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hospitalières dont Proudhon même a fait un si bel éloge. Malheureusement, M. De Haussy ne semble que trop disposé à se laisser pousser dans cette voie illibérale, malgré les avertissements et les réclamations de la presse et des députés catholiques.

Jusqu'ici, le libéralisme intolérant ne nous a pas encore dit jusqu'à quel point il se propose de mener le ministère; peut-être ne le sait-il pas lui-même. Il se contente pour le moment de l'obéissance aveugle du pouvoir; c'est à cette condition que le parti lui permet de vivre. M. Rogier a déjà donné des preuves de sa soumission filiale. Je n'en citerai qu'une seule. Cet homme d'État avait pensé qu'il n'y avait aucune nécessité pour le moment de modifier la loi sur l'instruction primaire, il s'était exprimé dans ce sens à la Chambre des Représentants. Cette déclaration mécontenta le faux libéralisme, et quelques jours après, le ministre fit amende honorable et promit de changer cette loi.

Comme il est quelquefois nécessaire de ménager l'opinion publique, le faux libéralisme fait mine de respecter la religion. Tout ce qu'il veut, prétendil, c'est de combattre le cléricalisme. Comme ce mot n'est pas défini et qu'il présente à l'esprit une idée extrêmement vague, il sert merveilleusement les desseins réels des ennemis du catholicisme. A chaque fausse mesure que ceux-ci feront prendre au ministère, les journaux du parti auront soin de faire accroire à leurs lecteurs que le Gouvernement ne songe nullement à attaquer la religion; qu'il s'agit uniquement de frap per le cléricalisme, ce qui est toute autre chose. Le clérical, on le verra partout, pénétrant toutes nos institutions pour les infecter, se cachant sous mille formes diverses pour échapper aux investigations du libéralisme. Et savez-vous ce que c'est que le clérical? C'est le jésuitisme, la congrégation, le pouvoir occulte de nos vieux libéraux; c'est ce tigre affreux prêt à dévorer la civilisation moderne. N'est-ce pas là un ennemi formidable? Il faut bien que le ministère lui fasse la guerre et une guerre incessante, car telle est la volonté suprême du parti, et on ne lui résiste pas impunément.

Si le ministère ne tenait aucun compte des exigences de ceux que M. Rogier appelle ses chers amis, s'il envisageait leurs déclamations comme de véritables jongleries, à coup sûr il perdrait l'affection du parti et il encourrait ses disgrâces. C'est ce qui s'est vu lors du ministère-Lebeau. Cet homme d'État n'était que juste à l'égard des catholiques; un jour on l'accusa en pleine Chambre de se laisser traîner à la remorque par l'influence occulte, il crut devoir donner un démenti à cette accusation, et il ajouta que, quant à lui, il ne croyait pas à l'existence de cette influence. Qu'arriva-t-il ? Les feuilles du parti prétendu libéral ne lui laissèrent plus ni paix ni trève; les fausses insinuations, les sarcasmes et les insultes l'assaillirent de toutes parts, et le clouèrent en quelque sorte sur son banc de douleur; il doit s'en souvenir encore.

Je pense donc que la crainte de déplaire à certains libéraux bien plus que le mauvais vouloir de quelques membres du cabinet, a fait prendre au pouvoir des mesures dont les catholiques se plaignent à bon droit; mais ce n'est pas là une raison qui puisse les autoriser à s'engager de plus en plus dans une voie que réprouve la prudence autant que la justice; ce n'est pas non plus une raison pour que les vrais libéraux s'interdisent les plaintes les plus légitimes. Le ministère aurait tort de voir en ceci une prise d'armes contre son existence.

Je sais bien qu'on accuse les catholiques, et en particulier les prêtres, de travailler sous le masque de la religion au renversement du ministère, mais c'est là une grossière calomnie qui ne s'appuie pas même sur l'ombre d'une preuve. Tout ce que veut le clergé, c'est que la politique du ministère soit impartiale, juste et rigoureusement constitutionnelle; c'est qu'il n'y ait plus un parti vainqueur et un parti vaincu; c'est que le ministère tienne haut et ferme non pas le drapeau d'un parti, mais celui de la Constitution; c'est que les catholiques ne soient plus frappés d'une espèce d'ostracisme politique ; c'est que la charité privée puisse se développer sans entraves; c'est que le ministère se persuade qu'en affaiblissant l'influence religieuse, il abaisse l'unique barrière qui s'oppose à l'invasion du socialisme en Belgique.

Les prêtres, pas plus que les autres catholiques, n'entendent accorder à qui que ce soit le privilége de les exclure du droit commun. On veut que le clergé s'éloigne des luttes électorales, et qu'il exerce son influence dans une atmosphère moins agitée par les passions des partis: ce conseil serait excellent et le clergé serait prêt à le suivre si, à chaque élection qui se présente, le libéralisme des clubs n'élevait pas un drapeau hostile aux libertés religieuses, libertés dont le prêtre a besoin pour remplir sa haute mission. Que les libéraux prennent l'engagement formel de ne présenter aux élections que des hommes fermement attachés à toutes nos libertés constitutionnelles, des hommes capables de les comprendre et assez indépendants pour les pratiquer, même au risque de déplaire au pouvoir, et le clergé n'aura rien de plus. pressé que de quitter le terrain brûlant de la politique où son devoir seul et une impérieuse nécessité l'ont fait figurer jusqu'ici.

Malheureusement, il est à craindre qu'il n'en soit jamais ainsi : il y a trop de mauvaises doctrines répandues en Belgique, pour qu'on puisse espérer de voir placer les intérêts religieux dans une sphère hors de l'atteinte des passions politiques; la lutte continuera plus vive, plus ardente à mesure que le ministère et les Chambres s'éloigneront des traditions du Congrès. Cette noble Assemblée avait inauguré un régime politique éminemment libéral; tous les Belges étaient à ses yeux les enfants de la même patrie; on était fier de l'esprit national qui avait reçu sa plus forte empreinte de la religion de nos pères; on faisait un loyal appel à toutes les influences, à toutes les forces vitales du pays; on voulait que toutes marchassent de concert sous la devise

l'union fait la force, à de nouvelles destinées. Hélas! ces temps sont déjà loin de nous, un libéralisme tracassier et intolérant a comprimé cet élan patriotique. Si on avait dit alors: Il viendra un temps où les catholiques seront condamnés à une espèce d'ilotisme politique, où on leur fera un crime d'envoyer au Sénat un homme respectable, mais qui a le malheur d'être le père d'un évêque, où on jetera feu et flamme parce que le district de Thielt aura élu un sénateur dévoué aux intérêts du pauvre; si quelqu'un, dis-je, avait fait cette prophétie, il y a 19 ans, on l'aurait regardé comme un insensé, digne de pitié. Et cependant tout cela est devenu de l'histoire.

Il me serait très-facile de m'étendre sur ce sujet, mais à quoi bon? Le peu que je viens de dire suffit pour faire voir que nous sommes loin de suivre la voie sagement libérale que le Congrès avait tracée. Il est triste de le dire, nos hommes d'État semblent renier un passé glorieux; ils s'enfoncent dans un abîme insondable; puissent-ils ne pas y entraîner un pays qui, il y a 15 ans, semblait avoir de si belles destinées !

Jamais, non jamais, le clergé ne combattra le libéralisme constitutionnel; mais c'est un devoir pour lui, aussi bien que pour les autres catholiques, de contrecarrer ces doctrines irréligieuses et anti-sociales qui prennent le masque du libéralisme, afin de pouvoir s'insinuer ainsi dans les esprits et les pervertir. On a beau dire: Vous vous créez un fantôme; le parti que vous combattez n'en veut pas à la religion; il lui porte un profond respect. Vains subterfuges! s'il en était ainsi, on verrait les organes du parti tenir un tout autre langage que celui qu'ils tiennent habituellement: ce respect se traduirait en actes; par conséquent, on ne les verrait pas prôner les ouvrages les plus irréligieux; on ne les verrait pas poursuivre de leurs sarcasmes et de leurs calomnies tout ce qu'il y a de grand et d'élevé dans la hiérarchie ecclésiastique; ils ne signaleraient pas les catholiques comme formant un parti ayant des intérêts et des vues tout à fait en opposition aux intérêts des autres citoyens; ils n'applaudiraient pas à toute mesure qui tend à affaiblir l'influence du prêtre dans les écoles; ils ne prôneraient pas le système de M. De Haussy en matière de charité, système qu'ils savent bien être réprouvé par le clergé tout entier comme contraire à l'intérêt du pauvre.

Je suis loin de rendre tous les libéraux solidaires des excès dont se rend coupable le libéralisme exclusif; il n'y a que le faux libéralisme qui soit à craindre, et c'est contre lui que les catholiques doivent être en garde; ils ne peuvent voir avec indifférence que, sous prétexte de libéraliser la Belgique, on ébranle violemment les colonnes qui supportent l'édifice social. Il est donc naturel que les catholiques, que le prêtre surtout cherchent par tous les moyens honnêtes qui sont en leur pouvoir, à renforcer le parti de l'ordre. Ce parti doit avoir son point d'appui et son centre d'action dans les Chambres législatives. C'est de la législature surtout que dépend notre avenir. Que le clergé use de son influence, toujours bien entendu dans les limites de la

modération, il n'y a absolument rien à redire. On sait bien qu'il ne s'agit pas ici de pression, de contrainte morale et d'autres billevesées de même espèce; toutes ces accusations sont absurdes; personne n'y croit, pas même ceux qui se permettent de les répandre. Dans les affaires électorales, la conduite du prêtre doit être noble et digne de son caractère, et la question de personnes doit toujours disparaître devant la question de principes.

Un vrai libéral.

LES ARRÊTS QU'INVOQUE M. DE HAUSSY,

EN MATIÈRE DE BIENFAISANCE. (*)

Rien de plus commode pour un ministre que d'invoquer l'autorité des arrêts; aussi M. De Haussy et ses partisans ne manquent-ils pas de dire: Notre système est appuyé sur des décisions rendues par nos cours; nous nous bornons en quelque sorte à appliquer des principes reconnus vrais par la justice.

Cette défense a été mise en avant uniquement d'abord à l'occasion de l'interprétation du décret de 1809, relatif aux sœurs hospitalières; mais maintenant on semble la généraliser et l'étendre à toutes les parties du système illibéral de M. De Haussy. Il n'est même pas rare d'entendre dire, par certaines personnes peu au courant de la question ou plutôt des questions que soulève l'idée de monopole si tendrement caressée par M. le ministre de la justice : « Les présomptions sont en faveur de M. De Haussy; il est d'accord avec la jurisprudence des cours et même de la Cour de Cassation. >

(*) Cet article a été emprunté à l'Organe des Flandres par divers organes de la presse quotidienne. Nous le reproduisons néanmoins ici comme document d'une question aujourd'hui vivement controversée.

(Note de la Rédaction.)

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