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plus d'un endroit il les cite pour les contredire, et il faut bien l'avouer, les pièces qu'il produit à l'appui de son opinion semblent en général pleinement la justifier. C'est ainsi, par exemple, que s'il admet les arguments péremptoires par lesquels M. Wauters restitue à Roger de Bruges son véritable nom qui n'est autre que celui de Roger Van der Weyden, arguments que M. Van Hasselt fortifie d'une preuve nouvelle et des plus concluantes (1), il n'est nullement d'accord avec le savant archiviste de Bruxelles sur le lieu de naissance de notre peintre; sans oser l'affirmer d'une manière positive, il incline à croire que ce fut à Bruges et non à Bruxelles, comme le pense M. Wauters, que Roger Van der Weyden-le-Vieux a vu le jour. Cette opinion, il l'appuie d'une part sur une discussion raisonnée des passages de Vasari et d'Opmeer, cités par M. Wauters et de l'anonyme de Morelli auquel il fait allusion; et d'autre part, sur deux passages de van Mander: dans le premier, ce biographe avance que Bruges possédait un grand nombre d'ouvrages de Roger tant dans les églises que dans les maisons particulières; dans le second, il affirme que Roger Van der Weyden-le-Jeune, (dont M. Van Hasselt constate les liens de parenté avec Roger de Bruges ou le Vieux) est venu de Flandre à Bruxelles, ou au moins est issu de parents Flamands. Enfin, M. Van Hasselt appuie encore son opinion sur l'usage assez général, à cette époque, de substituer au nom de famille celui du lieu de naissance. Cependant, cette dernière preuve ne nous semble pas d'une bien grande valeur, puisque nous voyons plusieurs artistes du Moyen Age emprunter leur surnom à leur séjour habituel; et pour n'en citer qu'un seul, Jean van Eyck, quoique né à Maeseyck, ne portait-il pas, lui aussi, le surnom de Bruges (Jean de Bruges) (2)?

(1) «...... C'est l'inscription que, selon le chanoine Heylen, ancien archiviste de l'ab>> baye de Tongerloo, on lisait autrefois sur un tableau appartenant à cette maison, et » peint en 1555, par Goswin Van der Weyden, petit-fils de Roger, que la même inscrip» tion désigne comme l'Appelles de son époque, surnom qui ne peut se rapporter qu'au » maître célèbre, dont Facius et d'autres Italiens avaient depuis le XVe siècle, fait >> sonner si haut la gloire. »

(2) On pourrait toutefois remarquer ici en passant, à l'appui de l'opinion de M. Van Hasselt, que le nom de van Eyck n'est vraisemblablement lui-même qu'un surnom emprunté, (à une époque impossible à déterminer), au berceau de la famille. Van Mander, en effet, nous apprend que Jean van Eyck naquit à Maeseyk sur la Meuse. (Johannes van Eyck, welcken is gheboren gheweest tot MAESYCK, op de heerlycke riviere de Mase), (*) c'est-à-dire à Eyck-op-Maese (**) ou Chêne-sur-Meuse, ainsi nommé pour le distinguer de Aeldeneyck ou Vieux-Chêne, situé à proximité de Maeseyck, et à qui celuici doit même la partie fondamentale de son nom (Eyck), comme il lui doit son origine. Nous n'avons pas besoin de discuter ici ce qui a pu motiver ce nom de Eyck, Chêne, donné à Aelden-eyck, et à Maes-eyek, ni même si, dans le principe, ces deux endroits

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(*) CAREL VAN MANDER, Het leven der doorluchtighe nederlandische en kooghduytsche schilders; fol. 199, Edit. orig. Haerlem, 1604.

(**) On écrivait indifféremment Mase, Maase, Maese et même Mease.

Notre intention n'est point de suivre pas à pas M. Van Hasselt dans les divers paragraphes de son intéressant opuscule, où il discute tour à tour, avec une sagacité toujours soutenue, et d'après tous les documents connus latius, italiens, flamands et français, le nom, l'année de la naissance, la vie, les études, les voyages, la mort du grand peintre brugeois. Nous ne ferons qu'annoter, comme faits désormais au-dessus de la discussion: que Rogerle-Vieux fut disciple de Jean van Eyck; Facius, Giovanni Santi, père de l'immortel Raphaël d'Urbin, Vasari, van Mander s'accordent sur ce point. Nous ne résistons pas au plaisir de reproduire en passant les vers de G. Santi, cités par M. Van Hasselt. Les éloges magnifiques qu'il y donne aux maîtres flamands sont d'autant moins suspects qu'il pratiquait lui-même l'art d'une manière fort remarquable, comme témoignent suffisamment les œuvres que l'Italie possède encore de lui. Chose digne d'attention, c'est surtout par la couleur que Santi brillait. Nous nous rappelons d'avoir vu de lui à Rome un portrait d'homme qui, pour l'éclat et le monté de ton, eût été digne des plus vigoureuses productions de l'ancienne école vénitienne, si rapprochée pour la couleur de notre vieille école flamande. Il était donc bien capable d'apprécier les qualités qui font les vrais coloristes et l'excellence, dans cette haute spécialité de l'art, de notre maître brugeois « qui a souvent, dit-il, comme coloriste, surpassé la nature elle-même! »

A Brugia fu tra gli altri piu lodato

Il gran Joannes, el discepol Rugero
Con tanto d'alto merto dotati,

Della cui arte e sommo magistero

Di colorire furno si eccellenti

Che han superato spesse volte il vero.

En suivant les données positives fournies par M. Van Hasselt, après M. Wauters, nous pouvons encore tenir pour certain que maître Roger fut pourtraiteur ou peintre à gages de la ville de Bruxelles, et que cette charge il la possédait déjà en 1456 et l'occupait encore en 1449; que dans le courant de cette même année, 1449, il partit pour l'Italie; qu'il assista l'année suivante, 1450, aux fêtes du grand Jubilé à Rome, où l'appelaient également sans doute et sa piété (car à cette époque si splendide pour l'art, il était encore permis d'être peintre et vraiment catholique), et le brillant spectacle des pompes religieuses si émouvantes de la ville éternelle, si fécondes en inspirations poétiques pour le littérateur et pour l'artiste.

ne s'appelaient pas simplement Eyck, ou s'ils ont toujours été accompagnés de leur désignation particulière. La seule chose qu'il nous importe de constater, c'est que l'élément principal de leur nom est Eyck, lequel se retrouve dans le nom des illustres peintres des XIVe et XVe siècles, et que van Mander a toujours soin, contrairement à quelques biographes plus modernes, d'écrire van Eyck, (avec un petit v et un grand E.)

Des considérations fort judicieuses, basées sur les faits et sur le sens commun, combattent en passant cette opinion émise par quelques auteurs, que Roger poussa ses pérégrinations jusqu'en Espagne, et qu'il fut même attaché à la cour du Roi de Castille Juan II, en qualité de peintre à gages.

Ajoutons encore que ce grand maître eut l'honneur sans égal d'initier aux secrets de son art et de la peinture à l'huile l'immortel Hemling, qui ne fut pas seulement le plus grand peintre de son école et de son siècle, mais peut-être, avec le Bienheureux Ange de Fiésole, l'interprête le plus élevé du Catholicisme dans l'art (1).

Ajoutons enfin que mort à Bruxelles, probablement le 16 juin 1464, Roger Van der Weyden-le-Vieux y fut enterré dans l'église des SS. Michel et Gudule, devant l'autel de Ste -Cathérine. Une dalle en pierre bleue dont Zwertius nous a conservé l'inscription (2), indiquait autrefois la place où reposait l'illustre maître brugeois. « Cette dalle, nous dit M. Van Hasselt en >> terminant cette partie de sa notice, consacrée au premier des Van der » Weyden, cette dalle a depuis longtemps disparu. On suppose avec fonde>>ment qu'elle fut brisée lorsque, dans la partie de l'église où elle se trouvait, >> on reconstruisit en 1534 la chapelle du Saint Sacrement des Miracles. » Mais, ajoute-t-il avec vérité, le maître illustre dont elle scellait la tombe, a » laissé, dans l'histoire de l'art flamand, un monument que rien ne brisera » et un nom que rien ne pourra effacer. »>

Il y a quinze mois environ que visitant, sur le mont Janicule, la petite église des Anachorètes de St-Jérôme, Sant' Onofrio, ou repose le Tasse, — nous entrâmes par hasard dans une vieille chapelle qui y est attenante, et où l'on pénètre par une arcade surbaissée ouverte sur la nef, près de la porte d'entrée de l'église. Cette chapelle, qui ne reçoit de jour que par cette arcade et par quelques lucarnes plus gênantes qu'utiles, est d'une obscurité d'autant plus regrettable qu'elle est entièrement décorée de fresques fort anciennes, remarquables par la beauté de leur style et de leur couleur. Pour autant que les ténèbres éternelles qui règnent dans ce lieu, nous permirent d'en juger, les peintures de la voûte divisées en divers compartiments enchâssés dans un vaste système de riches ornements-avaient des airs de famille prononcés, pour le caractère et le ton, avec les belles fresques du Perugin au Vatican et avec celles non moins remarquables de son élève Pinturicchio à Ara-Cœli, à Sta-Croce di Gerusaleme, à Sta-Maria del Popolo et au-dessus du maîtreautel même de Sant-Onofrio; fresques qui rappellent à tant d'égards nos

(1) Voir les pages remarquables consacrées à Hemling par M. HIPPOLYTE FORTOUL dans son livre De l'art en Allemagne; Tom. II, p. 146 à 153.

(2) ZWERTIUS, Monumenta sepulcralia et inscriptiones publicæ privatæque ducatûs Brabantiæ, p. 284 cité par M. V. H.

vieux maîtres flamands. Après avoir vainement consulté notre Guide, et depuis bien d'autres Guides dans Rome, qui tous gardent le plus profond silence sur ces remarquables peintures, nous nous enquimes du nom de leur auteur auprès du frère ermite qui venait de sonner l'office de l'après-midi. Il nous déclina un nom qui se rapproche singulièrement de Roger Ruggiero, donné à Roger de Bruges par Cyriaque d'Ancone dans Giuseppe Colucci, et qui n'est probablement pas autre que celui de notre illustre compatriote. Sans donner trop de poids à l'érudition un peu équivoque peut-être du pauvre frère, ne serait-il pas permis de penser cependant que notre Roger, dont la réputation était si brillante en Italie comme l'attestent les paroles des auteurs Italiens de son temps (1), fut chargé pendant son séjour à Rome de la décoration d'une chapelle particulière? Et si l'on nous objecte qu'un tel fait eût nécessairement été signalé par Facius, qui s'arrête avec complaisance à indiquer les différents points de l'Italie assez heureux pour posséder des œuvres du grand maître brugeois, ne serait-il pas permis au moins de conjecturer que ces peintures d'un caractère si flamand, ont été exécutées sous ses yeux, par quelque artiste italien formé sous sa direction ou au moins visant à l'imiter? Ce qui expliquerait fort bien l'opinion traditionnelle du couvent, qui les attribue à un maître du nom Ruggiero. Ceci, du reste, nous semble d'autant plus admissible que le même Giuseppe Colucci nous apprend que « Cyriaque d'Ancône, contemporain de Facius et de notre Roger, connut, en » 1449, à la cour du marquis Leonello d'Este, le peintre Siennois Angelo >> Barrasio, qui peignit les neuf Muses dans le palais Belfiore, près de Flo»rence, en imitant Jean (van Eyck) et Roger Ruggiero de Bruges (2). »

Quoi qu'il en soit, et en attendant que nous ayons l'occasion de vérifier jusqu'à quel point notre conjecture est fondée, nous ne pouvons que regretter le silence gardé par tous les livres spéciaux sur une œuvre d'art d'un mérite éminent, et qui fait le plus grand honneur au maître qui en est l'auteur, au pays qui a produit un tel maître.

Après avoir mis à profit tout ce qui nous reste sans doute de documents sur Roger Van der Weyden-le-Vieux, M. Van Hasselt consacre la seconde partie de son travail à Roger Van der Weyden-le-Jeune, plus généralement connu sous le nom Roger Van der Weyden de Bruxelles.

Si, grâce aux données plus certaines, plus nombreuses que nous possédons sur ce second peintre du même nom, M. Van Hasselt devait éprouver, ce

(1) CYRIAQUE D'ANCONE, apud COLUCCI, Antichita Picene, Tom. XXIII, p. 143, Cf. LANZI, histoire de la peinture en Italie, T. III, p. 41; et FACIUS, de viris illustribus, p. 45, 48 et 49; cités par M. V. H.

(2) GIUSEPPE COLLUCCI, Antichita Picene, Tome XV, p. 145; apud LANZI, Tome I, Cité par M. V. H.

p. 163.

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semble, plus de facilité à traiter cette seconde partie, il se trouvait cependant arrêté dès le commencement par un doute singulier. et qui a trouvé quelque crédit de nos jours chez plusieurs savants du premier ordre.

En effet, il ne s'agissait de rien moins que de prouver l'existence même du second Roger, contestée récemment par M. Al. Wauters, et après lui par le Dr Waagen, de Berlin.

Après en avoir appelé de la supposition toute gratuite de ces Messieurs à la candeur, à la probité littéraire de notre van Mander, dont la véracité devrait, semble-t-il, être au-dessus du doute, M. Van Hasselt qui rattache en passant le second Roger Van der Weyden au premier par des liens de parenté fort admissibles, discute et détruit les principaux arguments sur lesquels MM. Wauters et Waagen étayaient leur opinion. Il en était deux surtout, à part l'examen des tableaux, qui leur avaient paru péremptoires. Le premier, ce sont les éloges donnés par Albrecht Dürer, lors de son voyage aux Pays-Bas (1520-1521), aux tableaux de notre peintre, ornant la salle du Conseil des Magistrats ou Gulden Kammer, à l'hôtel de ville de Bruxelles. Ces éloges, pour se résumer en quelques mots, n'en sont pas moins bien remarquables, puisqu'ils viennent d'un artiste, et d'un artiste du talent de Dürer, et cela en faveur d'un contemporain, c'est-à-dire d'un rival, car ils peignaient tous deux le même genre. Toujours est-il, qu'il appela notre Roger un grand maître (gross meister Rudier), ce qui dans la bouche de Dürer acquiert une grande valeur. M. Waagen, s'appuyant sur l'amour-propre trop souvent jaloux et par là même mesquin et injuste des artistes envers leurs confrères, en conclut que ces éloges du grand peintre de Nuremberg ne peuvent s'adresser qu'aux œuvres d'un peintre déjà mort, et par conséquent à Roger-le-Vieux. Mais M. Van Hasselt, en rappelant fort à propos un autre passage du journal d'Albrecht Dürer, où ce grand homme prodigue, avec l'impartialité de la supériorité vraie, de magnifiques éloges à un autre de nos compatriotes, au sculpteur Conrad de Malines, également contemporain du peintre Tudesque, répond victorieusement, paraît-il, au savant directeur du Musée de Berlin. Nous nous permettrons seulement de faire observer en passant, que quelque fût le sentiment de justice qui arrachât la vérité à Albrecht Dürer, il devait sans doute accorder plus difficilement l'éloge, et pour divers motifs, à un peintre qu'à un sculpteur encore vivant; mais ayons soin d'ajouter que la manière dont il parle de Roger et de Conrad, un seul mot pour celui-là, des phrases pompeuses pour celui-ci, suffirait pour nous donner la mesure de ses sentiments d'artiste à cet égard.

M. Wauters et après lui M. Waagen arguent encore de l'empressement vraiment opiniâtre avec lequel la Reine Marie de Hongrie, sœur de CharlesQuint et gouvernante des Pays-Bas, poursuivit l'acquisition d'un triptyque, peint par Roger Van der Weyden, pour la chapelle de N.-D. hors-des-murs à Louvain, contre l'existence de ce même Roger, et attribuent encore une

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