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d'être dangereuses, car on les présentera toujours comme on les a déjà présentées, comme on les présente, c'est-à-dire comme des données philosophiques, des données inspirées par l'Evangile et comme capables de remplacer tout ce qu'on a détruit.

On ne peut donc que rendre service à la société tout entière en les discutant, en les soumettant à une analyse méthodique, à une étude qui se renouvelle, tous les ans, pour les générations promues au grade de bachelier, comme se renouvelle, tous les ans, l'étude de la psychologie, de la logique, de la morale, etc., pour les rhétoriciens.

Qu'il nous soit donc permis d'indiquer ici, tout d'abord, l'esprit de notre critique contre les principales affirmations dont vit la minorité lettrée, et aussitôt après, l'esprit d'édification qui est propre au Nouvel Enseignement Philosophique, en vertu de la véritable notion de l'homme.

PRINCIPES.

« Un principe, dit Cicéron dans sa Première Tusculane, n'a pas d'origine, >> car c'est du principe que tout vient, et il n'a pas lui-même de source » étrangère. Il ne serait pas principe, s'il venait d'ailleurs. Comme il n'a » point d'origine, il n'a point de fin; car il ne pourrait, étant détruit, ni » être lui-même reproduit par un autre principe, ni en produire un autre, » puisqu'un principe ne suppose rien d'antérieur. >>

On le voit, pour un homme du paganisme, pour un homme parfaitement et absolument impartial, pour un des philosophes les plus instruits et les plus intelligents de l'antiquité, « un principe n'a pas d'origine, »cipe ne suppose rien d'antérieur. »

un prin

Or, pour la minorité lettrée, où est l'idée qui mérite de s'appeler principe? C'est Dieu, dit-elle, comme Cicéron. Mais il y a bien des manières de concevoir Dieu? La minorité lettrée comprend-elle Dieu comme Anaxagore ou Xénophane, comme Platon ou comme Aristote, comme Zénon ou Cicéron, comme les Hindous ou les Chinois, comme les Chrétiens ou les Musulmans? Qu'on y prenne garde: toute idée porte une réalité et des réalités innombrables; toute grande idée porte un monde; et l'idée de Dieu est la plus

politiques est, comme toute autre, dans la position la plus désavantageuse pour combattre le socialisme. Elle est par rapport au socialisme ce que les cartésiens étaient par rapport à Spinosa.

grande idée que l'esprit humain puisse concevoir. Quel est donc le Dieu, quel est le principe de la minorité lettrée ? Mais la minorité lettrée ne s'explique pas elle ne laisse sur la notion de Dieu que des incertitudes, comme sur la notion de l'homme chez elle, rien de fixe, rien de définitif, à cet égard.

Il n'y a donc pas de principe, dans l'acception véritable de ce mot, parmi les représentants de la minorité lettrée.

ÉGALITÉ. FRATERNITÉ.

Les philosophes de la minorité lettrée sentant ce qui leur manque, du côté des principes, en appellent alors à grands cris à l'égalité, à la fraternité, comme à deux principes irrésistibles, et devant lesquels il n'y a plus rien. à objecter, plus rien à répondre.

Mais l'égalité, la fraternité, ces deux grands prestiges des temps actuels, ont-elles pour la minorité lettrée l'autorité, la valeur qu'elles portent en elles-mêmes? Non. La minorité lettrée ne connaît ni l'homme ni Dieu. Elle repousse surtout la notion de l'homme et de Dieu telle qu'elle est induite de l'observation et telle qu'elle est dans l'esprit catholique. Pour la minorité lettrée par conséquent, l'égalité, la fraternité sont deux mots très-pompeux, sans doute, mais absolument vides de sens. En dehors de l'esprit (1) catholique relatif à l'homme et à Dieu, ou en dehors du véritable esprit philosophique qui se confond avec celui-ci, sous ce double aspect, nous ne sommes ni serons jamais assez forts ni pour comprendre ni pour pratiquer l'égalité, la fraternité. Quand on est puissant, en dehors de l'esprit catholique, on ne peut traiter le faible que comme le traitait le paganisme. Quand on est riche, en dehors de l'esprit catholique, on ne peut traiter le pauvre que comme le traitait le paganisme. Quand on est maître, en dehors de l'esprit catholique, on ne peut traiter le serviteur, l'ouvrier, le mercenaire que comme les traitait le paganisme, c'est-à-dire, comme des êtres inférieurs, des vaincus, ou comme des instruments, comme des bêtes de somme. Les penseurs de la minorité lettrée peuvent donc invoquer l'égalité, la fraternité; ils peuvent

(1) Quand nous parlons ici de Catholicisme, d'esprit catholique, il ne s'agit pour nous, qu'on le retienue bien, que de la notion de l'homme et du divin, de Ja notion que le Nouvel Enseignement a induite de l'observation appliquée à l'homme réel, et qui se confond avec l'esprit catholique, sous ce dernier aspect.

se croire et se dire « les continuateurs de St-Basile et de Jean-Jacques » Rousseau, de St-Paul et de Munzer, de St-Chrysostome et de Morelly; » les penseurs de la minorité lettrée prouvent, par le mélange seul de tous ces noms, qu'ils sont tout-à-fait à côté des seules conditions qui renferment réellement l'égalité, la fraternité.

Il n'y a d'égalité, de fraternité que là où l'on tient d'un dogme certain, immuable, également obligatoire pour toutes les âmes, que nous sommes tous les enfants d'un même Dieu, mais les enfants déchus, les enfants qui ont besoin de se réparer; là où l'on évite tout ce qui est de nature à rendre les hommes inégaux, non frères; là où l'on fuit le pouvoir plus qu'on ne le recherche; là où l'on abhorre l'orgueil plus qu'on n'est son esclave; là où l'on sait accepter l'esprit qui brise cet orgueil, l'orgueil qui est le démon de la terre; là par conséquent où l'on comprend et où l'on aime l'esprit de sacrifice, car il n'y a pas de sacrifice plus pénible et plus difficile que de résister à l'orgueil et de le dompter; là où l'on vit, où l'on tend à vivre de plus en plus de l'esprit religieux; là où l'on tend à être saint, car il ne faut rien moins que la sainteté pour comprendre et pour appliquer l'égalité, la fraternité (1).

Or, les philosophes de la minorité ne veulent entendre à aucune espèce de dogme; ils ont horreur de l'humilité, de tout ce qui diminue, de tout ce qui dompte l'orgueil; ils ont plus horreur encore de tout ce qui tient de près ou de loin à l'esprit religieux, au divin; de plus, ils n'ont rien, absolument rien de commun ni dans leur intelligence, ni dans leurs actes, avec la sainteté, la sainteté pourtant que les plus grands philosophes entourèrent partout de tant de vénération.

Pour les penseurs de la minorité lettrée par conséquent, l'égalité, la fraternité sont, si l'on veut, un moyen de séduire les multitudes; les multitudes furent toujours naïves comme est naïf tout ce qui est fort. Mais l'égalité, la fraternité n'est pas plus possible avec la minorité lettrée (2), que le jour n'est possible avec la nuit.

(1) C'est dans ce sens qu'il faut entendre ces paroles si mal interprétées par le sensualisme moderne:

« Mon royaume n'est pas de ce monde. »

En effet, la perfection de l'homme doit être telle, d'après l'esprit chrétien, qu'elle est extrêmement rare, dans le monde, surtout quant à l'application. (2) Nous avons entretenu nos lecteurs du résultat des expéditions icariennes, disait un journal français, le Droit, en juin dernier.

Des plaintes nombreuses ont été déposées par les Icariens démissionnaires, tant contre M. Cabet que contre M. Kulikawski.

Après une longue et minutieuse instruction, le tribunal de la Seine vient de rendre une ordonnance qui renvoie devant le tribunal de police correctionnelle MM. Cabet et Kulikawski, comme prévenus d'escroquerie, pour avoir eu 1847

Du reste, lisez l'histoire, à quelle époque la vie des grands prôneurs de l'égalité, de la fraternité, aspirant au pouvoir, a-t-elle été la même que celle de ces prôneurs parvenus au pouvoir? A quelle époque, ceux-ci devenus ministres, consuls ou dictateurs ont-ils partagé avec la foule leur joie, leur bonheur, leur fortune? Jamais. Ce qu'ils ont voulu toujours partager avec la foule, c'est leur misère, leurs dettes, leur impuissance, leur mauvaise réputation. Quant à la prospérité, à la fortune, toujours ils l'ont gardée pour eux seuls.

Sans doute, en matière d'égalité, de fraternité, les derniers venus sont toujours ceux qui prétendent devoir faire le plus. Pour les derniers venus, les prédécesseurs n'ont jamais été que des incapables, des traîtres, des hommes vendus, etc. Mais comme les derniers venus n'ont pas plus de principe que les premiers, il n'y a évidemment aucune espèce de motif pour qu'on se fie aux uns plutôt qu'aux autres. La philosophie les condamne tous, au même titre.

Les philosophes de la minorité lettrée veulent avoir les bénéfices de l'égalité, de la fraternité, sans en avoir les charges; ils veulent appliquer les corollaires des dogmes, sans les dogmes, qui sont l'unique raison d'être de ces corollaires. Mais la logique raisonne autrement qu'une vaine ambition; et, pour la logique, l'égalité, la fraternité de la minorité lettrée ne sont positivement que deux sophismes, deux impossibilités, deux cadavres spéculatifs.

LIBERTÉ.

Mais reprend la minorité lettrée, est-ce que notre liberté ne mérite pas la considération, le respect de tous?

Expliquons-nous encore à cet égard.

De quelque côté qu'on interroge l'histoire des peuples qui ont le plus contribué à former l'éducation de l'Europe, partout nous entendons retentir le nom de la liberté. Ainsi à Athènes il n'est bruit partout que de liberté ; il en est de même dans la vieille Rome; il en est surtout de même depuis que le paganisme a repris tout son empire en Occident, c'est-à-dire depuis trois

el 1848, en employant des manoeuvres frauduleuses, persuadé l'existence d'une fausse entreprise et d'un crédit chimérique, et de s'être, par ces moyens, fait remettre des sommes d'argent et des effets mobiliers.

MM. Cabet et Kulikawski sont, en outre, prévenus du délit de détournement d'objets mobiliers.

siècles, depuis qu'on a totalement négligé la véritable notion de l'homme et de Dieu.

Il faut donc savoir ce que renferme la liberté.

Chez les Grecs, la liberté était synonyme d'autonomie, c'est-à-dire de gouvernement de soi par soi, c'est ce qu'on peut inférer du premier discours de Périclès que nous trouvons dans Thucydide: « C'est toujours un esclavage, » disait Périclès, qu'un ordre plus ou moins rigoureux qu'aucun jugement » n'a précédé et que des égaux intiment à leurs voisins. » Mais cette liberté, la désirait-on, la stipulait-on, au profit de tous? Non; on ne la désirait, on ne stipulait que pour une minorité qu'on appelait les citoyens. Or, évidemment aujourd'hui il ne saurait être question d'une liberté de ce genre, d'une liberté de minorité.

D'autre part, comment pratiquait-on la liberté en général chez les Grecs? Il n'y a qu'à écouter les principaux historiens à ce sujet.

« .....

Vous retrouvez dans tout cela, dit Cantu, cette horrible plaie de » l'esclavage, se laissant apercevoir à travers le manteau pompeux dans » lequel se drape l'antiquité. Il y avait dans l'Attique trois cent cinquante » mille esclaves contre vingt mille citoyens; proportion démesurée et que nous » voudrions croire fausse pour l'honneur de l'humanité, si les raisonnements » opposés avaient la moindre valeur mais on comptait aussi quatre cent >> soixante mille esclaves à Corinthe; quatre cent soixante mille à Egine; >> selon Athenée, l'Arcadie en contenait trois cent mille. Les divers États » de la Grèce pouvaient à eux tous en réunir vingt millions; États libres qui >> tenaient sous le joug six fois autant de barbares vaincus ou d'esclaves >> achetés qu'ils enfermaient de citoyens. »

:

Écoutons un autre érudit (1) nous parler de Sparte :

<< Il y avait à Sparte, dit-il, deux espèces de citoyens : ceux qui étaient »> nés citoyens et ceux qui l'étaient devenus.

>> Les Spartiates nés se distinguaient encore en Homéens, comme si on » disait pairs, ou ceux qui jouissaient des mêmes honneurs et des mêmes » droits, et Hypomeioniens. Les premiers se distinguaient par une origine » plus illustre, se réservaient exclusivement les premières dignités de » l'État, tandis qu'ils ne laissaient aux seconds que des emplois inférieurs; » les premiers étaient à la fois électeurs et éligibles, tandis que les derniers » étaient simplement électeurs. L'une formait la classe noble; l'autre, la >> classe plébéienne.

>> Quant aux hélotes et esclaves, revêtus d'habits abjects, d'une casaque et

(1) VERDEYEN, Antiquités grecques.

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