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(238), de Mme GEEFS, dont l'exécution répond tout à fait au sujet; Loups se disputant une proie (644), de CH. VERLAT, si beaux d'énergie, si fiers de touche, si vrais de couleur; à cette Première leçon (257), de Godinau, de Gand; à cette Confidence (246) de M. GEIRNAERT, de la même ville, et dont nous aurons l'occasion de parler un peu plus loin: à ce St-Louis captif, refusant la dignité de Soudan (50), de BELLEMANS, plein d'excellentes intentions; et à quelques autres œuvres encore déjà exposées antérieurement, et que nous pourrions citer, si nous n'avions hâte d'aborder l'examen des nouvelles productions nationales et étrangères qui ornent le vaste et beau local de l'Exposition.

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A l'exception de quelques rares tableaux religieux, auxquels on pourrait ajouter à la rigueur deux ou trois épisodes historiques bien traités, la haute histoire n'est guère représentée au Salon d'Anvers, qui brille surtout par le genre et le paysage, et où l'absence de quelques hommes d'un talent hors de ligne, dans les diverses spécialités de l'art, se fait vivement sentir. C'est ainsi que nous avons eu le déplaisir de ne rien rencontrer ni de Gallait, le premier peintre d'histoire de notre pays, l'un des artistes les plus complets des temps modernes; ni de Charles Tschaggeny qui a su donner tant d'intérêt à un genre par soi-même si souvent insignifiant; — ni de Bossuet qui nous a révélé l'Espagne dans toute sa merveilleuse poésie, avec son ciel d'azur et d'or, avec ses montagnes escarpées qui y baignent leur front blanc de neige, avec ses palais mauresques et ses églises gothiques : mirages de l'Orient ou rêves du paradis! avec son peuple grave et brillaut, aux poses superbes et aux vives manières, aux costumes riches et pittoresques, aux mœurs chevaleresques, mélange parfois si bizarre de religion et de galanterie ; ni même de ce De Block à la palette brillante et vigoureuse, mais qui, en quittant Anvers pour s'établir à Bruxelles, paraît bien quelque peu avoir oublié d'emporter le souvenir. Quant à l'absence des premiers, nous nous en étonnons moins que nous ne la regrettons. A prendre les choses au pis, ce n'est après tout qu'une mesure de représaille, assez légitime, il faut bien l'avouer, contre les chefs de l'école anversoise qui ont contracté depuis longtemps la singulière, d'autres diraient peut-être, la prudente habitude de briller par leur absence, partout ailleurs que chez eux. Mais à vrai dire, le châtiment dépasse la faute; et M. Gallait en privant le Salon d'Anvers d'une de ses merveilleuses pages, si profondes de pensée, si admirables d'exécution, a eu le double tort, pensons-nous, de punir Anvers plus encore qu'elle ne le méritait, et de se priver lui-même d'un nouveau triomphe, d'un triomphe assuré, grâce à cette incontestable suprématie de talent, que la comparaison directe ne pouvait que confirmer. Mais en considérant les choses de plus haut, nous ne pouvons que déplorer cette habitude, et si nous osons le dire, cette manie des rivalités modernes, de s'isoler ainsi chacune dans son camp, sans oser ou vouloir jamais descendre

ensemble et se mesurer dans le champ clos des expositions publiques. Et pourtant ces joutes du génie fécondé, développé par la science, mais dans des directions différentes, de combien d'enseignements utiles à tout le monde ne seraient-elles pas l'occasion naturelle ?

C'est donc spécialemeut, presque uniquement de l'école d'Anvers, et comme nous le disions tout à l'heure, de l'école allemande mais de celleci, représentée surtout par le paysage que nous aurons à apprécier les productions. C'est pourquoi nous ne croyons pas inutile de donner à ceux de nos lecteurs qui pourraient les ignorer, quelques indications générales touchant ces deux écoles. Elles pourront servir d'introduction à l'Exposition.

Dans notre revue du Salon de Bruxelles de l'an dernier, nous avons eu l'occasion, à propos de la peinture religieuse, de dire un mot en passant de la naissance de l'école allemande moderne et de la nature d'influences qui en dirigea le développement. Nous nous sommes appesanti quelque peu sur l'œuvre accompli par l'illustre Overbeck, le promoteur du mouvement, celui qui, dans l'art, donna le premier couplequel fut pourtant le coup de mort parce qu'il était porté de main de maître au clacissisme payen en vogue depuis trois siècles. Puis, résumant brièvement les diverses qualités éminentes de sa manière d'entendre et de pratiquer l'art, nous faisions un appel à tous les peintres d'histoire religieuse de bonne volonté dans notre pays, les conviant, au nom des exigences légitimes de ce genre élevé, au nom de leur propre intérêt bien compris, d'entrer enfin dans cette voie si humblement ouverte mais si glorieusement parcourue par l'illustre bourgeois de Lubeck; dans cette voie éminemment catholique, où la pensée et la science se prêtent un mutuel et merveilleux secours; où le sentiment le plus délicat des convenances préside toujours aux conceptions de l'artiste; où les plus exquis, les plus suaves parfums de foi et de piété semblent embaumer son œuvre, s'il est permis de le dire ainsi, d'un charme fascinateur de religieuse séduction, dont il est impossible à tout homme qui sent de se défendre. Depuis, dans un travail (1) publié tout récemment, nous avons eu occasion de dire encore quelques mots de l'école allemande. Remontant aux faits antérieurs à l'œuvre d'Overbeck, et précurseurs de celui-ci, nous avons résumé en quelques pages l'histoire abrégée du vaste mouvement de protestation de l'esprit moderne contre le classicisme antique, et nous nous sommes efforcé d'indiquer comment, du conflit qui en résulta, naquit ce Romantisme (nom d'ailleurs inexact), qui, sorti de la Germanie, devait faire le tour du monde intellectuel pour en changer la face. Ce que nous avons

(1) Quelques pages de critique à propos des Recherches biographiques de M. ANDRÉ VAN HASSELT sur les Van der Weyden; première partie. Revue de la Flandre, T. IV, pag. 176 et suiv.

dit alors nous dispense de nous appesantir aujourd'hui sur cet ordre de considérations à l'égard de l'art allemand, si magnifiquement représenté au Salon d'Anvers. Nous n'y ajouterons qu'une seule remarque: c'est que l'impulsion renovatrice, préparée par les littérateurs et les savants, mais donnée à l'art en Allemagne, et depuis dans le monde, par l'immortel Overbeck, ne s'arrêta pas exclusivement à l'histoire religieuse, ni même à l'histoire en général ; mais, grandissant chaque jour davantage, son influence gagna de proche en proche toutes les parties de l'art, et bien que modifiée suivant les genres et les lieux, on put bientôt en constater les conséquences directes jusque dans le paysage lui-même. Le remarquable contingent fourni à l'Exposition d'Anvers de cette année par les artistes tudesques, suffirait à la confirmation de ce fait bien digne d'attention, et d'ailleurs incontesté.

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Suivant ensuite ce mouvement renovateur dans sa marche progressive, mais sans cesse modifiée et diversément dirigée à travers l'Europe, nous nous sommes arrêté avec intention à en examiner la venue tardive dans notre pays, à constater les influences qui y présidèrent à son développement. Nous avons dit comment des jeunes gens d'avenir, formés d'abord à l'admiration plus encore qu'à l'intelligence approfondie de Rubens, et qui sont devenus depuis des maîtres distingués, s'en étaient allés puiser dans les ateliers de Paris, avec ces exagérations si souvent extravagantes du romantisme français, une haine profonde du vieux classicisme détrôné; haine, assez légitime au fond, mais avec un enthousiasme de récente convertie et qui ressemblait fort au fanatisme du sectaire, ne pouvant se contenir dans les bornes d'une juste réformation, tant le souvenir d'une longue servitude aiguillonnait son ardeur, condamna sans exception tout ce qui se rattachait à l'ancien régime artistique; et ne faisant nulle distinction entre ce que celui-ci renfermait de conventionnel et de faux ou avait conservé de raisonnable, méprisa le dessin par exemple, cette partie pourtant si essentielle de l'art, avec une superbe, disons le mot, avec une impudence qui n'avait d'égales que les intempérances furibondes de sa couleur. Nous ajoutions que cette jeunesse, ainsi émancipée du joug antique pour passer sous celui de la mode parisienne, ne remonta point, comme en Allemagne, jusqu'aux origines de l'art national, mais que, fascinée d'abord par l'éclat de la palette si brillante de Rubens, comme elle devait se laisser séduire un peu plus tard par la magie du clair-obscur de l'école hollandaise, elle se tint toujours en deçà de la Renaissance; sans demander jamais, même dans l'art religieux, aux vieux maîtres catholiques de Tournay, de Bruges, de Bruxelles, etc., des enseignements qui lui eussent été cependant si utiles. De ce que nous venons de rappeler succinctement sur la naissance et les développements de notre école moderne, et par elle nous entendons surtout ici l'école d'Anvers, que le temps, l'expérience et le contact d'autres écoles devaient perfectionner sans en changer sensiblement la direction,

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il est aisé de conclure que ce n'est point en général ni le sentiment religieux, ni même une entente magistrale de la haute peinture historique; ni un dessin savant, sévère, châtié, que nous pouvons lui demander; mais bien cet éclat de la couleur, cette puissance de tons, cette énergie si savante du clair-obscur, qui semblent en quelque sorte innés chez elle, et qui lui assurent une place spéciale, une place presque unique entre toutes les écoles contemporaines.

Et maintenant voyons si un examen détaillé, consciencieux des œuvres d'art exposées au Salon d'Anvers de cette année, légitimera, confirmera cette appréciation rapide et générale.

S'il nous fallait suivre ici la hiérarchie de position, et nous pourrions dire jusqu'à un certain point, celle du talent, nous ferions comme tout le monde : nous commencerions ce compte-rendu par l'éblouissante page de M. le baron Wappers, directeur de l'Académie d'Anvers, peintre du Roi, etc.; mais nous n'en ferons rien, par un motif fort légitime que nos lecteurs comprendront sans peine et sauront apprécier. Nous adressant d'abord et spécialement aux Gantois, nous ne pouvons mieux faire, pensons-nous, que de commencer, par rendre hommage tout à la fois, et au courage désintéressé d'un des leurs, et au beau talent de l'artiste, qui lui a donné en quelque sorte une nouvelle sanction, une nouvelle immortalité, celle du génie, en lui consacrant tous les trésors de son pinceau. Nous venons de nommer le Dévouement de Corneille Sneyssone (162), par M. N. De Keyzer.

C'était en l'an de grâce 1437; les Brugeois longtemps révoltés venaient de crier merci à Monseigneur de Bourgogne, alors dans toute sa gloire. Le renom de Philippe franchissant les mers avec les produits de ses riches provinces, retentissait à Constantinople encore chrétienne mais déjà chancelante, et pénétrait, avec ses largesses vraiment royales, jusqu'à Jérusalem où il n'était appelé que le grand duc d'Occident (1). Jouissant enfin des avantages de la paix, la Flandre réparait ses désastres et puisait dans l'activité de ses habitants, dans la prospérité toujours croissante de son industrie, dans l'extension de ses relations commerciales, une source nouvelle de richesses, en même temps qu'un aliment nouveau pour son esprit d'indépendance. Plus fiers que jamais, les Gantois se montraient aussi plus que jamais jaloux de leurs priviléges, et la moindre tentative du souverain pour y porter atteinte devait devenir le signal de quelque acte non équivoque d'insubordination. A cette fierté naturelle, qu'entretenait le sentiment de leur force, venait se joindre chez les Gantois un sourd mécontentement contre Philippe-le-Bon

(1) On sait que Philippe-le-Bon reçut de Constantinople une ambassade pour l'engager à secourir l'Empire grec; et que chaque année, il envoyait mille ducats aux chrétiens de Jérusalem.

qui ne pouvait leur pardonner de l'avoir abandonné devant Calais, et qui dissimulait mal sa rancune. D'ailleurs, satisfait de la facilité avec laquelle son autorité s'exerçait à Bruges, depuis la soumission de cette ville, Philippe nourrissait le secret espoir de réduire Gand au même état, et loin de chercher à diminuer le mécontentement des Gantois, il ne paraissait s'étudier qu'à leur fournir le motif d'un éclat, pour se procurer à lui-même, avec les apparences du bon droit, l'occasion de sévir rigoureusement contre une ville dont la puissance le gênait et qui lui avait déjà donné de si sérieuses inquiétudes.

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Enfin en 1448, sous prétexte de couvrir les frais d'administration, Philippe voulut prélever un impôt sur le sel, et dès l'année suivante, un autre sur le blé et la mouture. Les Gantois refusèrent; le duc insista; les têtes s'échauffèrent; et des historiens racontent que Philippe, charmé de voir la tournure que prenaient les affaires et n'attendant que le moment de frapper un grand coup, voulut encore le hâter en envoyant des émissaires à Gand pour attiser le feu de la révolte. Quoi qu'il en soit, après des pourparlers et des incidents divers, la levée de boucliers devint générale. Gand ressucita ses chaperons blancs comme aux jours de ses plus fières mutineries; — Philippe fit marcher de toute part contre les insurgés. Les Gantois voulurent tenter un coup décisif; ils coururent assiéger Audenarde, que défendait le chevalier de Lalaing. Ils étaient trente mille, d'autres disent quinze à vingt mille seulement. « Après quelques succès, obtenus dans des escarmouches très-vives, les assiégeants furent subitement attaqués, sur les derrières, par les troupes que le duc avait envoyées contre eux, et du côté de la ville par les assiégés. Ils furent tellement maltraités qu'ils s'enfuirent dans toutes les directions, laissant sur le terrain un grand nombre de morts. Chaudement poursuivie, leur arrière-garde fut atteinte à Meirelbeke, gros village à une lieue de Gand. Le brave Sneyssone, porte-drapeau de la corporation des bouchers de Gand, qui faisait partie de cette arrière-garde, voulant donner à ses compagnons le temps de se sauver, se dévoua avec quelquesuns des siens, et s'arrêta au milieu du petit pont de ce village, où il retint pendant près d'une demi-heure toute la troupe des chevaliers du comte, parmi lesquels se trouvait un de Croy et Corneille, bâtard de Bourgogne. A la fin, criblé de coups et ne pouvant plus se soutenir, il se laissa tomber à genoux, s'enveloppa dans la bannière de son métier et combattit encore de son épée, jusqu'à ce qu'il tombât percé au cœur, en emportant l'admiration des Bourguignons eux-mêmes, qui regrettèrent qu'un vilain, comme ils l'appelaient, eût succombé comme un héros de Rome ou de la Grèce. » Or, ceci se passait le 24 avril de l'an 1452.

Le peintre a choisi pour sujet de son tableau l'épisode du pont de Meirelbeke. C'est le moment terrible et décisif où l'intrépide porte-drapeau de la corporation des bouchers va succomber enfin, en héros qu'il est, écrasé par

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