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en philosophie, et la politique rouge de Paris se trouverait devancée de l'autre côté du Rhin.

Ces Gouvernements n'ont su faire, en temps utile, ni concessions ni résistance. Après mars 1848, ils ont vécu au jour le jour, tremblant devant une émeute ou un décret de Francfort. Deux causes ont sauvé l'Allemagne : la fidélité des troupes et la folie des démagogues, qui a nécessité l'appel au glaive. Aujourd'hui l'échaffaudage de Francfort s'est écroulé, l'insurrection socialiste du Palatinat est comprimée, et la guerre de Hongrie paraît arrivée à son terme. Les Hongrois, malgré tout leur courage, n'ont pu résister aux efforts combinés de l'Autriche et de la Russie, ni reculer une défaite, après tout peut-être moins fatale que ne l'aurait été leur triomphe. Par suite de l'imprudence qu'ils ont commise en subissant des influences étrangères, ce n'était plus une question hongroise qu'ils soutenaient dans leurs combats, et, vainqueurs, ils auraient dû aller épuiser le reste de leurs forces au-delà des frontières.

Puissent l'Allemagne et ses princes profiter de la leçon qui leur a été donnée! La réorganisation de ce pays exige de la prudence, de la fermeté, de la modération chez tous et l'oubli des velléites ambitieuses de l'année dernière.

L'Italie aussi est délivrée des brouillons qui la conduisaient à sa perte; Naples a triomphé de l'anarchie et recouvré la Sicile. La Toscane pacifiée, retourne au sceptre paternel de ses princes. Moins heureux, le Piémont n'est pas encore au bout de ses tribulations. Charles-Albert, entraîné dans une guerre injuste et imprudente, vaincu deux fois, a payé de sa couronne, puis de sa vie, son adhésion à un parti qui ne lui a montré que de l'ingratitude, et qui, la tâche accomplie, ne tolère les Rois qu'en guise d'instruments à briser. Il a laissé à son fils une situation difficile à l'extérieur, plus difficile encore à l'intérieur. Les malheurs de 1848 et de 1849 ne paraissent pas avoir éclairé les Piémontais, et leurs récentes élections prouvent assez que la suprématie appartient toujours aux auteurs de ces désastres, à ces hommes pour lesquels Gioberti est le chef des modérés. Au reste, les complications qui surgiront dans ce pays, n'auront probablement d'effet que dans l'enceinte de ses frontières. Elles y amèneront peut-être la chute du Gouvernement constitutionnel, mais elles ne sauraient influencer aujourd'hui le sort de l'Italie.

Rome, qui concentrait toute l'attention depuis la bataille de Novarre, vient d'être soustraite enfin au joug ignoble qui pesait sur elle. La main puissante de la France l'a délivrée. Loin de nous de méconnaître l'importance du service rendu par la France à Rome, à l'Italie, à la chrétienté entière, mais nous ne pouvons cependant omettre une réflexion sur la conduite de cette campagne.

Ce n'est pas sans hésitation que le Gouvernement français s'est décidé à

prendre le parti de la justice et de l'ordre public. L'expédition de Toulon paraissait à son départ dirigée plutôt contre les Autrichiens que contre Mazzini, et le rétablissement de l'autorité pontificale était une éventualité qu'à peine on laissait timidement entrevoir. Peu s'en est fallu qu'on n'ait traité avec une puissance née de l'émeute, inaugurée par l'assassinat et appuyée par des aventuriers, rebut de toutes les nations et étrangers au pays qu'ils dominaient. L'aveugle opiniâtreté des dominateurs de Rome a seule peut-être prévenu ce scandale.

Il est vrai que la position du Gouvernement français était fausse. Résultat de la révolution la plus anti-sociale, il avait à combattre et à détruire à Rome les conséquences du principe auquel lui-même devait son existence, et la révolution romaine s'étonnait à bon droit de se voir condamnée par la révolu tion de Paris. Si l'honneur et la politique étaient pour M. Odilon Barrot, la logique était du côté de M. Ledru-Rollin. Ajoutez à cette cause les malheureux antécédents du chef du cabinet français. Quand on a passé toute sa vie à faire du désordre, on est singulièrement embarrassé lorsqu'il s'agit de faire de l'ordre.

On commence cependant à sentir le prix de l'ordre dans ce malheureux pays, foyer de l'incendie qui embrase le monde. Les hommes qui ont flatté si longtemps les passions populaires, prôné les rêveries démagogiques, ceux qui, par leur lâcheté, ont laissé succomber tous les pouvoirs, apprécient enfin les résultats de leurs fautes et de leurs erreurs. La triste situation des intérêts matériels, celle, plus déplorable encore, de l'état social éclairent les plus incrédules. La France a dû subir des remèdes héroïques, mais au moins elle en a profité. Les crises de mai et juin 1848, de juin 1849 ont forcé les honnêtes gens d'oublier leurs querelles et de sortir de leur léthargie pour tenir tête aux vandales. Ce qu'il y a de plus rassurant, c'est que les principes d'ordre, leurs moyens et leurs conséquences pratiques se posent nettement et se défendent avec fermeté. Nous avons même vu un orateur récuser en pleine assemblée toute coopération active à l'établissement de ce régime républicain que tant d'autres saluent par peur en le maudissant en secret. La France a sans doute bien du chemin à faire; elle a bien des dangers à courir et ses chances demeurent toujours fort incertaines, mais du moins, il y a une amélioration marquée.

Nos yeux se reposent avec plaisir sur notre chère patrie du triste spectacle qu'ils aperçoivent ailleurs. Ce n'est pas à dire que la marche du Gouvernement soit parfaite et que toutes les mauvaises passions soient éteintes. L'amour-propre national ne nous fait pas pousser l'optimisme à cet excès.

Le ministère de 1847 a conquis plusieurs titres réels à la reconnaissance publique, et nous, qui n'avons pas contribué à son avènement, nous lui avons rendu et nous lui rendons encore une justice méritée mais notre impartialité même nous assure le droit de faire la part de la critique comme celle de l'éloge et de dire que le cabinet laisse beaucoup à désirer.

Nous n'irons pas, à l'exemple des journaux d'opposition, exhumer les vanteries de 1846 et sommer le ministère de rétablir la prospérité flamande dans un délai donné. Ceux qui gouvernent aujourd'hui ont eu sans doute un tort grave en connivant, par leur silence, au fabuleux programme dressé par leurs amis; mais nous savons trop qu'il n'est au pouvoir de personne de réaliser ces trompeuses promesses. Le cabinet était d'autant moins en mesure d'y parvenir, que les rancunes de parti ont commencé par le priver du concours de tous les hommes expérimentés et par lui donner des collaborateurs tout neufs, dont l'éducation était entièrement à faire. Toutefois, on aurait pu avancer de quelques pas depuis deux ans, et nous en sommes toujours au même point. Tout ce qui s'est fait se réduit à la nomination d'une commission consultative qui nous offre, à côté d'hommes très-bien à leur place, des membres sans aucune valeur autre que politique et fort peu au fait des besoins de la Flandre. Nous supposons que cette commission se réunit quelquefois, mais nous serions curieux de connaître ce qu'elle fait. La même inertie se remarque en ce qui concerne les autres intérêts matériels du pays. Tout est frappé d'immobilité, excepté l'agriculture, qui voit avec effroi le sort dont elle est menacée par les doctrines du libre échange. En matière financière, le cabinet ne s'était pas fait faute de promesses. Il devait augmenter les recettes, réduire les dépenses, rétablir l'équilibre, créer en un mot un régime modèle. Qu'a-t-il fait? Il a opéré quelques économies, dont la plupart ne tiendront pas, proposé des impôts inacceptables et réduit les recettes. Les crédits supplémentaires ont rendu au budget ce qu'il avait perdu, et, en définitive, le ministère, suivant la juste remarque du Journal de Bruxelles, a réformé non les dépenses mais les recettes.

Il y a encore bien à redire sur la gestion ministérielle dans l'ordre politique. Nous avons mis la réaction de 1847 sur le compte du parti victorieux plus que sur celui des ministres. Nous savions que ceux-ci ne pouvaient échapper aux lois de leur position, et qu'émanés des clubs, ils devaient subir l'ascendant des clubs. Mais ils ont eu la chance de se délivrer de cette pression. Quand, après février 1848, la masse entière des bons citoyens s'est ralliée autour du drapeau commun avec un esprit de concorde auquel M. Rogier lui-même n'a pu que rendre justice, le ministère avait une belle occasion de se placer à la tête de plus qu'un parti et de s'attacher tout ce que la Belgique comptait d'amis de l'ordre public. Il lui suffisait d'imiter la générosité de ses anciens rivaux et de dater pour l'avenir du 26 février et non plus du 12 août. C'est ce qu'il n'a pas su faire, ou du moins, s'il en a montré d'abord quelques velléités, il n'a pas su persévérer.

Quand deux partis se disputent le pouvoir, surtout quand ils ne sont pas séparés par ces causes qui n'admettent aucune transaction, l'esprit de conciliation est plus nécessaire aux vainqueurs qu'aux vaincus, car si ces derniers ou du moins une fraction d'entr'eux n'acceptent pas leur défaite, le pouvoir

use vite ceux qui l'exercent, sans même tenir compte des querelles intestines. Cette vérité bien simple n'a pas été comprise.

L'année dernière le ministère avait paru sentir le prix d'un rapprochement dont il n'avait pas pris l'initiative. Il avait déclaré vouloir rester neutre dans les élections, et alors il s'est abstenu, ainsi que ses agents, d'une intervention patente. Mais ses amis n'ont pas imité cette réserve, et nous avons vu nombre de sommités législatives éliminées au détriment du pays et remplacées la plupart par des successeurs hors d'état de leur être comparés. Si le ministère n'y a pas connivé, du moins il n'a pas fait entendre le langage de la modération, et ce n'est pas à la tête de son parti qu'il a figuré dans cette occasion plus que dans les précédentes.

L'année qui s'est écoulée depuis cette époque, n'a rien ajouté à l'éducation de nos gouvernants. Les journaux qui parlent au nom du ministère et qui en reçoivent notoirement les inspirations, travaillent à ranimer la discorde chaque fois qu'une fraction du parti victorieux veut faire acte d'indépendance. Si quelque conception malencontreuse du cabinet est mal accueillie, si l'on refuse par exemple de partager avec le fisc l'héritage paternel, c'est la faute des catholiques. Nous sommes étonnés de n'avoir pas encore appris que le choléra était dû à l'influence cléricale. Tactique usée et, dans tous les cas, indigne d'un parti qui se respecte!

La dernière élection de Thielt nous a donné un nouvel exemple de cette aberration. Une réunion d'électeurs offre la candidature à M. le baron d'Anethan, ancien magistrat distingué et que sa brillante carrière politique a rangé parmi nos premiers hommes d'État. A ce nom toutes les vieilles passions se réveillent, et le ministère, le premier, pèse de tout son poids sur les électeurs. Nous ne lui ferions pas un grief de s'être opposé à un ancien concurrent; nous n'y trouverions même rien d'étrange, si le cabinet n'avait pas manqué à ses déclarations les plus formelles. Il aurait dû se rappeler qu'il avait contesté au ministère de 1846 le droit de s'occuper d'élections. Il aurait dû se rappeler que M. d'Anethan appartenait à cette fraction parlementaire à laquelle une juste reconnaissance avait promis la neutralité en 1848. Il a tout oublié ; et les moyens inouis, mis en œuvre par le zèle maladroit de ses agents, lui font un nouveau tort dans l'esprit des hommes impartiaux. Mais rien ne surpasse l'indécente violence de la presse ministérielle. Il nous répugne de retracer à nos lecteurs cette triste polémique nous nous bornerons à en faire ressortir un trait ridicule. On a été jusqu'à contester la capacité au candidat de Thielt. Il est vraiment absurde de parler ainsi d'un homme dont les talents trop éprouvés inspirent une crainte qui explique toute cette colère, alors surtout qu'on n'a pu lui trouver, au cabinet, qu'un successeur au-dessous de sa tâche, et, aux comices, qu'un concurrent, fort honorable sans doute, mais à peine initié aux affaires publiques.

Nous le répétons avec regret le ministère n'a pas pris la haute position

que les événements lui avaient offerte. Ce n'est pas à la tête d'un parti, c'est à la tête de la réunion de tous les bons citoyens qu'il devrait se trouver, et, pour s'y mettre, il lui suffirait d'un mot conciliateur. Son propre intérêt le demande et l'intérêt public le réclame à grands cris. Le temps n'est plus, disions-nous dans notre dernier article, où la question politique se renfermait entre des nuances ou des partis. Elle s'élève aujourd'hui entre la société et ses adversaires. Cet antagonisme qu'on s'efforce de perpétuer entre deux fractions d'un même ensemble, n'est-il pas à l'avantage évident du parti désorganisateur? Faisons de nouveau des vœux pour que chacun obtienne l'intelligence des devoirs que la situation lui inspire!

Nous nous ressentons encore trop souvent de nos querelles précédentes, mais il faut cependant reconnaître que l'esprit de concorde a fait de grands progrès depuis l'année dernière. Malgré d'imprudents efforts, les opinions tendent à se rapprocher, et bien des personnes, naguères en lutte ouverte, sentent et disent à haute voix qu'il faut tirer un voile sur le passé et s'unir contre l'ennemi commun. Les révolutions qui grondent à nos portes, leur ont montré l'inanité de leurs querelles et le véritable danger.

La Belgique a su profiter des leçons récemment données aux Rois et aux peuples. Elle s'est plus que jamais attachée à ses institutions et ralliée à sa jeune Royauté; les anciens partis ont donné l'exemple conciliateur que nous proposons aux nouveaux. La ville que nous habitons était celle où notre état social actuel comptait le moins de partisans dans les classes aisées. Beaucoup de personnes y étaient demeurées attachées au Gouvernement des Pays-Bas, quelques-unes par sympathie, d'autres par reconnaissance, un grand nombre par crainte des révolutions. Ce noyau s'était grossi par les fautes de ceux auxquels échut l'autorité après septembre 1830, et, bientôt, il avait englobé la grande partie de la bourgeoisie. Pendant dix-huit ans, Gand n'a cessé de montrer au Gouvernement une hostilité systématique, même après le traité avec la Hollande. Et, cependant, cette même ville vient de le disputer à la capitale par l'accueil qu'elle a fait au Roi, invité à ses fêtes. Toutes les classes de la population ont rivalisé de zèle, et leurs acclamations, leur enthousiasme ont assez prouvé que l'orangisme n'existe plus à Gand comme parti, mais simplement comme souvenir et théorie politique. A quoi faut-il attribuer ce changement? Sans doute, la justice, la prudence, la modération d'un Roi, qui a su laisser nos institutions à l'état de vérité, y sont pour beaucoup. Ces qualités qui ont conquis à notre souverain l'estime des princes et même le respect des démagogues étrangers, devaient exercer leur influence sur des Belges, mais leur action ne pouvait être que lentement progressive, et si elles avaient amorti les anciennes antipathies, elles ne les avaient pas encore éteintes. Une part très-honorable revient donc au patriotisme de nos concitoyens dissidents dans cette soudaine métamorphose. Ils ont senti combien les rancunes qui perpétuaient une question décidée, devenaient plus dange

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