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sont d'une forte belle exécution. Nous devons en dire autant des draperies larges, bien jetées, d'un partis-pris simple et grandiose, d'une grande puissance de tons, du Christ et de Judas. Il y a seulement, dans le manteau pourpre du premier, certains luisants très-vifs qui nous ont paru convenir davantage à une étoffe de soie qu'à un tissu de laine. La couleur de sa tunique est magnifique de vérité et d'opposition. Le contraste des tons froids du ciel baigné des rayons de la lune, et des brûlantes clartés dont la torche illumine les figures, produit le meilleur effet. Il rappelle, comme du reste tant d'autres choses dans le beau tableau de M. Verlat, dont le talent s'est sensiblement modifié et développé dans le sens de notre grand peintre tournaisien, la nature d'oppositions du Comte d'Egmont et de la Tentation de M. Louis Gallait. C'est à peu près la même gamme de tons énergiques et un peu sombres, où toute la puissance de la palette paraît épuisée; c'est le même soin de concentrer son foyer lumineux; c'est une attention semblable, sinon encore un talent égal, d'apporter dans toutes les parties de son œuvre, les têtes et les mains surtout, un scrupule d'exécution remarquable, et dont Gallait et De Keyser paraissaient tout récemment encore avoir seuls ou presque seuls, le secret en Belgique. Nous ne ferons point de mauvaise chicane à M. Verlat pour cette tête de soldat jeune et imberbe que vous apercevez, le nez au vent, sur le troisième plan. Sa position tout à fait secondaire dans le tableau, où il ne joue guères que le rôle modeste de bouche-trou, nous donnerait mauvaise grâce d'y appeler votre attention; nous ne serions pas fàché pourtant d'éveiller à son égard celle du jeune artiste. Son œuvre a trop de qualités, et des qualités trop éminentes, pour qu'il ne s'efforce pas d'en faire disparaître tout ce qui pourrait la déparer.

En résumé, M. Verlat s'est rendu digne, par ce brillant essai dans le genre religieux, non seulement des plus sincères encouragements, mais encore à beaucoup d'égards, des éloges les mieux mérités. Son tableau est indubitatablement un des meilleurs du Salon.

Nous ne ferons que mentionner ici son Chien du mont Saint-Bernard (645), d'ailleurs fort bien peint, mais dont le fond cru et passablement faux atteste plutôt son ignorance de la nature alpestre, qu'il n'a pas eu l'occasion d'étudier sur les lieux, qu'un parti pris, une manière conventionnelle de le rendre.

En voyant, sortis de la même mains, deux tableaux aussi différents que le Baiser de Judas et le Portrait d'un Chien, quelques personnes en ont manifesté leur étonnement. Il en est même qui, loin de féliciter le jeune peintre anversois de sa facilité à rendre convenablement plusieurs genres, lui en ont fait un crime. Soit inconséquence, soit mauvaise foi, elles n'ont point réfléchi, ou voulu réfléchir, à cette vérité importante dans la pratique de l'art que rien ne peut être étranger au peintre d'histoire, s'il veut dans tous les sujets que son inspiration on les circonstances lui feront aborder, ainsi que dans toutes les parties de son œuvre, être à la hauteur de son entreprise et demen

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rer digne de lui-même. On n'a jamais blàmé, que nous sachions. Raphaël, Rubens, Van Dyck et tant d'autres grands maîtres, d'avoir, dans leurs pages d'histoire religieuse, su peindre convenablement les chevaux, les chiens, etc., ni de s'y être exercés dans des études spéciales et des tableaux qui en ont fait à l'occasion de vrais peintres d'animaux. Aujourd'hui encore nous n'avons jamais entendu reprocher à M. De Keyser ni ses magnifiques chevaux, à cause, par exemple, de cette Pietà si religieusement sentie, que vous savez, ni cette même Pietà à cause de ses chevaux et de ses chiens. Et cela est tout simple; un pareil blâme ne serait qu'un grossier non-sens. Ou il faut abolir tous les animaux, c'est-à-dire tronquer la vérité historique et locale, d'une foule de sujets religieux où ils sont absolument nécessaires, ou il faut au moins. permettre à l'artiste, qui se trouvera peut-être demain dans la nécessité d'aborder un de ces sujets, de se préparer dès aujourd'hui à s'en tirer d'une manière un peu convenable. La science ne s'improvise pas en une nuit. - A moins que ces personnes à critique légère, pour ne rien dire de plus, ne retranchent d'un trait de plume tous ces sujets-là du nombre de ceux dont les peintres d'histoire religieuse ont le droit de s'inspirer; ce qui ne laisserait pas que de nous sembler passablement arbitraire. A moins encore peut-être que, par une horreur du naturalisme, au moins étrange chez elles, elles ne préfèrent les bêtes idéales, par exemple les chevaux de plâtre hideusement ombrés à l'estompe, dénués de toute espèce de poils et de vie, de M. Camuccini, dans son grand tableau de la Conversion de St-Paul, placé à l'un des autels de la Basilique de St-Paul-hors-des-murs, à Rome, ainsi que les chevaux et les chiens de carton-pierre parfaitement ridicules de quelques autres illustres idéalistes, à l'admirable louve de Rubens au Capitole, aux beaux chevaux des fresques de Raphaël au Vatican, et sans aller si loin, aux chiens plein d'ardeur, de nature et de vie, aux magnifiques chevaux du grand maître anversois et de son élève Antoine Van Dyck, dont les Musées et les églises de la Belgique, les galéries de l'Angleterre et de l'Allemagne fournissent de si remarquables exemples.

Pas plus qu'au dernier Salon de Bruxelles, notre école ne brille encore par le sentiment religieux. Nous avons eu occasion de dire à ce propos notre façon de penser sur les motifs vrais, profonds, radicaux de cette déplorable lacune. Nous n'y reviendrons pas aujourd'hui. Remarquons seulement, et à regret, qu'à part le beau tableau de M. Mathieu, et celui de Ch. Verlat, dont nous venons de parler, on ne trouve presque rien en ce genre à l'Exposition d'Anvers qui soit digne d'une sérieuse analyse. Nous devons excepter cependant le Christ au tombeau (631), de M. J. VAN SEVERDONCK, destiné à l'église de N.-D. à Namur. Malgré la détestable place, au-dessus de la porte d'entrée, qu'on a cru devoir lui assigner, il est à peu près possible de découvrir maintes bonnes qualités dans la grande page du jeune peintre bruxellois. Entente générale de la composition; expressions variées

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et senties; poses naturelles; quelques draperies bien jetées, surtout le manteau ronge, tout à fait vénitien, de Joseph d'Arimathie, sur le premier plan à gauche; jour assez large, malgré le ton général un peu gris tels sont, croyons-nous, les caractères principaux qui recommandent le tableau de M. Van Severdonck. Les deux têtes de vieillards à gauche, le mouvement plein d'une douloureuse tendresse de la Madeleine, sont surtout dignes d'attention. Nous aimons moins le corps du Christ, quoiqu'il accuse bien le cadavre; quant à la tête du St-Jean, véritable type de modèle d'atelier qui se croit lui aussi un artiste, un personnage, parce qu'il porte ses cheveux noirs et pommadés à la Jeune France, et une barbiche proprement taillée, nous devons avouer qu'il ne nous semble avoir rien, mais absolument rien de commun, avec ce disciple bien-aimé, cet angélique fils de Salomé qui mérita de reposer sa tête virginale sur la poitrine de son Sauveur et de son Dieu. Cette tête de St-Jean l'Evangéliste est-elle donc devenue une pierre d'achoppement pour nos artistes qu'elle n'ait réussi ni à M. Mathieu, ni à M. Van Severdonck, et cela dans le même sujet? Nous avons déjà dit un mot, à propos de l'Exposition de Malines, de la Madeleine pénitente (630), heureuse d'effet, assez belle de sentiment, mais d'une exécution un peu lâchée dans plus d'un passage, - du même artiste (1);

nous n'y reviendrons pas ici.

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Que dire maintenant des deux fantaisies, assez souriantes du reste, L'Heureuse Mère (628) et La Glaneuse (629), qu'a encore exposées M. Van Severdonck, sinon que c'est une chose fâcheuse pour ces jolies jeunes femmes et ces grâcieux enfants d'être réduits à exposer leurs fraîches couleurs aux influences pernicieuses de ce vilain ciel vert tout uniment impossible?

Mme AMÉLIE CHAMPEIN, dans sa Vierge après la mort du Christ (108), a évidemment visé, jusque dans la couleur, à rappeler ce sentiment intime, un peu mystique, dont M. Henry Scheffer avait empreint les œuvres qu'il nous a envoyées à Bruxelles l'an dernier. Nous ne pouvons l'en blâmer. Mais a-t-elle réussi? Nous laissons à d'autres le soin de le décider.

Signalons encore dans le genre religieux, la Madeleine repentante (210), de M. P. Dumortier, où l'on remarque de bonnes intentions; la Vierge Consolatrice (428), de J. PAUWELS de Gaud, qui promet. La tête de la pauvre mère surtout, qui porte son enfant malade est d'une douleur suppliante bien rendue; et parmi les épisodes bibliques: le bon Samaritain (226), de M. XAVIER EVERAERT, de Louvain, qui a un peu trop l'air de poser académiquement pour le public, et dont la couleur n'est pas flatteuse; mais où l'on trouve des éléments d'avenir. Ce n'est point non plus par le charme de

(1) Salon Belge, article Beaux-Arts, dans le N° d'août, pag. 244 et suiv.

sa couleur que brille Joseph dans la prison, expliquant des songes du grand Echanson et du grand Panetier (55), de M. J. BERTOU. Mais un dessin géné ralement correct, une bonne entente de la composition, une certaine grandeur de style, comblent jusqu'à un certain point cette lacune.

Passons à d'autres genres.

A tous seigneurs tous honneurs. Puisque les paysagistes allemands ont les honneurs du Salon d'Anvers, commençons par les Allemands.

Il n'est pas que vous n'ayez assisté quelquefois à l'un des plus gran→ dioses, des plus magnifiques, des plus solennels spectacles que la nature puisse offrir à la contemplation de l'homme: à un coucher du soleil. Mais avez-vous vu un coucher du soleil aussi solennel, aussi magnifique, aussi grandiose que celui (687) dont M. ANTON ZWENGAUER, de Munich, s'est fait le hardi et digne interprête? En vérité, à moins que vous ayez assisté à la chute du jour dans la campagne romaine, vous nous permettrez d'en douter.

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C'est donc un site extraordinaire, une vue prise au bout du monde, dans quelque pays presque inconnu, dont la douce ou sauvage beauté n'a rien perdu encore de sa poésie native, mélancolique et virginale, majestueuse et noble, âpre et sombre? Mon Dieu, non! M. Zwengauer n'est pas sorti de son pays, il n'en a pas même recherché, avec une sorte d'affection, la partie la plus accidentée, la mieux réputée, la plus à la mode parmi les artistes; non, assurément. Pour trouver le motif d'un chef-d'œuvre, il lui a suffi, un jour d'été que la chaleur avait été excessive, de s'attarder dans les champs; et pour l'exécuter, d'écrire le lendemain sur la toile, avec son pinceau, les impressions de la veille. Cela est bien simple, n'est-il pas vrai? et pourtant c'est ainsi que se font les chefs-d'œuvre. Dieu et la nature dont il est l'auteur, où il a imprimé le sceau divin de sa puissance et qu'il a irradiée des reflets de sa beauté, éveillent en nous quelque vive et profonde émotion, font vibrer, comme les cordes d'un luth sous les doigts inspirés, les fibres les plus sensibles de l'imagination et du cœur; et voilà que le génie ainsi excité, ainsi fécondé, si nous pouvons le dire, et réagissant en quelque sorte sous l'effort de son activité propre, commence ce travail plein de joies ineffables et si souvent d'immenses douleurs, et qui n'est autre que la gestation et l'enfantement d'une œuvre de l'intelligence. Joies, douleurs respectables! et qui sont souvent le seul prix véritable la meilleure récompense et le plus cruel châtiment du privilége ou du malheur d'être un esprit d'élite. Et voilà comment le poëte chante, comment l'artiste peint! Non par un effort froidement calculé d'avance, mais avec la spontanéité de l'inspiration soutenue par l'énergie de la volonté et appuyée sur la science.

Dieu parle au génie de l'homme par la voix mystérieuse et hautement intelligible aux heures de recueillement de la pensée et du cœur, par la voix de cette nature qui est à la fois le vaste poëme et le splendide tableau de sa grandeur et de sa bonté; et le génie de l'homme, semblable à un écho de la

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parole divine, s'ébranle, s'émeut, répond! Et plus son émotion a été soudaine et profonde, plus sa réponse a été fidèle, plus aussi son œuvre est parfaite, parce qu'on y retrouve davantage et plus saillante l'empreinte de cette beauté idéale et souveraine dont il a saisi et fixé quelques traits épars dans le monde des réalités sensibles; plus aussi son action est puissante sur l'esprit et le cœur des autres hommes, en qui Dieu a déposé le même amour instinctif, si ce n'est toujours une intelligence semblable, du beau et de la nature qui en est le signe. Et c'est pour avoir été ainsi vivement impressionné, c'est pour avoir su traduire avec un merveilleux bonheur ses impressions sur la toile, que M. Zwengauer a fait une œuvre à la fois si admirable comme art, et d'un effet si saisissant pour le spectateur.

Voici d'ailleurs le canevas fort simple de son tableau: quelques collines boisées à l'horizon, qui dessinent sur l'or du ciel, la ligne sévère de leur masse obscure et légèrement empourprée. Du pied des collines jusque sur le premier plan, une suite de marécages coupés de joncs et de digues étroites, aux eaux profondes et calmes, inondées des reflets du ciel, lumineux là-bas, obscurs et mystérieux ici. Le soleil vient de disparaître, mais il a laissé derrière lui comme une trainée de feu qui embrase les vapeurs montant de la vallée, et qui illumine une partie du ciel. A gauche, de sombres nuages que la chaleur du jour a amoncelés, s'avancent menaçants et chargés d'orages, et déjà l'on peut voir de loin la pluie tomber à torrents. Deux canards sauvages, sortis d'entre les roseaux, dont l'un glisse silencieux sur les eaux obscures, en laissant derrière lui un léger sillon d'or, dont l'autre prend sa volée vers la mare voisine, rompent seuls le silence solennel et l'immense solitude de cet admirable désert. Voilà tout. Mais le ciel est si brillant et d'une dégradation, d'une fonte de teintes si vraie, qu'il paraît, comme dans la nature, verser de la lumière et vaciller devant l'œil; mais ces collines, mais cette eau sont d'une justesse de tons si étonnante et par là même d'une illusion si parfaite, qu'il semble que l'art ne puisse pas aller plus loin; mais toute cette page enfin est inondée d'une poésie si grande et si simple, d'un charme si séduisant, qu'on ne peut la contempler sans éprouver peu à peu l'influence d'une sorte de fascination magique qui vous fait oublier le temps et les objets qui vous entourent; et l'on se demande, tant l'impression est vive, si l'on n'est pas le jouet privilégié de quelque éblouissant mirage; si tout cela n'est point un rêve, rêve enchanteur comme les féeries de l'Orient, mais comme elles trompeur et fugitif, quelque évocation fantastique dont un génie bienfaisant se plait à charmer nos yeux; et alors on se prend tout à coup à trembler de la voir disparaître et de revenir soi-même, toujours trop tôt, aux réalités de chaque jour, moins belles hélas! et moins brillantes!

Voici venir un nouveau et bien remarquable représentant de l'école de Dusseldorf, M. Osw. ACHENBACH, frère cadet, sinon de naissance, ce que nous ignorons, du moins comme talent, de l'illustre A. Achenbach, dont chacun

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