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D'abord il n'y a rien, en fait de science, d'instruction, de mnémonique, qui soit possible pour la minorité lettrée et qui ne le soit pas pour ceux qui out pour point de départ la notion de l'homme. De part et d'autre en effet, les facultés sont identiques; et il y a même un avantage pour ceux qui acceptent l'esprit catholique, en ce que leurs facultés sont moins troublées, moins agitées que celles des autres et sont capables par conséquent d'efforts plus continus et plus énergiques.

Entrons maintenant dans quelques détails.

Avec la minorité lettrée, la grammaire, l'érudition, l'étude des langues sont surtout des études pour la mémoire et ne servent guère qu'à faire des érudits, une espèce d'hommes à part, sans aucune espèce de relation avec le siècle. avec la civilisation auxquels ils appartiennent. Avec la notion de l'homme, tout s'anime, tout se vivifie, tout se spiritualise. Les grammaires, les leçons, les gloses deviennent des pages philosophiques dont il s'agit de déchiffrer les causes intimes, non seulement en elles-mêmes, mais dans leurs rapports avec tout ce qui les a déterminées, dans l'ordre intellectuel, moral, social, religieux.

L'esprit catholique régénère donc, même, les études grammaticales, l'érudition, la philologie, comme il régénère les principes et tous les mots dont on se sert le plus.

Examinez maintenant ce que fait en particulier la minorité lettrée à l'égard des langues anciennes. Elle explique, elle récite à grand bruit de l'Eschyle, du Sophocle, du Démosthène etc.; elle aime la mélopée inhérente à ces langues admirables. Mais que reste-t-il de cette passion? Un vain souvenir qui s'évapore aussitôt après qu'on l'a éprouvée. Au point de vue où l'on se place par la notion de l'homme, on se donne d'abord encore très-facilement le plaisir d'expliquer, de savoir et de réciter des fragments de la littérature antique; mais on pénètre dans la philosophie de cette littérature, dans sa substance invisible. Il n'y a plus ici seulement un intérêt pour la mémoire, pour le goût, ces deux facultés qu'on a presque divinisées exclusivement depuis Rabelais et Montaigne: il y a tout à la fois un intérêt et une passion pour la mémoire, pour le goût, pour l'imagination et l'intelligence.

L'esprit catholique féconde par conséquent de plus en plus tout ce que la minorité lettrée ne fait qu'appauvrir.

Prenez ensuite l'histoire. Qu'aurez-vous avec la minorité lettrée? Des faits; et si l'on est en position d'instruire les autres, une mémoire sûre d'ellemême, plus une passable déclamation, dans les grandes circonstances. Mais comment jugera-t-on ces faits, sans la meilleure notion possible de l'homme et de Dieu, c'est-à-dire sans l'esprit catholique appliqué aux notions par excellence de la philosophie? Les jugera-t-on, en prenant comme Protagoras, l'homme pour la mesure de tout? Quoi de plus contraire à la véritable philosophie? Les jugera-t-on avec le jugement d'autrui? Quoi de plus servile?

Les jugera-t-on avec des idées de circonstances, aujourd'hui avec l'idée monarchique, une autre fois avec l'idée démocratique? Quoi de plus mobile? Et puis quand il se présente de ces grandes questions qui barrent le chemin à tout instant, quand on se plonge dans le moyen âge, ou dans la Renaissance, comment procédera l'historien de la minorité lettrée? Tranchera-t-il ces questions avec son glaive, avec le glaive de son esprit? De quel droit? Les dédaignera-t-il? De quel droit encore?

Hors de la notion de l'homme par conséquent, les études historiques sont, si l'on veut, des répertoires plus ou moins amples. Les historiens deviennent des dictionnaires, ou si l'on aime mieux, des encyclopédies qui parlent. Mais où est de part ou d'autre la vie de l'intelligence? Il n'en est plus question.

Avec la notion de l'homme au contraire, l'on peut être aussi savant en histoire que n'importe qui de la minorité lettrée. On juge et l'on peut tout juger d'un jugement certain, absolu, définitif. On remplace tout-à-coup le scepticisme inhérent à l'histoire de la minorité lettrée; on professe un dogmatisme qui tend à créer dans l'âme des générations, des convictions de plus en plus fortes, de plus en plus fécondes. Qui pourrait soutenir avec quelque fondement que l'histoire, comme la rhétorique, le droit, etc., etc., ne soit pas infiniment préférable, dans la voie catholique, que dans le système de la minorité lettrée.

Étendez maintenant cet ordre d'observations aux mathématiques, aux sciences naturelles, à la médecine, à tout ce qui est du domaine de la science. Toujours et partout l'homme catholique pourra dépasser l'homme de la minorité lettrée.

L'esprit catholique pourtant n'est pas seulement supérieur sous tous ces rapports à la minorité lettrée, dans ces rapports avec l'enseignement. Lui seul peut tirer de l'enseignement lui-même tous les moyens de former de nobles esprits, de nobles âmes, de nobles caractères. Or, avec quoi la minorité lettrée peut-elle suffire à cette noble tâche, elle qui ne relève d'aucune espèce de principe; elle qui n'a que des mots et du vent, dans la tête, quand il s'agit de principes; elle qui ne sait ni d'où vient l'homme, ni où il va, qui ne songe pas même à le savoir. La minorité lettrée évidemment ne peut que tendre de plus en plus à matérialiser l'homme, à le rendre le jouet de toutes les convoitises, de toutes les passions, de toutes les jalousies, car si elle est apte à excéder la mémoire, suivant le pédantisme que Rabelais, Montaigne et Charron livraient à tous les mépris, elle est absolument impropre à former l'intelligence et le cœur, les deux forces par excellence de l'humanité.

La théorie et la pratique dont nous ne voulons pas parler ici plus longtemps pour ne pas abuser de nos avantages, se réunissent donc pour assurer à l'enseignement commencé, continué, accompli, au nom de l'homme et de Dieu, une prééminence de plus en plus manifeste, quand on le compare à l'enseignement tel que l'applique et doit l'appliquer la minorité lettrée.

Quand on instruit les hommes, ce qu'il y a de plus important, de plus essentiel tout d'abord, c'est de savoir d'où vient l'homme et où il doit aller, d'avoir au moins des affirmations positives à cet égard. Or, la minorité lettrée ne sait rien, absolument rien, n'affirme rien, absolument rien qui soit acceptable. La minorité lettrée ne peut donc rien, absolument rien pour instruire les hommes. Enseigner des mots, des phrases, des faits, ce n'est pas instruire. Instruire, c'est préparer l'homme à tous les combats de la vie, et on ne le peut que lorsqu'on a une notion sérieuse de l'homme.

CIVILISATION. PROGRÈS.

La civilisation, le progrès sont des non-sens, des impossibilités, dans l'ordre d'idées accréditées par la minorité lettrée.

Qu'est-ce que la civilisation, pour ceux qui se connaissent dans leur nature, dans leur rapport avec Dieu? C'est l'intelligence de plus en plus large, de plus en plus profonde de tous les principes qu'implique la véritable notion de l'homme et de Dieu, savoir de l'égalité, de la fraternité, de la liberté, etc., etc., de toutes les conditions nécessaires à la presse, à la loi, à la littérature, à l'art, à tout ce qui est le plus capable d'ennoblir, de' fortifier l'homme et les sociétés.

Qu'est-ce que le progrès maintenant ? C'est l'application, la traduction pratique de tous ces principes et de toutes ces conditions.

Ici donc la civilisation, le progrès ne sont pas seulement des mots; ce sont des idées qui obligent l'esprit, qui obligent la conscience, ont leurs droits, mais aussi ont leurs devoirs, leurs facilités, mais aussi leurs difficultés.

Mais trouvez des principes, une égalité, une fraternité, une liberté mieux établies que dans l'esprit catholique. Trouvez ensuite des conditions intellectuelles, morales et sociales qui puissent le mieux réaliser les diverses améliorations, les améliorations sérieuses que réclame l'humanité. Évidemment, c'est impossible.

Il n'y a donc de civilisation; il n'y a de progrès réels, acceptables et praticables que par le Catholicisme, c'est-à-dire, par la meilleure notion possible de l'homme, de Dieu; et soutenir qu'on peut faire de la civilisation et du progrès autrement qu'avec cette notion, ce serait s'engager à connaître l'homme et Dieu mieux que le Catholicisme. Or, ce serait là se mettre en désaccord complet avec les organes les plus distingués de la science philosophique moderne, avec les Vacherot, les Simon, etc., etc.

La notion de l'homme et de Dieu qui se confond avec l'esprit catholique sous ce double rapport, donne donc une raison d'être absolue à tous les principes que la minorité lettrée détruit tout en les invoquant. L'esprit catholique est donc autant au-dessus de l'esprit de la minorité lettrée sous le rapport social, qu'elle l'est sous le rapport moral et religieux.

SOCIÉTÉ PRATIQUE.

Répandez, en effet, la véritable notion de l'homme dans la société, tout aussitôt la société se transforme non seulement en théorie, mais dans la pratique.

Aussi l'armée qui pèse aujourd'hui partout à l'intérieur par la diffusion de l'esprit propre à la minorité lettrée, diminue aussitôt par la diffusion de la meilleure morale (1) qui ait jamais existé. Elle dégrève par-là tout aussitôt

(1) Voici les paroles remarquables que M. Donoso Cortès prononçait dans la séance du Congrès Espagnol, le 4 janvier 1849:

« Il n'y a que deux sortes de répressions possibles, l'une intérieure, l'autre extérieure, la religion et la politique. Or, ces deux répressions sont entre elles dans un rapport tel, que le thermomètre religieux ne saurait monter sans faire baisser le thermomètre de la répression politique, de même que le thermomètre religieux ne saurait descendre sans faire monter la répression politique jusqu'à la tyrannie. C'est là une loi de l'humanité et de l'histoire. Et si vous en doutez, regardez ce qu'était le monde avant le Calvaire, dites-nous ce qu'était la société lorsqu'il n'existait aucune répression intérieure, aucune répression religieuse d'une part la tyrannie, de l'autre la servitude. La liberté véritable, la liberté de tous et pour tous n'est venue au monde qu'avec le Sauveur. C'est un fait reconnu de tous, proclamé par les socialistes eux-mêmes. Oui, car les socialistes appellent Jésus un homme divin, et ils osent se dire ses continuateurs. Ses continuateurs, grand Dieu! Eux, les hommes de sang et de vengeance, les continuateurs de Celui qui ne vécut que pour faire le bien, qui n'ouvrit la bouche que pour bénir, et qui, en trois années, acheva la plus étonnante révolution qu'aient vue les siècles et qui l'acheva sans verser une seule goutte de sang autre que le sien. (Applaudissements unanimes.)

»Messieurs, veuillez suivre avec attention le spectacle que nous présente l'histoire. Vous venez de voir que, dans le monde antique, où la répression religieuse n'existait même pas, la répression politique s'éleva jusqu'au plus haut point, jusqu'à la tyrannie. Jésus-Christ vient; avec lui la répression religieuse prend naissance: la répression politique disparait. En effet, Jésus-Christ forma une société avec ses disciples, et cette société est la seule qui ait subsisté sans Gouvernement. Entre Jésus et ses disciples, il n'exista d'autre Gouvernement que l'amour du maître pour les disciples et l'amour des disciples pour le maître, c'est-à-dire que, lorsque la répression intérieure fut complète, la liberté fut absolue.

» Pendant les temps apostoliques, que nous prolongerons jusqu'à la conversion de Constantin, que voyons-nous dans la société chrétienne? La religion, c'est-à-dire la répression intérieure, encore dans toute sa force, et néanmoins un germe de licence, de liberté religieuse commençant à poindre. Eh bien! ce mouvement de baisse dans le thermomètre religieux amène aussitôt un commencement de hausse dans le thermomètre politique; si l'on ne voit point encore un Gouvernement, on trouve déjà un germe de Gouvernement. Les premiers chrétiens n'eurent pas, il est vrai, des magis

les populations des impôts (1) qui les écrasent, ou s'il faut dégaîner, elle concentre toutes ses forces vers l'extérieur et par là devient la plus formidable des nations.

La critique, le jury, la magistrature s'appuyant sur un principe invariable, acquièrent de plus en plus l'autorité qui leur manque, dans la logique de la minorité lettrée.

Dès-lors, la société pratique, considérée dans toutes les parties de son étendue, est aussi forte, aussi puissante que la société théorique. La France est le premier peuple du monde.

Mais qui donne tous les avantages que nous venons d'indiquer rapidement et que nous aurons à exposer dans nos cours? Qu'on se le rappelle, d'une seule cause :

La meilleure notion de l'homme, la meilleure notion de Dieu.

(La fin à la prochaine livraison.)

trats, mais ils eurent des arbitres, d'amiables pacificateurs, en un mot, l'embryon d'une magistrature. C'est ainsi que la force du Gouvernement va croissant avec la corruption. » Surviennent les temps féodaux. Déjà un Gouvernement réel, effectif, est nécessaire; mais il suffit du plus faible de tout on voit s'établir la monarchie féodale, la plus faible de toutes les monarchies.

» Arrive enfin le seizième siècle. Ici, Messieurs, remarquez quelles institutions coincident avec l'hérésie luthérienne, ce grand scandale du monde politique et social, aussi bien que du monde religieux. Tout d'abord au premier instant, les monarchies, de féodales qu'elles étaient, deviennent absolues. Cependant le thermomètre religieux continuant de baisser, il faut que la répression politique monte plus haut: et, en effet, voici l'institution des armées permanentes, qui nous présente le soldat devenu un esclave sous l'uniforme. Il ne suffisait plus aux Gouvernements d'être absolus; ils demandèrent et obtinrent d'être absolus et d'avoir un million de bras.

» Ce n'est pas tout comme le thermomètre religieux baisse encore, il faut que la répression politique, déjà armée d'un million de bras, soit pourvue d'un million d'yeux. La police générale est créée. Par la centralisation administrative, la répression acquiert en même temps un million d'oreilles. Mais tant de ressources ne lui suffisent point: elle a bientôt besoin de se trouver partout en même temps: le télégraphe est inventé.

» Telle était, Messieurs, la situation de l'Europe et du monde, lorsque le bruit soudain de la dernière révolution est venu nous annoncer qu'il n'y avait point encore assez de despotisme, car le thermomètre religieux était descendu au-dessous de zéro.... Et maintenant, Messieurs, il ne reste plus qu'une alternative: ou bien la réaction religieuse aura lieu, et dans ce cas, à mesure que le thermomètre religieux remontera, vous verrez redescendre le thermomètre politique_jusqu'au niveau où respire la liberté des peuples. (Bravos!) Ou bien... pardonnez mon langage, la gravité des circonstances le rend nécessaire... si le thermomètre religieux doit encore baisser, je ne sais où nous allons, je n'y puis penser sans frémir... Si les vérités que je viens de dérouler sont certaines, si le frein religieux doit achever de se briser, où trouvera-t-on une forme suffisante de Gouvernement, où trouvera-t-on assez de despotisme? (Profonde sensation.)

» Messieurs, vous avez maintenant le doigt sur la plaie. Voilà la question pour l'Espagne, pour l'Europe, pour l'humanité, pour le monde. »>

(1) On évaluait en juin dernier (1849), le déficit de la France pour 1849 à 180 millions. Une simple addition dans l'instruction philosophique de la France serait le moyen le plus facile de rendre la France la plus riche nation du monde, en quelques années, par la diminution qu'il déterminerait bientôt dans toutes les dépenses relatives à la force armée, à la police, etc., etc.

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