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Dans l'esprit de la minorité lettrée, qu'est-ce que la presse démocratique? C'est surtout celle qui défend infiniment plus l'orgueil, l'ambition de quelques aspirants au despotisme, que des droits sacrés. Qu'est-elle, au point de vue de la notion de l'homme et de Dieu? Elle devient tout-à-coup le défenseur des masses contre les éternelles tentations de l'orgueil des patriciens.

La notion de l'homme et de Dieu donne par elle-même à chaque partie principale de la presse une raison d'être qu'elle n'a pas, qu'elle n'a jamais eue; elle lui donne une position inexpugnable. De plus, elle les éclaire les unes les autres; elle en fait concevoir l'utilité, la nécessité; et en même temps, elle les ennoblit toutes, d'autant plus que chacune reste plus fidèle à sa tâche. Il est de plus en plus évident, en effet, que s'il faut protéger l'ordre, il faut protéger aussi la faiblesse contre la force, la pauvreté contre la richesse, le peuple contre les insolences toujours possibles des oligarchies.

Interrogez maintenant non plus la presse seulement en elle-même, dans sa nature, mais la presse dans ses dévéloppements, c'est-à-dire la liberté de la presse. Qu'est-ce que la liberté de la presse conservatrice, hors de la notion de l'homme et de Dieu ? C'est la liberté de dire et d'écrire tout ce qui paraît propre à conserver les priviléges, les monopoles des classes élevées. Qu'estelle, d'après la notion de l'homme et de Dieu ? C'est la liberté de ne plus écrire que pour fortifier de plus en plus les idées qui sont la base même des sociétés.

Dans un autre sens, qu'est-ce que la liberté de la presse démocratique, toujours hors de la notion de l'homme et de Dieu ? Ce n'est ni plus ni moins que la liberté d'entretenir éternellement les passions les plus dissolvantes contre tous les pouvoirs. Qu'est-elle au contraire, d'après la notion de l'homme et de Dieu ? C'est la liberté de mieux en mieux comprise, de défendre de mieux en mieux tout ce qui est de nature à empêcher la violation de la dignité humaine, dans les multitudes, par l'orgueil propre sans doute à tous les hommes, mais plus propre encore à toutes les classes brahmaniques et curiates.

On le voit, là où l'on procède de la notion de l'homme et de Dieu, la presse acquiert tout à coup une logique, une force incomparables. Là où cette notion manque, il n'y a qu'inintelligence, désordre, faiblesse, contradiction, nonsens de toute sorte; et les faits le disent, depuis quarante ans, plus haut que toutes nos paroles.

Plus la presse par conséquent procédera de la notion de l'homme et de Dieu, plus elle aura de principes; plus elle aura de principes, plus elle sera féconde; plus elle sera féconde, plus elle servira la France et la civilisation.

Mais, dit-on, comment voulez-vous qu'après les antécédents de ce siècle, après les influences qu'elle a subies, la presse puisse procéder d'une notion philosophique, d'une idée régulière? Comment surtout voulez-vous qu'elle

procède d'une notion qui la mette en communion immédiate avec les deux données principales du Catholicisme?

Il ne faut pas qu'on prenne le change à notre égard.

Si nous étions jamais un homme politique, nous demanderions nous-même, directement et sans ambages, la réforme radicale de toute la législation relative à la presse nous demanderions aussi dans son intérêt, de ces garanties générales de capacité, de moralité qu'on exige aujourd'hui de tous ceux qui aspirent à servir l'État, à un titre quelconque. Mais nous ne sommes qu'un ami de la sagesse, un philosophe impartial, indépendant de toute l'impartialité, de toute l'indépendance que donne une expatriation toute volontaire et qui dure déjà depuis près de six ans. C'est dire que nous n'avons rien à demander dans la pratique ni pour ni contre la presse. Nous n'avons, nous, qu'un seul devoir à remplir, c'est de juger la presse, dans ce qu'elle est, dans ce qu'elle pourrait être, comme nous jugeons toute autre idée, toute philosophie qui a eu ou qui a quelque influence sur les générations rien de plus, rien de moins.

LA LOI.

Dans la pensée de la minorité lettrée, la loi n'a par elle-même aucune espèce d'autorité, puisque la loi ne vient que de la raison individuelle, c'està-dire d'une autorité mobile, suivant toute espèce de circonstances.

Avec la notion de l'homme et du divin telle qu'elle est identique à celle de l'esprit catholique, la loi acquiert tout à coup une puissance, une autorité morale que rien ne peut ni diminuer ni affaiblir. Qu'est-ce que la loi en effet, d'après cette notion? C'est la plus haute, la plus pure expression de la raison humaine inspirée par le divin le plus élevé, le plus pur qui existe; c'est la réalisation de tout ce que les plus grands philosophes ont appelé de tous leurs vœux.

« Voyons, dit Ciceron, encore une fois, avant d'arriver aux lois particu» lières, quelle est la nature et la force de la loi?..... Je vois que le sentiment » des plus sages a été que la loi n'est point une imagination de l'esprit » humain, ni une volonté des peuples, mais quelque chose d'éternel, qui doit » régir le monde entier par la sagesse des commandements et des défenses. » C'est ce qui leur a fait dire que cette première et dernière loi était l'esprit » de Dieu dont la raison souveraine oblige et interdit; et de là le divin carac»tère de cette loi donné par les Dieux à l'espèce humaine. Il ne faut pas

> croire que des formules et en général toutes les défenses ou prescriptions >> des peuples aient le pouvoir d'appeler aux bonnes actions ou de détourner » des mauvaises. Cette puissance-là compte plus d'années que la vie des >> peuples et des cités; elle est de l'âge de ce Dieu qui conserve et régit le >> ciel et la terre. Le divin esprit ne peut pas plus exister sans la raison, » que la raison divine sans être la règle et la sanction du bien et du mal. »

La loi considérée dans sa nature est donc, du point de vue de la notion de l'homme et du divin, tout ce qu'elle était pour les penseurs les plus illustres. De part et d'autre, la loi ne vient, elle ne peut venir que d'une puissance supérieure à celle de l'homme, d'une puissance divine.

Mais le divin catholique est le divin le plus complet qui ait jamais été enseigné dans les écoles et les sanctuaires; c'est M. Vacherot qui nous le dit de la manière la plus absolue, et M. Jules Simon, un des philosophes les plus solides aussi de notre époque, confirme l'opinion de son savant confrère de l'École Normale. La loi émanée du divin catholique est donc au-dessus de toutes les lois conçues et à concevoir en dehors de ce divin. La loi catholique est donc au-dessus de la loi platonicienne et cicéronienne, de toute la disstance, et la distance est infinie, qui sépare le divin catholique du divin de ces grands théoriciens. Mais déjà la loi de Platon et de Cicéron, quant à son origine, est infiniment au-dessus de la loi comme la comprend la minorité lettrée, que celle-ci soit tiers-parti, démocratique, communiste, etc., etc. On doit voir par là les abimes qui séparent la législation propre à la minorité lettrée, de la législation propre à ceux qui procèdent du divin philosophique et catholique.

LITTÉRATURE. ART.

La minorité lettrée n'a d'idéal littéraire et artistique que l'idéal grec et le sensualisme.

Voici comment agissent ceux qui procèdent de la véritable notion de l'homme et de Dieu, c'est-à-dire, de l'esprit catholique.

Ils rendent justice tout d'abord à ce qu'il y a de vraiment beau, de vraiment conforme à la nature, dans la littérature de l'antiquité. Mais tout en reconnaissant la réalité manifeste de ces mérites tant pour la forme que pour le fond, et sans s'aveugler sur des défauts inhérents à certaines époques, ils acceptent en France l'idée génératrice qui est dans les chants des Trou

badours, des Trouvères, dans les Mystères, les Moralités, les Farces, les Soties; ils acceptent surtout des œuvres comme celles dont nous avons déjà parlé, telles que le Cid, de Corneille, son Polyeucte; l'Esther, l'Athalie, de Racine, l'esprit général de la polémique de Perrault contre Boileau, les diverses tentatives de Voltaire, de Du Belloy, de Mercier, la poétique de Châteaubriand, de Bernardin de St-Pierre, la poésie lyrique de Victor Hugo, de Lamartine, de Turquety; les essais dramatiques de quelques autres Français de nos jours. Et en ceci, ils marchent d'accord avec les hommes de notre époque qui ont montré le plus de sagacité dans la solution des problèmes littéraires.

« L'Angleterre, disait M. Guizot longtemps avant d'être ministre, la >> France, l'Europe entière demande au théâtre des plaisirs, des émotions » que ne peut plus donner la représentation inanimée d'un monde qui n'est » plus. Le système classique est né de la vie de son temps: ce temps est passé : » son image subsiste brillante dans ses œuvres, mais ne peut plus se reproduire. » Près des monuments des siècles écoulés commencent maintenant à s'élever » des monuments d'un autre âge. Quelle en sera la forme? Je l'ignore : mais >> leur terrain où peuvent s'asseoir leurs fondements se laisse déjà découvrir. >> Ce terrain n'est pas celui de Corneille et de Racine; ce n'est pas celui de » Shakspeare; c'est le nôtre, mais le système de Shakspeare peut seul four>> nir, ce me semble, les plans d'après lesquels le génie doit travailler. >>

Seulement ce qui distingue l'Esthétique issue de la notion réelle de l'homme et de Dieu, c'est qu'elle croit possible de réaliser, dans toutes les parties de la littérature, ou plutôt dans toute la littérature, des changements analogues à ceux qui ont été apportés dans la poésie dramatique par Shakspeare et dans la poésie lyrique par Hugo et Lamartine. Les faits d'ailleurs viennent à l'appui de cette opinion; ils prouvent ce qu'on peut espérer de l'idéal inclus dans l'humain et le divin philosophiques qui se confondent avec l'humain et le divin catholiques.

Ainsi, quels sont les hommes qui ont le plus honoré l'Allemagne, littérairement parlant? Ce sont les auteurs des Niebelungen Lied, les ménestrels, les chanteurs du moyen-âge, Lessing, Klopstock, Goethe, Schiller et tous ceux qui de près ou de loin ont marché sur leurs traces, comme les Tieck, les Schlegel, les Jean Paul, etc., etc.

Quels sont ceux qui ont le plus honoré l'Angleterre, toujours au même point de vue et après Chaucer, Shakspeare? C'est Milton, Swift, Beattie, Cowper, Byron, Wordsworth, Coléridge, Thomas Moore, etc., etc.

Quels sont ceux qui ont le plus honoré l'Italie? Dante, Pétrarque, le Tasse, l'Arioste, Filicaïa, Alfieri, Silvio Pellico, etc., etc.

Quels sont ceux qui ont le plus honoré l'Espagne? L'auteur du roman du Cid, l'auteur des Romanceros, Lopez de Vega, Caldéron, Cervantes, Huerta, etc., etc.

Quels sont ceux qui ont le plus honoré le Portugal? Ce sont Gil Vicente, le Camoens.

Sans aucune espèce de doute, les catholiques voient, comme d'autres, ce qu'il y a de défectueux dans beaucoup de ces écrivains. Mais ils prennent acte de leurs œuvres; et plus ils réfléchissent, plus ils restent convaincus que la littérature n'est pas faite pour s'éterniser dans les mêmes cadres, quand l'âme vit dans les infinitudes ouvertes devant elle, depuis le Christianisme.

Qu'on le remarque d'ailleurs. Le nombre des littérateurs et des poëtes dont la gloire est reconnue historique, est plus grand déjà que celui des littérateurs et des poëtes qui ont fait raison à l'idéal antique. Ainsi pour Homère et Virgile, nous avons Dante, Milton, Tasse, le Camoens; pour Eschyle, Sophocle, Euripide, nous avons Corneille, Racine en partie, et de plus Shakspeare, Goethe, Schiller, Alfieri dans son Saül, Huerta, dans sa Raguel et ainsi de suite pour tous les autres genres. Nous avons de plus les sympathies générales, universelles de toutes les générations qui ne lisent guère jamais l'antiquité que dans les classes et qui ne les relisent guère ensuite.

L'idéal catholique est donc supérieur, en littérature, à l'idéal de la minorité lettrée, non seulement en lui-même et par lui-même, mais dans les faits acquis déjà à l'Europe et au monde entier. C'est là du reste ce que confirment parfaitement les critiques les plus impartiaux en matière d'opinions et de croyances religieuses.

« En vérité, dit M. Alfred Michiels dans son ouvrage sur l'Histoire des Idées Littéraires, lorsque j'examine notre littérature classique, elle me remplit, malgré moi, d'une douloureuse agitation. Il me semble voir des bardes pensifs, nés pour chanter le Dieu chrétien sous les arceaux des églises, sur les tertres fleuris des cimetières, habitués dès leur enfance aux mugissements des vagues contre les écueils, à la plainte des forêts battues par les averses, aux radieuses couleurs de nos pâturages, au blème soleil de nos automnes, aimant du fond de leur âme le bruit de la tempête dans les vieux manoirs, les brumes couchées le long des vallées fertiles et les landes solitaires où murmurent les genets; il me semble les voir transportés hors du ciel natal, au milieu des sèches campagnes, des horizons brûlants, des temples étroits de la Grèce, cherchant le Dieu de leur cœur et ne le trouvant pas, regrettant leurs mélancoliques bruyères et louant le pays où ils gémissent, écoutant résonner en eux-mêmes la petite cloche de leur paroisse, et feignant d'admirer les accords de la cythare hellénique: puis lorsqu'ils veulent l'animer à leur tour, ne sachant que lui ravir des airs plaintifs et s'en servant pour accompagner les ballades de leurs aïeux (1). »

(1) Tome II. pag. 304. Édition de Bruxelles.

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