placement remplissent leur mandat ! on a jugé convenable de le jucher au troisième ciel, si bien qu'il faut vraiment être possédé du démon de tout voir pour le dénicher et surtout pour l'apprécier comme il le mérite.

Terminons ce que nous avons à dire des paysagistes allemands en citant deux petits tableaux fort singuliers et qui rappellent à plus d'un égard la manière de Breughel-le-Vieux, des Savoyards conduisant des Animaux Sauvages (88), et une Chasse à l'Ours (89), peints par M. BURKEL, de Munich. Son Aqueduc dans la campagne de Rome (90), grandiose et bien disposé, est trop froid de tons et trop dur de touche pour être vrai.

Pour ne pas avoir à revenir sur les paysagistes étrangers, disons quelques mots des Hollandais et des Français ; il en est plusieurs, surtout parmi les premiers, qui figurent avec honneur à côté des maîtres des écoles allemandes.

M. KOEKKOEK, aujourd'hui comme toujours, marche à la tête des paysagistes hollandais; son Paysage boisé (318) est et restera probablement une des œuvres capitales de ce maître. Des chênes gigantesques, pleins d'étude, et d'une touche magnifique, tordent et déploient leurs mille branches noueuses, sur le premier plan. A leur pied, un chemin et une pelouse enrichis d'uu étoffage beau de couleur et grassement peint. Entre les broussailles et les taillis du second plan, on voit courir à l'horizon une suite de collines qui vont s'abaissant vers la gauche. Leur dégradation du lilas froid au rouge ardent dont les colorent ici les vapeurs de la vallée, là le soleil couchant, nous a semblé d'une rapidité qui tient de l'exagération. Le ciel aussi a bien quelque chose de conventionnel et qui rappelle de loin les tons et la disposition généralement en usage dans la peinture sur porcelaine. Nous ne chicanerons pas M. Koekkoek sur l'espèce d'affectation avec laquelle il a dépouillé le premier de ses grands chênes, du côté du spectateur, pour se donner la satisfaction sans doute de montrer le magnifique développement de sa vigoureuse charpente. Toutefois, quelque plaisir que l'on prenne à considérer cette végétation puissante et vraiment royale, ce plaisir nous semble bien chèrement payé quand il ne peut s'obtenir qu'aux dépens de la vérité. Or, M. Koekkoek a trop étudié la nature pour ignorer que, dans sa position vis-àvis de l'arbre voisin et vis-à-vis du soleil et du vent, ce chêne, loin de se dénuder par devant, comme dans sou tableau, devait au contraire prendre par

là un vaste accroissement au détriment de l'autre côté, à tous égards défavorablement exposé. Ainsi l'auraient voulu les lois de la végétation. Et elles n'auraient sans doute pas trop mal servi M. Koekkoek, puisqu'elles auraient évité à son tableau un certain air d'affectation un peu prétentieuse que nous lui avons entendu reprocher, même par certaines personnes qui ignoraient, ou paraissaient ignorer, le motif vrai et radical de cet aspect anormal: la violation d'une loi de la nature. A part ces quelques défauts, d'une assez médiocre gravité d'ailleurs, l'œuvre du peintre de Clèves demeurera toujours l'une des plus belles expressions de la nature paisible et souriante.

Parmi les meilleurs tableaux et aussi les plus maltraités par la commission de placement, il faut compter un grand Paysage boisé (277) tout-à-fait ruysdalesque de M. F.-H. HENDRIKS, d'Oosterbeek près d'Arnhem. Il serait difficile de traiter avec une vérité plus simple et cependant aussi frappante certains détails vraiment admirables, tels que les troncs de ces deux bouleaux à droite, et cet autre renversé et trempant à demi dans l'eau; tels encore que ces magnifiques bardanes sur le premier plan, qui croissent là si naturellement, avec un laisser-aller si bien compris, et sans que l'artiste hollandais ait cru devoir, — à l'exemple de beaucoup de ses confrères, leur menager une petite place toute proprette et leur faire une toilette préalable et bien soignée, de façon à leur donner la ridicule apparence d'une belle plante de serre qui se morfond dans son pot. Disposition sage, couleur sévère, touche riche, connaissance intime de la nature, telles sont les qualités les plus saillantes de ce beau paysage.

Dans un immense tableau, intitulé Henri II, Roi de France (325), et qui, sous les dehors brillants d'une halte de chasse royale, cache toute une page d'histoire, et des plus fécondes encore en graves événements pour notre patrie, M. A. KUYTENBROUWER, de La Haye, nous donne un échantillon de son talent et comme paysagiste et comme peintre de genre. Sa manière nous semble relever à la fois de l'école allemande et de l'école française, tant pour la gamme de ses tons que pour la nature de sa pâte. Sa couleur pourra peut-être paraître un peu froide et monotone, quelques passages mêmes brossés trop cavalièrement; mais l'on ne saurait assez rendre justice à l'aspect grandiose et tout royal du paysage; à l'habile distribution de la lumière; au groupé bien compris des nombreuses figures, occupant, suivant leur importance, une place convenable et qui suffirait presque seule à la parfaite intelligence de la scène représentée par l'artiste : Henri II s'avance sur le premier plan, sans suite et sans gardes, en compagnie du prince d'Orange, à qui il découvre, au milieu des épanchements d'une causerie intime et familière, tous les desseins du Roi d'Espagne à l'égard du protestantisme dans les Pays-Bas; ces deux figures principales se détachent parfaitement de toute la cour qui prend ses ébats, fort noblement d'ailleurs, à une distance très-judicieusement menagée sous les arbres magnifiques de la forêt.

Gardez-vous de ne pas prêter une attention sérieuse à deux paysages, l'un, une Vue prise aux environs de Dordrecht (78), assez mal placée du reste pour qu'il ne soit guère possible de l'examiner à l'aise; l'autre, une Vue des environs de La Haye (79), un peu moins sacrifiée quant au placement, et qui est une des œuvres les plus originales du Salon. Ces deux tableaux sont signés P. M. BROUWER, de La Haye. Si vous connaissez la Hollande, vous la reconnaîtrez là toute entière avec son terrain bas et sablonneux, sa verdure blonde, son ciel nuageux fouetté par le vent de mer, son soleil blafard, et son atmosphère d'humidité qui descend du ciel et qui monte de la terre. Si vous ne la connaissez pas, arrêtez-vous davantage encore, et avec M. Brouwer pour interprête, vous apprendrez à la connaître, nous osons vous le garantir.

Parmi les trois Paysages (201 à 205) envoyés par M. P.-L. DuBourcq, d'Amsterdam, nous ne citerons que sa Vue prise dans la bruyère à l'approche d'un orage (203), dont le ton général très-vrai rappelle notre naïf David Teniers. C'est en faire assez l'éloge.

Trois paysagistes français de talent, dont un Grand-Prix de Rome, M. ACHILLE BENOUVILLE, nous ont envoyé quelques toiles dignes d'attention. M. Benouville n'a pas encore épousé, quant à la facture, toutes les fantaisies, tous les caprices de l'école française moderne. Non que son exécution soit vierge de ces petits moyens qu'on est convenu d'appeler ficelles, en termes de pratique, et qui sont devenus la base, peu solide il est vrai, d'une foule de talents en France; mais chez lui les envahissements de la ficelle, puisqu'ainsi on la nomme, n'ont pas encore acquis ces proportions désespérantes qui étouffent et remplacent trop souvent tout le reste chez nos voisins. On peut constater dans sa Vue prise dans le parc della Riccia aux environs de Rome (51), des qualités d'observation remarquables. Toutefois, à qui connaît la nature italique, il sera permis sans doute de trouver la couleur de M. Benouville un peu froide et son soleil bien décoloré. Comme entente de la composition et comme art de rendre certains détails, on doit reconnaître dans son tableau des preuves d'un talent sérieux, d'un vrai talent d'Académicien de France. C'est aussi en sa qualité de Grand-Prix et d'Académicien de France à Rome, que M. Benouville étoffe ses paysages de figures qui sont fort peu étoffées elles-mêmes. Ainsi le veulent les lois vénérables du paysagehistorique, lois consacrées par l'usage antique et solennel. >> Car M. Benouville est un paysagiste-historique, seul titre devant lequel s'ouvre à deux battants la porte de la loge aux aspirants du prix de Rome. C'est que, voyez-vous, un concours de Rome, c'est quelque chose d'éminemment classique, et qui dit classique, dit déshabillé. O civilisation! C'est toujours en vertu

de ces belles lois académiques que M. Benouville gâta d'une Salmacis et d'un Hermaphrodite, décolletés jusque sous la plante des pieds, une admirable Vue du lac de Némi, qu'il exposa à l'Académie de France à Rome en

« PreviousContinue »