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» d'un bonnet de peau, les hélotes étaient traités d'une manière cruelle et » perfide; on les punissait quelquefois de la mort, sans aucun fondement. » Leur meurtre même passait pour une action honorable, depuis qu'en vertu » d'une loi de Lycurgue, tous les ans, les jeunes Lacédémoniens étaient » exercés à ce qu'on appelait la guerre clandestine (Cryptia), pour égorger » tous les hélotes qu'ils pouvaient rencontrer. On les contraignait à recevoir, >> chaque année, un certain nombre de coups de fouet, sans les avoir mé» rités, dans la vue seulement qu'ils ne désapprennent pas à obéir. »

Écoutez encore un autre savant :

« La cinquantième olympiade, dit Winckelmann, fut suivie d'un temps >> funeste pour la Grèce. Subjuguée par plusieurs tyrans, elle se débattit » contre l'oppression pendant 70 ans. Polycrate se rendit maître de Samos, » et Pisistrate, d'Athènes; Cypselus Tyran de Corinthe fit passer l'autorité » à son fils Périandre et fortifia sa puissance par des ligues et des alliances » avec d'autres ennemis de la liberté publique, tels que les maîtres d'Am» bracie, d'Épidaure et de Mitylène; Mélanchrus et Pittacus étaient tyrans » de l'ile de Lesbos ; et toute l'Éubée était soumise à Timondas. Lygdamis, » aidé de Pisistrate, se rendit maître de l'ile de Naxos, et Patrocle de la » ville d'Epidaure; cependant ce n'était pas par violence ni à main armée » que la plupart de ces ambitieux s'étaient emparés de l'autorité souveraine : » ils étaient parvenus à leurs fins par la force de leur éloquence, et ils s'étaient » élevés par leur condescendance pour le peuple (1). »

Lisez enfin l'histoire d'Athènes, partout on parle de liberté après Pisistrate, et l'on finit successivement par le système à bascule de Solon, par Périclès, Alcibiade, le despotisme des Quatre cents, de Lysandre, des Trente Tyrans, jusqu'à ce qu'il plaise à un Barbare de la Macédoine de piétiner la plus brillante expression de la race grecque.

De même, transportez-vous maintenant à Rome; partout encore on entend parler de liberté dans la plèbe, partout on l'entend retentir encore dans la chute des Tarquins, dans les lois Valeriennes, dans la création du Tribunat, dans les projets de Licinius Stolon, dans les luttes de plus en plus persévérantes des tribuns pour partager d'abord toutes les dignités des patriciens, pour les leur arracher ensuite, même le consulat, ce consulat auquel on ne parvint qu'après 80 ans de Tribunat militaire. Or, où finit cette liberté tant célébrée parmi nous? Elle finit à la ploutocratie de Servius Tullius, à la tyrannie du Patriciat, à la tyrannie pire encore des Ingenui qui étaient assez habiles ou assez intrigants pour se faire nommer tribuns; elle finit à la

(1) WINCKELMANN, Histoire de l'art chez les anciens, trad. de M. Huber, Tome III, page 11.

tyrannie des chevaliers, des Publicains, de tous ces vampires qui s'étaient rués sur la plus riche dépouille du monde, avant la tyrannie d'Auguste, de Tibère et de Néron.

La liberté des républiques anciennes n'a donc rien qui puisse et qui doive tenter l'intelligence moderne. Cette liberté ne fut que de l'agitation et implicitement la mort de toutes les nationalités.

On reprend qu'à Athènes comme à Rome, on eut au moins l'avantage de n'avoir que des magistrats responsables, éligibles par le peuple, à la majorité des suffrages.

Or, veut-on que nous détachions quelques idées de notre cours de philosophie, sur la civilisation romaine par exemple? Pour ne pas trop insister ici, en voici quelques-unes.

A Rome, la première condition de l'admissibilité aux magistratures était l'Ingenuitas, la qualité d'homme libre.

Etaient exclus par conséquent des magistratures les fils d'affranchis, les hommes de basse extraction, les œrarii, les infâmes. Qu'on le remarque, on rangeait sur la même ligne les infâmes et les hommes de basse extraction, dans leurs rapports avec les emplois.

Désire-t-on connaître maintenant la sincérité (1) des élections? Voici ce qui se passait :

Quand un homme briguait une magistrature, il avait à son service des gens payés pour faire des salutations aux électeurs; il en avait d'autres payés pour leur faire des cajoleries; il en avait d'autres pour savoir à quels individus nommément il fallait s'adresser. Une loi, il est vrai, décréta la peine de mort contre les corruptions d'argent. Mais vaines précautions! Alors on faisait des dépôts de sommes au profit de ceux qui pouvaient le mieux servir les candidats; on en distribuait en aumônes; on alla si loin que l'on organisa des sociétés particulières pour entraver tel ou tel; qu'il y eut même des individus dont l'unique mission était d'inventer des calomnies pour nuire à l'un et assurer le succès à l'autre.

Examinez ensuite comment a fini toute cette liberté; toujours par la tyrannie.

Après toute cette liberté antique, nous parlerait-on de la liberté, telle que la rêvaient quelques frénétiques de la Convention? Qui oserait recom

(1) Contra Lævinum, Valeri genus, unde superbus
Tarquinius regno pulsus fuit, unius assis
Non unquam pretio pluris licuisse, notante
Judice quem nosti populo; qui stultus honores
Sæpe dat indignis et fæma servit ineptus ;
Qui stupet in titulis et imaginibus.

(HORACE, Sat. VI, lib. 1.)

mencer aujourd'hui une liberté dont l'unique conséquence serait de décapiter les deux tiers de la nation? Ne sait-on pas d'ailleurs comment finissent toutes ces libertés de bourreaux? Ne sait-on pas déjà comment finissent les bourreaux politiques (1) eux-mêmes?

« Mais quoi! disent les prolétaires qui font partie de la minorité lettrée, >> quoi! nous sommes aussi capables que d'autres d'occuper les emplois >> publics. Nous sommes instruits par les mêmes maîtres

nous sommes

» élevés, nous grandissons dans les mêmes idées, dans le même esprit; et » quand il s'agit de prendre sa place au soleil, nous ne sommes pas plus » que des parias; nous ne sommes pas plus que les esclaves du monde

(1) Les lignes suivantes ne comportent pas de commentaires. Nous les reproduisons pour donner une idée du langage de certains journaux républicains. On lit dans le Peuple souverain, de juin dernier :

«En ce moment peut-être, citoyens du Rhône, de l'Isère et de l'Ain, nos représentants de la Montagne ont les yeux tournés vers nous; ils nous demandent dans leur cœur et dans leur conscience si nous les avons bien envoyés à Paris pour défendre, même par la force, même derrière une barricade, la révolution attaquée, la république trahie; nous n'avons pas à notre disposition le télégraphe pour leur transmettre en quelques minutes, chaque matin, nos encouragements ou notre blâme sur leur conduite de la veille.

Mais au moins, cette feuille leur arrivera : qu'elle leur dise que nos contrées sont prêtes à les soutenir s'ils nous en donnent le signal; la majorité qui les a nommés n'a fait que grossir, les campagnes et notre armée comprennent que la république est en danger; s'il n'y a plus moyen d'éviter la guerre, si nous avons déjà des cosaques à Paris, nous savons qu'on ne discute pas avec des cosaques, on les chasse ou l'on se fait tuer. Nous aurions désiré qu'il en fût autrement, notre conscience ne nous reproche rien; mais puisque les blancs l'ont voulu, disons-le une dernière fois : « Entre leur royauté abhorrée et notre république chérie, il y aura des montagnes de cadavres et des flots de sang!»

Le républicain de Lyon qui a écrit les lignes qu'on vient de lire ne sera pas accusé de manquer de franchise. Ecoutons maintenant un communiste allemand, le sieur Becker, ami de Struve :

« Les révolutions de février et de mars ont heureusement échoué; elles étaient inconséquentes dès le premier jour, car il leur manquait le baptême de sang... La révolution européenne date de la bataille de juin 1848.... Ce que la bataille de juin nous a valu, c'est d'avoir démontré que le parti de la vraie révolution doit abandonner le chemin des réformes, détruire ses ennemis sans aucun ménagement ni égard, et ruiner de fond en comble tous les éléments de la société actuelle, pour réaliser les exigences de nos principes. Tous les prétendus démocrates qui ne se rallient pas à la révolution du proletariat, sont ses ennemis.

» Ceux qui veulent d'abord l'unité, la puissance, la grandeur de la patrie, et pour qui la liberté ne vient qu'après, sont nos ennemis... La révolution du prolétariat ne peut pas marcher d'accord avec les politiques de l'école philosophique, qui veulent que non-seulement le but, mais encore les moyens soient conformes aux principes; car, pour nous, tout moyen est bon s'il conduit au but.

» L'Etat doit être tout-puissant. Il doit prendre à son compte toute manufacture, toute fabrique qui ne peut plus continuer de travailler. C'est lui seul qui se charge de l'acquisition.

» La religion ne sera pas seulement bannie de l'éducation, mais il faut encore qu'elle disparaisse de l'âme humaine... Notre parti ne veut pas la liberté de conscience, mais il demande qu'on soit obligé de n'avoir nulle croyance... Les démocrates ne reculent devant aucun moyen pour réaliser leurs vues. »

» antique? Non, il n'en sera pas ainsi, car il y a là une flagrante injustice. >> Soulevons donc les masses au nom de la liberté, et vengeons les humilia» tions du passé. »

Ces paroles ont de quoi séduire et entraîner des imaginations (1) faibles. Malgré toutes les constitutions en effet, malgré toutes les chartes, malgré toutes les républiques, les choses sont ce qu'elles étaient autrefois : tout appartient encore aux classes élevées; car, quoiqu'on dise, il y a toujours des classes: le prolétaire, l'homme qui n'a ni appui ni protection n'a jamais rien. Et sans aucun doute, il y a ici une cause sans cesse renaissante de colères et d'indignations. Mais les hommes de doctrine doivent être plus forts que l'imagination, plus forts que la colère, plus forts que l'indignation; la colère et l'indignation fussent-elles légitimes; et ils doivent faire la part à chacun. Or, qu'arriverait-il si ceux qui se plaignent, même à bon droit, du privilége exorbitant des classes élevées, parvenaient à se substituer, un jour, à tous ceux qu'ils détestent? Pense-t-on qu'eux aussi dénués de tout principe, comme la plupart de ceux qu'ils accusent, ne finiraient point à la longue par former du privilége à leur profit? Pense-t-on qu'ils ne finiraient pas par constituer à leur tour une aristocratie, une oligarchie, une tyrannie tout aussi oppressive que celle dont ils ont horreur? Est-ce que les hommes ne sont pas toujours des hommes ?

Pour les socialistes, les démocrates, les communistes, la liberté n'est donc pas plus une vérité qu'elle ne l'a jamais été pour les anciennes républiques ou qu'elle ne l'a été avec des gouvernements constitutionnels. Cette liberté n'est implicitement que du despotisme: seulement elle est un despotisme plus terrible, en ce que celui de la minorité lettrée n'est qu'un despotisme à froid, un despotisme légal, tandis que la liberté socialiste serait escortée de toute la haine, de tous les désirs de vengeance, de toute l'exécration que traînent après soi une longue colère et un implacable désespoir. Mais que gagne-t-on à verser du sang, en versa-t-on des torrents, quand le premier besoin des peuples est la doctrine?

Il faut le dire bien haut. Quand il n'y a aucun principe sérieux, aucun principe puisé aux entrailles même de l'homme, dans ceux qui sont chargés de la destinée des peuples, la liberté n'est que ce qu'elle peut être, c'est-àdire, une excitation de la part de ceux qui ne sont pas pourvus, un moyen de compression pour ceux qui le sont rien de plus, rien de moins. Or, parmi les gens qui ont le plus de prétentions à mener le monde moderne, il n'y a que des apparences, des fantômes, des ombres de principe, et il n'y a pas un seul principe réel. Bien plus, on ne fait rien, depuis longtemps; on ne peut

(1) Ici nous paraît être la cause génératrice de tous les socialistes qui n'occupent pas le premier rang.

rien faire qu'avec des expédients et des fictions: c'est convenu, c'est accepté. Il n'y a donc pas plus de liberté possible dans la minorité lettrée, qu'il n'y a d'effet sans cause.

La liberté, nous le savons, a eu, elle a, elle aura toujours un merveilleux prestige pour les multitudes, surtout pour les multitudes à demi lettrées. Elle parle en effet de droits et jamais de devoirs; de pouvoir et jamais d'obéissance; de jouissance et jamais de privations. Elle flatte ainsi toutes les masses qui vivent et qu'on fait vivre facilement de chimères et d'illusions. Mais de quelque côté qu'on invoque la liberté, en dehors de la notion de l'homme, la liberté de la minorité lettrée, socialiste ou non, n'est qu'une idée confuse où viennent confusément se réunir toute espèce de plagiats de civilisations impossibles, de vains désirs, de plus vaines ambitions encore. Il n'y a donc pas plus de liberté, pour la minorité lettrée, qu'il n'y a d'égalité, de fraternité.

SOLIDARITÉ DES EXISTENCES ET DES RACES.

La solidarité des existences et celle des races, théories du reste dont l'origine est déjà dans la doctrine des Cyniques, dans la doctrine d'Antisthène, semblent avoir été produites, de nos jours, par des hommes longtemps irrités, qui, longtemps, ont souffert la soif et la faim, qui n'ont eu d'autre idéal de prédilection que dans la satisfaction des appétits matériels. Mais si autrefois la noblesse obligeait, les doctrines obligent aussi; et ce n'est ni avec de la colère, ni avec des passions, ni avec des besoins individuels qu'on les édifie. Il n'y a eu, il n'y a, il n'y aura jamais de grandes doctrines que là où il y eut d'abord, là où il y aura du calme dans l'esprit, du calme dans l'âme; là où il y eut, où il y aura surtout de la pureté; là où l'on tient compte des besoins matériels, mais surtout des besoins propres à celles de nos facultés qui nous élèvent le plus au-dessus de la brute, c'est-à-dire, à nos facultés morales, intellectuelles et religieuses; là où l'on s'occupe non pas d'une seule classe, mais de toutes les classes sans aucune exception de la société. Or, dans la minorité dont nous parlons, il y a bien plus d'agitation que de calme, bien plus d'impureté que de pureté, bien plus d'appétences brutales que d'appétences morales, intellectuelles, religieuses; bien plus de haine que d'amour contre certaines classes de la société. En d'autres termes, il n'y a rien de sérieux, et qu'on puisse prendre au sérieux. La solidarité des existences et des races semble n'être que la solidarité des existences et des races pauvres contre les

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