Page images
PDF
EPUB

qu'à quel point les prêtres ont agi en corps et à titre d'autorité dans les affaires électorales, qu'il me soit permis de faire observer à la feuille ministérielle que, dans certaines circonstances données, le clergé peut et doit employer tous les moyens possibles pour sauvegarder les principes de la religion et de la société; que partant, le principe de l'Indépendance n'est pas d'une vérité absolue et qu'elle a tort de l'ériger en axiome.

Les journaux français nous apprennent qu'à l'heure qu'il est, le socialisme gagne constamment du terrain chez eux. Une feuille a dit que plus de quarante départements sont profondément infectés de cette lèpre sociale. En supposant le fait vrai, oserait-on blâmer un évêque qui, pour conjurer le mal, publierait un mandement? Et si les curés, obéissant à l'invitation de leur évêque, engageaient les électeurs à ne pas envoyer à l'Assemblée Nationale les candidats appuyés par les socialistes, cette intervention serait-elle blåmable? Certes, personne n'oserait le prétendre.

[ocr errors]

Je me hâte de le dire, le socialisme est encore chez nous à l'état de théorie, comme il l'était en France il y a deux ans ; mais qui peut assurer que la Belgique n'ait pas à craindre l'invasion de ce fléau, surtout lorsqu'on considère que le faux libéralisme s'efforce, avec un inconcevable aveuglément, d'abattre la barrière que l'influence religieuse lui oppose? Je veux bien l'avouer dans nos luttes électorales, il ne s'agit pas encore de socialisme. Je veux bien accorder aussi qu'il ne s'agit pas même d'un danger évident et prochain pour la religion. C'est probablement à cause de l'absence de ce danger que le clergé, quoiqu'en disent ses adversaires, s'abstient d'agir comme corps ou à titre d'autorité. Cela s'est vu dernièrement à Thielt: là les provocations de toute espèce, des manoeuvres inconcevables, le despotisme administratif, l'athéisme des rouges, tout en un mot, a été mis en œuvre pour faire dévier le clergé de la ligne de conduite qu'il s'est tracée.

Vains efforts! le clergé s'est conduit avec calme et dignité: il n'a pas songé un seul instant à recourir à la contrainte morale, quoique ses adversaires lui en donnassent l'exemple; il n'a pas enchaîné les consciences comme un journal flamand, écrit sous le patronage du commissaire d'arrondissement, s'est plu à le dire. Seulement, il a conseillé à ses amis d'appuyer par leur vote celui des deux candidats qui semblait mériter la plus grande confiance. Dans toute cette affaire, il n'a pas pris l'initiative, mais il s'est rallié unanimement et spontanément à la candidature de M. d'Anethan. Il a cru faire acte de bon citoyen en recommandant aux électeurs un homme qui avait donné des preuves de patriotisme, et qui, d'ailleurs, était fortement appuyé par les hommes les plus respectables de la province.

On dira peut-être au clergé : Combattez le socialisme tant que vous le voudrez; mais, au nom de vos propres intérêts, ne vous élevez pas contre le libéralisme, cette grande conquête de la civilisation moderne. Est-ce que les libéraux ne respectent pas la religion? N'honorent-ils pas le prêtre lorsque

celui-ci se renferme dans le cercle de ses saintes fonctions? Voyez nos feuilles libérales elles sont pleines de protestations de respect pour le culte de nos pères. Le libéralisme est un mot vague qui présente deux significations différentes: il y a un libéralisme vrai et un libéralisme faux. Le vrai libéralisme veut l'ordre uni à la liberté; c'est celui qui est consacré par notre Charte constitutionnelle; un vrai libéral est celui qui accepte cette Charte, qui veut, sans aucune arrière-pensée, toutes les libertés politiques et religieuses octroyées par elle. Accepter quelques-unes de nos libertés, rejeter les autres, ou seulement en fausser le sens dans l'application, ce n'est pas faire profession de libéralisme, c'est se créér un système arbitraire qui n'est fondé que sur l'intérêt privé, sur les passions du moment, système variable, capricieux, violent comme le fondement sur lequel il repose. Ce régime politique n'est pas plus la liberté que les ténèbres ne sont la lumière. Ce faux libéralisme, le clergé le repousse de toutes ses forces, tandis qu'il accepte loyalement et sincèrement le régime libéral tel qu'il a été inauguré par notre Constitution.

Mais ce n'est pas le libéralisme constitutionnel que le parti dominant veut faire trôner en Belgique; il veut autre chose; ses sollicitudes se portent sur un tout autre objet. Affaiblir partout et en tout l'influence de la religion, jeter la déconsidération sur l'action civilisatrice du clergé, faire envisager avec un œil d'envie le bien que les prètres ont fait pendant les années calamiteuses que nous venons de traverser, voilà le but que se proposent les faux libéraux; et pour l'atteindre, que d'indignes manœuvres ne mettent-ils pas en jeu? Des catholiques siégent dans nos Chambres législatives, vite il faut les éliminer. Mais ce sont des hommes éminents, ils ont donné des preuves éclatantes de talent et de patriotisme; peu importe, ce sont des cléricaux; un clérical est-il bon à quelque chose?

Deux hommes honorables sont élus sénateurs, l'un à Ypres, l'autre à Thielt; quelle audace! N'est-il pas évident que le clérical se fourre partout comme jadis l'influence occulle? L'un des élus n'est-il pas le père d'un évêque, et l'autre un intrépide défenseur de la charité? Avec de pareils titres peuvent-ils être acceptés par le libéralisme intelligent? Sa mission n'est-elle pas de poursuivre le cléricalisme partout où il se trouve? Mais qu'est-ce donc que ce cléricalisme dont certains journaux font un si grand bruit? Est-ce par hasard un système politico-religieux qui, faisant bon marché de nos libertés constitutionnelles, aspire à un ordre de choses qui n'existe plus et ne peut plus exister? Les cléricaux, puisque cléricaux il y a, veulent-ils rétablir la dîme, la main-morte? On n'oserait plus le prétendre, cette accusation étant par trop niaise. Ce qu'on appelle le cléricalisme, n'est autre chose que l'influence naturelle, légitime du clergé; c'est l'élément catholique qui pénètre les institutions, les vivifie, les règle et les dirige vers un but commun, le bien-être de l'humanité; c'est cette politique de l'Évangile qui donne

aux actions humaines un motif plus noble que l'intérêt privé, qui apprend aux hommes quels sont les devoirs qu'ils ont à remplir à l'égard de Dieu et à l'égard de leurs semblables; en un mot, le cléricalisme n'est autre chose que cette influence de la religion que tous les bons esprits en France tâchent de restaurer, parce qu'ils la jugent seule capable de reconstruire la société qui tombe en dissolution. Si les catholiques, si le clergé cherchaient à ramener en Belgique l'ancien régime avec son cortége de priviléges et de distinctions honorifiques, oh! alors je pourrais comprendre l'antagonisme entre l'opinion catholique et l'opinion libérale; alors le mot clérical pourrait avoir une signification différente de celle que je viens de lui assigner.

Heureusement, il n'en est pas ainsi : le clergé ne demande le monopole d'aucun genre; jamais il n'a voulu confisquer les libertés publiques à son propre profit. Sans doute, les catholiques ont usé largement de ces libertés, mais ont-ils jamais méconnu le même droit à leurs adversaires? Ont-ils cessé un seul instant d'envisager ces libertés comme l'apanage de tous, comme un bien commun auquel tous les Belges peuvent participer également? Ont-ils jamais prononcé un arrêt d'exclusion contre qui que ce soit?

Il est clair, comme le jour, que le clergé, dans les luttes électorales et hors de ces luttes, est resté constamment fidèle aux libertés inscrites dans notre Charte constitutionnelle; il est également évident qu'il ne se serait jamais jeté au milieu des conflits électoraux, si certains aspirants aux fonctions législatives ou administratives n'avaient pas hissé un autre drapeau que celui de la Constitution. La Belgique n'a pas eu le bonheur de cimenter entre ses enfants une union complète. Dès le temps du Congrès, un parti s'était formé, parti alors très-faible, mais qui dans toutes les questions touchant de près ou de loin aux libertés religieuses, manifesta des tendances anti-catholiques. M. De Facqz, grand-maître de la loge maçonnique et ensuite, président de la société de l'Alliance, en était le porte-drapeau. Plus tard, lors de la solution de la question extérieure, ce parti se renforça par l'adjonction d'une fraction notable du parti orangiste. Les très-humbles serviteurs du Roi Guillaume devaient nécessairement applaudir aux idées anticatholiques qu'ils avaient si hautement approuvées dans leur royal patron. C'est depuis cette époque qu'on a cherché constamment, à l'aide de certaines équivoques, à dénaturer le libéralisme, en lui faisant prendre une signification qu'il n'a pas et qu'il ne peut avoir, et à jeter ainsi dans le pays un brandon de discorde extrêmement regrettable.

Il est donc vrai qu'il existe en Belgique une doctrine qui s'est formée en dehors des doctrines du Congrès National, doctrine négative en matière de religion, et pour cette raison faussement admise par tous ceux qui rejettent le frein religieux; négative en matière politique, et par-là extrêmement chère aux ennemis des pouvoirs établis. Mais cette doctrine n'est pas le vrai libéralisme elle n'est autre chose que la queue de la philosophie anti-religieuse

et anti-sociale du siècle dernier. Non, non, il n'est pas vrai que ce libéralisme bâtard n'existe que dans un cerveau malade : il existe à l'état de parti, agissant avec un concert admirable; il a ses réunions, ses émissaires, ses journaux; son existence ainsi que ses tendances irréligieuses se manifestent par des actes patents. Les prêtres exercent une salutaire influence; il faut les contre-carrer dans cette œuvre de civilisation. Des catholiques éminents siégent dans les Chambres; il faut les en exclure. - Mais ces hommes s'appellent Dubus, Dumortier, Malou, Dumonceau! Qu'importe? le pays peut se passer de leurs services; et ces hommes valent-ils un Frère, un De Haussy? Après tout, ne sont-ce pas des cléricaux ?

:

Ce n'est pas ici un langage, inventé à plaisir, que je prête gratuitement au parti prétendu libéral : lisez l'Observateur, l'Indépendance, l'Impartial de Bruges, etc., et vous verrez que je ne charge nullement le tableau. N'ont-ils pas battu des mains toutes les fois qu'un catholique fut éliminé des Chambres ? Mais qu'on y refléchisse sérieusement dans notre situation actuelle, la société a besoin de toutes les forces vitales du pays; elle a surtout besoin de l'influence catholique; c'est la religion qui doit ramener l'ordre dans les intelligences et donner au pouvoir une base solide; sans elle, l'ordre social tout entier chancelle et ne tardera pas de tomber en lambeaux. Le faux libéralisme est bien coupable de méconnaître cette vérité; il ne peut se faire illusion sur les dangers qui nous environnent, et pourtant il ne renonce pas à son système d'exclusion contre les catholiques. Dès que ceux-ci paraissent sur la scène électorale, dès qu'ils s'avisent de faire tomber leur vote sur un candidat de leur opinion, le faux libéralisme les foudroie de ses anathèmes. On dirait vraiment que la patrie est en danger toutes les fois que les catholiques ne s'inclinent pas respectueusement devant l'omnipotence du parti. Quel affreux tapage n'a-t-on pas fait dernièrement à Thielt lors de l'élection d'un sénateur? Le parti catholique, le clergé même ont osé lutter corps à corps avec le libéralisme dominant, lui qui avait l'appui de la haute administration, lui qui menaçait d'étouffer ses adversaires sous un énorme tas de caricatures. Quelle audace!!

Ni le clergé ni les catholiques en général n'ont cru devoir renoncer au droit de vote que la Constitution leur a conféré, et ils ont bien fait. Quoi! c'est au milieu d'un déchaînement de passions perverses, en face d'un libéralisme hautain, exclusif, intolérant, que les catholiques auraient dû rester les bras croisés et contempler d'un œil indifférent une lutte dont le résultat les intéressait vivement; le clergé aurait dû s'abstenir pour ne pas déplaire à M. De Haussy et à ceux qui partagent la manière de voir de ce ministre en matière de donations charitables !

Un homme quelconque, fùt-il socialiste ou républicain, peut se faire courtier électoral sans encourir le moindre blâme; par des promesses, il peut acheter les consciences qui sont à vendre; par des menaces, il peut gagner celles qui

sont naturellement timides; des commissaires de police, des gardes-champêtres peuvent arracher des votes au nom de ne sais quelle autorité, et un prêtre ne peut conseiller aux électeurs de voter pour le plus digne! Tout cela n'est-il pas exorbitant?

Cependant, il faut tout dire l'Indépendance ne condamne pas les catholiques à un ilotisme absolu en matière d'élection elle trouve très-rationel que les catholiques à Ypres et à Thielt aient désiré de voir élire un sénateur appartenant à leur parti. On voit que le vertueux journal respecte le for de la conscience. D'après cet aveu, on dirait en bonne logique, qu'il est également très-rationel que les électeurs catholiques de ces deux villes aient fait quelques efforts pour réaliser ce désir rationel; mais point: en travaillant à faire réussir les candidats de leur choix, ils ont révélé (aux yeux de l'Indépendance bien entendu,) tout un système d'hostilité contre le ministère et contre le libéralisme intelligent; ils ont fait voir qu'ils sout loin d'être sincères, et qu'ils songent à sortir du rôle que l'avènement de la politique nouvelle leur a fait. Or, comme c'est un grand mal de voir les catholiques reprendre leurs droits constitutionnels, l'Indépendance gourmande assez vertement ses lecteurs, parce qu'ils ont eu trop de confiance dans l'attitude du parti vaincu; elle leur crie de se tenir en garde contre la trahison, le drapeau que les catholiques avaient mis dans leurs poches allant reparaître, chose, du reste, que la feuille ministérielle avait prévue et prédite d'avance.

Comme l'erreur n'a qu'un temps et même un temps assez court, à moins que les intelligences égarées ne se révoltent contre la Providence, il est à espérer que le voile qui couvre encore le prétendu libéralisme, ne tardera pas de tomber, et que les hommes sensés, n'importent leurs convictions religieuses, le verront bientôt dans sa hideuse nudité. C'est au moyen de ses équivoques et de son langage hypocrite, qu'il s'est attaché jusqu'ici des hommes à intentions droites, mais qui se laissent trop facilement tromper par les apparences. Déjà on a remarqué qu'il se soucie fort peu de nos libertés publiques. Je veux bien croire qu'il ne songe pas encore à les abattre révolutionnairement, comme le Journal de Liége en a fait la menace; mais du moins il cherche à les interpréter dans un sens évidemment contraire à celui que les législateurs du Congrès leur ont donné. La politique nouvelle, c'est-à-dire, le ministère, qui s'appuie sur ce libéralisme, ne peut tarder à expier la faute qu'il a commise en se jetant dans ses bras.

Remarquez-le bien, ce n'est qu'à certaines conditions et sous certaines réserves que le libéralisme exclusif prête son appui au cabinet il exige de lui (telle est du moins l'opinion publique,) qu'il manifeste de plus en plus son mauvais vouloir à l'égard du clergé; qu'il suscite des tracasseries à une foule d'institutions charitables; qu'il poursuive ces bonnes sœurs

« PreviousContinue »