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gères: il a besoin de longues années pour mettre en équilibre ses deux forces, l'action politique et le travail de la pensée pouvant concourir au but social. S'il est un gage de succès pour la science et la littérature belges dans l'avenir, c'est cette même persévérance dont notre patrie a recueilli les heureux fruits en soumettant à de patientes épreuves la Constitution et les lois qu'elle s'était données. Que la nation ne cesse pas d'avoir confiance en elle-même, et elle complétera son grand travail de régénération et d'émancipation en donnant un plus libre essor à toutes les facultés de l'intelligence. L'imagination a pris les devants sa puissance inventive n'a-t-elle pas ressuscité en peu d'années la gloire de nos vieilles écoles, qui vit avec un éclat inespéré dans de nouveaux chefs-d'œuvre des arts? Il en sera de même dans la science, dans le domaine le plus élevé des études humaines, si la masse des hommes estimables qui remplissent aujourd'hui des carrières scientifiques, accepte et poursuit courageusement la noble et pacifique mission qui convient si bien à leur pays; s'ils s'efforcent de faire comprendre à la jeunesse de nos écoles de tous les degrés l'honneur et le bien-être qui sont attachés pour elle aux jouissances de l'esprit, aux progrès et aux conquêtes de l'ordre intellectuel. Heureusement, la Belgique ne manque pas de puissants exemples qu'elle ose proposer à l'attention des générations qui s'élèvent : il suffirait de rappeler sommairement, sous ce rapport, les publications qui ont été faites dans les deux langues de nos provinces, et de passer en revue les améliorations qu'a subies notre système d'enseignement alors même qu'elle a différé l'application complète de réformes jugées d'une haute utilité. Mais nous croyons ne devoir nous arrêter présentement qu'à un fait qui tient de près à l'avancement scientifique de notre pays: la persévérance de quelques associations, de quelques institutions dans la tâche qu'elles ont généreusement entreprise. Rendre hommage aux résultats considérables qu'elles ont obtenus, c'est prouver qu'un premier pas a été fait dans la voie des grands et utiles travaux qui honorent un peuple, et montrer en même temps que la Belgique doit redoubler d'efforts pour être elle-même dans la vie littéraire et scientifique, où le sentiment national trouvera infailliblement une nouvelle expansion et de nouveaux moyens de défense.

Il est, certes, digue de remarque, à une époque où les productions de l'esprit sont soumises trop souvent aux vicissitudes de la mode, que des travaux du genre le plus sérieux aient été accomplis consciencieusement, pendant une longue suite d'années, par des hommes qu'a unis les uns aux autres une véritable fraternité scientifique. Les Annuaires de nos corps savants en font foi le zèle des personnes qui les composent ne s'est point ralenti. Ces répertoires ont mis chaque année entre les mains du public une statistique curieuse qui doit faire juger de l'utilité des associations pour la science et pour l'art. Ils fournissent à la jeunesse de notre Belgique la meilleure preuve que les intérêts du vrai savoir ont été compris par les

élus de la nation, et qu'un grand nombre de bons esprits a répondu à leur appel. Que l'on objecte l'exiguité des ressources dont nos hommes d'État peuvent disposer en faveur des travaux de l'intelligence; que l'on objecte encore l'indifférence avec laquelle l'opinion publique a souvent accueilli les essais les plus louables, il n'en est pas moins vrai qu'une grande impulsion a été donnée aux études, grâce à un zèle éclairé et grâce à un patriotisme noblement désintéressé. C'est beaucoup que de reconnaître que toutes les sciences ont trouvé, dans le nouveau royaume de Belgique, des représentants qui ont fait valoir leur prix véritable, mais qui appellent à eux de nouveaux travailleurs afin d'achever l'œuvre commencée. A ces hommes d'élite appartient incontestablement le mérite de l'initiative reste à ceux qui les suivent de plus près l'obligation de leur prêter un concours franc et loyal, pour que la réunion de tous les efforts et de tous les talents contribue au bien et à la gloire de notre patrie.

Parmi les associations dont nous voulons parler, pourquoi ne mettrionsnous pas en première ligne l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique? Nos lecteurs savent que l'ancienne Académie de Bruxelles a été réorganisée en 1845 par M. Sylvain Van de Weyer, alors ministre de l'intérieur, et qu'elle s'est accrue d'une classe des beaux-arts, en même temps que la classe des lettres a été rendue indépendante de celle des sciences. L'Académie n'a point failli, elle ne faillira point à la tâche désormais plus vaste qu'elle a reçue des chefs de l'État : c'est pourquoi il est bien juste de relever quelquefois publiquement la nature des services qu'elle est appelée à rendre à notre nationalité. Les publications scientifiques de l'Académie s'adressent nécessairement à un public assez restreint ses travaux les plus étendus se publient dans des volumes de Mémoires, formant présentement plusieurs séries qui répondent aux diverses époques de l'histoire de l'Académie; les lectures plus courtes qui ont lieu aux séances mensuelles sont communiquées sous forme de bulletins détachés, dont la collection est déjà considérable. Qu'on joigne à ces deux publications les recherches laborieuses de la Commission royale d'histoire, déposées dans un bulletin mensuel, qui vient d'atteindre le tome XV, et dans le beau recueil des Chroniques belges inédites, formant ensemble treize volumes in-quarto, et l'on aura une idée de la masse de travaux et de documents que nos académiciens ont mis à la disposition des classes instruites. Encore une fois, il n'est pas inutile de répéter ce que des compatriotes ont fait pour le progrès des sciences, puisqu'il arrive trop souvent que des Belges connaissent à peine ce qui a été réalisé d'utile et de grand dans leur pays et sont portés en conséquence à un injuste dédain pour une gloire bien acquise. Louer un corps savant comme l'Académie royale de Belgique, c'est rappeler à nos concitoyens une illustration dont ils ont droit d'être fiers, c'est nommer une institution dont l'État ne peut cesser sans crime d'être le soutien et le protecteur.

Veut-on connaître l'organisation de ce corps savant, on n'a besoin que de parcourir l'Annuaire de l'Académie royale pour 1849, modeste recueil qui est parvenu à sa quinzième année (1). Outre un aperçu historique qui résume les pièces publiées dans les premières années du même recueil, on y trouve les arrêtés royaux qui ont donné à l'Académie une situation nouvelle et plus florissante qu'à aucune autre époque, ainsi que les règlements intérieurs de ses trois classes et de la commission d'histoire; on y trouve encore des documents sur le grand prix quinquennal en faveur du meilleur ouvrage sur l'histoire du pays, et sur les travaux spéciaux que le Gouvernement a demandés à l'Académie; une biographie nationale, une collection des grands écrivains du pays avec traductions et notices, la publication des anciens monuments de la littérature flamande. Espérons que le Gouvernement ne négligera rien pour assurer à l'Académie les moyens d'exécution que suppose l'étendue de ce genre de travaux. L'Annuaire renferme la liste des membres, des correspondants et des associés étrangers de l'Académie, avec la date de leur nomination; il est terminé par des notices biographiques consacrées aux membres et associés décédés pendant l'année 1848 : à LouisVincent Raoul, célèbre comme traducteur de Juvenal et de Perse en vers français, par M. Quetelet; au baron J.-C.-F. Ladoucette, littérateur français, par M. le baron de Stassart; au fameux chimiste suédois, J.-J. Berzélius, par M. Louget. Nous ne finirons point cette analyse du dernier Annuaire de l'Académie, sans exprimer le regret qu'un rapport succinct concernant les travaux des trois classes n'y soit pas inséré, afin de faire apprécier facilement d'un coup d'œil l'état présent de ces travaux et les projets dont chaque classe entend poursuivre incessamment l'exécution. Mais comment louer dignement le zèle infatigable du secrétaire perpétuel de l'Académie, M. Quetelet, qui a surveillé constamment l'impression des nombreux mémoires publiés annuellement, et qui a toujours montré une complète impartialité dans les soins qu'il a donnés à cette partie de sa charge, comme à toutes ses fonctions publiques?

M. Quetelet a publié depuis seize ans l'Annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles (2), dont il est depuis longtemps le vigilant directeur. Pour signaler toute l'importance de ce recueil, il faut dire qu'il ne contient pas seulement des observations astronomiques et météorologiques qui appartiennent en propre à son auteur, dont la renommée scientifique est européenne, mais encore des renseignements statistiques de la plus grande valeur pour la Belgique. M. Quetelet, qui s'est voué avec une constance admirable aux recherches les plus minutieuses dans toutes les branches de la statistique et

(1) Bruxelles, Hayez, 178 p. in-12".

(2) Bruxelles, Hayez, 1849, 1 vol. in-24°.

s'est occupé en même temps de la théorie de cette science, a rassemblé dans l'Annuaire de l'Observatoire des données précieuses sur les poids et les mesures, ainsi que sur leur réduction en d'autres mesures usitées en Europe, sur les monnaies, sur la population de la Belgique, sur l'état général des naissances, mariages, divorces et décès pendant l'année 1847, sur le budget du royaume et des provinces, sur le mouvement des chemins de fer, sur les tribunaux et les prisons, etc. On peut juger par ce rapide aperçu quel intérêt présente l'Annuaire, rédigé par M. Quetelet, à toutes les classes de la société belge: les sciences sociales, les sciences physiques et mathématiques, le commerce, l'industrie, les finances y sont l'objet de calculs et de relevés qui touchent aux questions de la plus grande actualité, et qui en sont des éléments de solution: il faut savoir gré à l'habile éditeur d'avoir cherché constamment dans la science des applications utiles qu'il se fait un devoir de mettre chaque année à la portée de tout le monde.

Le chef d'un autre établissement national n'a pas montré moins de zèle que le directeur de l'Observatoire dans le soin de communiquer au public belge tout ce qui peut exciter le goût des études fortes et sérieuses : c'est M. le baron de Reiffenberg, placé à la tête du grand établissement qui est lié si étroitement aux institutions scientifiques de notre capitale. Depuis dix ans, il a pris à honneur de publier l'Annuaire de la Bibliothèque royale de Belgique (1), dont il est le conservateur, et il est ainsi parvenu, en même temps qu'il attirait l'attention des étrangers sur notre principale collection de livres et de manuscrits, à la montrer à nos compatriotes comme un centre d'études et un foyer de recherches. Le recueil des Annuaires n'est pas seulement un relevé des trésors bibliographiques dont s'est enrichie d'année en année notre bibliothèque royale, grâce aux démarches du Gouvernement et aux correspondances actives de son directeur; il est en même temps une sollicitation non moins adroite que loyale d'un bibliophile célèbre à tous ceux qui, dans notre pays et à l'étranger, sont portés à vouer beaucoup de temps et de peines à la conservation des monuments typographiques, en d'autres termes, au culte des livres. On sait que ce culte ne s'est jamais perdu en Belgique, même aux époques de notre histoire les plus malheureuses pour les lettres; et qui ne voudrait voir se perpétuer ces vocations pacifiques et humbles qui préparent des instruments aux travaux d'intelligences privilégiées ?

M. de Reiffenberg ne veille pas seulement aux progrès de cette science traditionnelle qui concerne la conservation des livres et embrasse la statistique des raretés disputées à prix d'argent par les amateurs; il sait parler

(1) Bruxelles et Leipzig, C. Muquardt, dixième année, 1849, — 1 v. in-12o.

aux hommes de la spécialité leur langage, au point de discuter les plus minces incidents susceptibles de controverse, comme il l'a fait dans ses Archives philologiques et dans le bulletin du Bibliophile belge, ainsi que dans les préfaces de ses éditions de textes et documents historiques. Mais il aborde et il examine les questions de science dans toute leur généralité; il sait donner aux sujets qu'il indique à la sagacité des travailleurs un intérêt philosophique, qui échappe d'ordinaire aux bibliographes consommés. M. de Reiffenberg est un savant, et un savant spirituel, aimant les sciences et les recommandant loyalement tour à tour dans ses ingénieux aperçus. Félicitons-nous donc de voir la Bibliothèque royale mise sous la direction d'un homme intelligent et actif, qui ne néglige aucune occasion de rendre le savoir accessible à tous, en le faisant aimable pour tous. Espérons que la vive sollicitude qu'il montre dans le nouvel Annuaire pour le sort des livres et l'avenir des études ne sera pas justifiée par les événements désastreux dont il fait voir la civilisation partout menacée. Pas un rapport, pas une notice dans le recueil de 1849, où l'écrivain ne fasse quelque restriction aux projets des savants, en montrant à l'horizon d'énormes nuages prêts à déverser sur l'Europe entière une épouvantable barbarie. Il est bien juste de le remercier d'avoir eu le courage d'écrire et de publier, après que la révolution de février avait suspendu sur sa tête, comme sur celle de tant d'autres, l'épée de Damoclès qu'il n'a pu s'empêcher de considérer à chaque instant. On ne s'étonnera point d'après cela, c'est le seul exemple que nous citerons, qu'il ait jugé bon de faire mention des dernières recherches de M. le vicomte d'Héricourt (Revue de Paris, octobre 1848), sur la guillotine, comme d'un sujet d'un effroyable à-propos « Il est bon, ajoute-t-il, de se familiariser avec un >> ennemi qui peut nous surprendre d'un instant à l'autre. »

L'Annuaire nouveau est partagé, comme celui des années précédentes, en plusieurs sections, dont nous croyons utile d'indiquer le contenu, surtout parce que les plus courtes notices, tendant à éclaircir quelque fait bibliographique, viennent se classer facilement avec ordre dans ces catégories. La première section comprend un coup-d'œil sur la Bibliothèque royale, sur les deux collections d'imprimés et de manuscrits (1), sur les bâtiments et le service. La seconde section renferme des notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque royale et d'autres dépôts. La troisième section est remplie par des Mémoires pour l'histoire des lettres, des sciences, des arts et des mœurs; la quatrième consiste en mélanges bibliographiques. Des morceaux de poésie qui ont pour auteur l'ingénieux académicien ou quelqu'un de ses amis, terminent d'ordinaire l'Annuaire de la Bibliothèque s'il est difficile de

:

(1) Les imprimés faisaient une masse de 85,061 volumes, au 1" octobre 1848, le fonds de la ville étant estimé à 45,000 volumes.

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