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des écrivains et artistes tudesques. Nommer dans l'archéologie et l'art Mason Neale, Benj. Webb, Hope, Winckless et surtout Rickman et l'illustre architecte Pugin, que l'étude des chefs-d'œuvre du Moyen Age convertit comme Overbeck au Catholicisme; Byron, Walter Scott et tant d'autres dans la littérature; nommer encore Châteaubriand, Mme de Staël, Lamartine, Hugo, et dans l'ordre le plus élevé des convictions, les Lacordaire, les Gerbet, les Laurentie, les Beauffort, les Montalembert, les Veuillot, à côté des Caumont, des Oudin, des Arsenne, des Didron, des Batissier, des Berty, des Dantier, des Galimare, des Eug. Flandrin, etc., etc., c'est dire assez que ni l'Angleterre, ni la France ne furent sourdes à la voix de l'Allemagne; c'est signaler en même temps, de ce côté-ci du Rhin, de magnifiques travaux dus au génie et à la sagacité investigatrice de notre siècle.

Mais la Belgique, cette patrie privilégiée du bon sens, pouvait-elle rester, seule entre toutes, en dehors de cette réaction intellectuelle; de cette réaction éminemment raisonnable en faveur d'idées et de formes, mieux en harmonie avec le génie moderne et chrétien, que toutes les expressions du beau artistique et littéraire de l'antiquité payenne? C'était impossible, cela ne fut point. Et sans nous arrêter à citer ici des noms propres qui pourraient peut-être, aux yeux de certaines personnes, donner à notre pensée des airs de courtisanerie tout à fait en dehors de nos habitudes et de notre caractère, nous ne croyons pas inutile pourtant de consacrer quelques lignes à ces données générales dans leurs rapports avec notre pays.

Il est inutile de dissimuler l'excessive, ou si l'on préfère, la prudente lenteur que mirent nos compatriotes à adhérer aux nouvelles tendances du monde intellectuel; leurs travaux, peu nombreux d'ailleurs, et presque tous de date assez récente, sont là pour le témoigner. Et ce n'est pas un acte d'accusation, c'est la simple constatation d'un fait que nous faisons ici. Chacun peut se souvenir du jour encore peu éloigné où la littérature et l'érudition firent leurs premiers pas dans cette voie, et c'est à peine si l'on peut citer dans l'art quelques essais heureux et vraiment importants.

Toutefois, pour qu'on ne puisse pas donner à notre pensée une portée différente de celle que nous lui attribuons nous-même, nous croyons nécessaire d'y ajouter quelques développements.

La peinture fut la première, dans l'art, à secouer chez nous les traditions classiques; car nous ne pouvons considérer les efforts de l'architecture, (représentée surtout par un homme d'un talent aussi réel qu'apprécié), nous ne pouvons, disons-nous, considérer ces efforts pour adapter à nos idées, à nos mœurs, à nos besoins, les formes, d'ailleurs modifiées, de la Renaissance italienne, comme un véritable affranchissement du classicisme antique. Ce n'en était bien plutôt qu'un développement nouveau, et si on nous pardonne de le dire ainsi, quelque chose comme un tour de force et d'adresse, mais par-là même d'anormal, comme sont les tours de cette nature. Esca

moter les difficultés, n'est pas les résourdre; on recule la question, on ne l'avance pas.

Mais si la peinture fut la première, hâtons-nous d'ajouter cette considération importante: c'est que faisant remonter moins haut dans l'ordre des traditions nationales les sources où elle croyait pouvoir puiser ses inspirations et ses enseignements, que ne devaient le faire tout récemment la sculpture et l'architecture, plus que ces dernières elle restreignit son cercle d'action et par conséquent l'étendue de ses résultats. Cependant l'impartialité nous oblige de l'avouer quelques essais infructueux tentés par elle au commencement n'étaient pas faits pour l'engager à persévérer dans une voie où la science, d'une part, et de l'autre, la connaissance de la raison d'être philosophique du mouvement qui l'entraînait presque malgré elle, lui manquaient sans doute également.

Nous nous expliquons.

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Grâce aux allures un peu systématiques de leur esprit, influencés d'ailleurs par la politique, les Allemands, dans leur travail de rénovation, semblèrent vouloir remonter partout jusqu'aux origines. Cette tendance, qui aurait pu jusqu'à un certain point entraver la marche du progrès, par cela qu'elle semblait refouler le génie tudesque moderne jusque dans son berceau, eut au contraire ce résultat avantageux de lui donner plus d'originalité et de vastitude, que s'il s'était contenté de vouloir perfectionner quelqu'une de ses manifestations particulières à une époque donnée des âges antérieurs.

Mais ce travail de reconstruction générale, repris jusque dans ses sources primordiales, était déjà fait en grande partie en Allemagne ; l'Angleterre et la France s'y étaient à leur tour associées dans une certaine mesure, lorsque la Belgique en ressentit les premières influences; mais influences indirectes et passées surtout au creuset du goût français.

Soit qu'il faille chercher dans ces circonstances particulières et presque fortuites les causes déterminantes du caractère distinctif de la rénovation de la peinture en Belgique; soit qu'il faille les trouver au contraire dans la raison plus profonde et plus philosophique de l'affaiblissement de certaines croyances, entrainant l'amoindrissement de certaines facultés élevées, au profit d'un sensualisme vulgaire et chaque jour plus exigeant; soit enfin qu'elles découlent de ces deux sources réunies, toujours est-il qu'au lieu de retourner, comme en Allemagne, jusqu'aux origines, au lieu d'aller chercher à son exemple, dans nos grandes écoles du Moyen Age, de hautes et utiles leçons, nos peintres s'arrêtèrent en-deçà de la Renaissance, sinon par le choix de leurs sujets, du moins par la manière de les traiter. Et si quelques tentatives pour dépasser cette borne fatale furent risquées par des hommes de talent, mais d'un talent d'une nature trop opposée, et à qui leur àge interdisait d'ailleurs une réforme aussi radicale, leur insuccès ne servit qu'à empoisonner leurs derniers jours, sans aucun profit pour l'art.

Éblouis sans doute par les splendeurs de la palette si brillante de Rubens, comme ils devaient être bientôt après séduits par la magie du clair-obscur de l'école hollandaise, nos jeunes artistes ne firent guères remonter leurs investigations et leurs études au-delà du grand maître anversois; seulement, dans l'application, ils ajoutèrent aux traditions nationales ces hardiesses passablement excentriques du romantisme échevelé, qu'ils étaient allés puiser à Paris, devenu à cette époque, dans l'art comme en littérature, l'un des plus ardents, sinon le principal foyer de ce grand mouvement.

Pas n'est besoin de faire remarquer au surplus qu'une école, née sous de telles influences, ne devait guères se piquer de correction, qu'elle devait même affecter un certain mépris pour le dessin, regardé par elle comme une des plus odieuses entraves inventées par ce classicisme qu'elle venait de répudier au nom de la liberté, comme péruque, momie et fossile, si l'on nous passe ces termes d'atelier plus énergiques qu'élégants.

Quoi qu'il en soit, à part quelques puérilités toutes bariolées de satin rose, lilas et bleu tendre, dignes d'illustrer la littérature troubadouresque de M. le chevalier de Florian ou la romance du Beau Dunois partant pour la Syrie, notre école moderne, née du mélange des traditions rubinesques et des intempérances du romantisme parisien, débuta par ces exagérations souvent furibondes qui eurent du moins un avantage incontestable celui de débarrasser la jeunesse intelligente de notre pays des funestes influences de M. David et de ses semblables. Le temps et l'étude étaient destinés d'ailleurs à modifier cette école pleine de sève, sinon à la renouveler fondameutalement; mais ils ne purent l'engager à remonter plus haut le cours des traditions nationales, de sorte qu'elle parut toujours relever bien plutôt des conseils de Reynolds et des ingénieuses théories de Burnet que des pieux témoignages de foi et de talent laissés par nos grands artistes du Moyen Age. Certes, notre intention n'est pas de l'en blâmer absolument. Nous le reconnaissons avec un légitime orgueil, l'école flamande de la Renaissance, ainsi que sa sœur l'école hollandaise, et dont Rubens en histoire, Van Dyck dans le portrait, Teniers, Ostade, Terburg, De Hoogh dans les diverses nuances du genre, Ruysdael dans le paysage, Paul Potter pour les animaux, Van Huysem pour les fleurs, furent comme la plus haute expression, ces écoles, disons-nous, ont laissé d'assez beaux modèles pour qu'on puisse les étudier, se former sur eux, sans crainte de se perdre.

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Mais en sera-t-il de même alors qu'il s'agit du genre incontestablement le plus élevé de l'art, et par sa nature et par son but, du genre religieux? Il n'est personne, pensons-nous, qui osât l'affirmer. Non, pour retrouver la trace du sentiment vraiment chrétien dans l'art national, il ne faut point s'arrêter aux magnificences trop souvent toutes matérielles, sinon licencieuses, de l'école de Rubens; il faut de toute nécessité se transporter dans les vieux centres artistiques, antérieurs à la Renaissance, de Tournay, de

Bruges, de Bruxelles, d'Anvers, dépositaires consciencieux de ces types consacrés, héritiers suprêmes de ces traditions d'un art très-bien nommé hieratique, et dont les premières ébauches se cachent dans les catacombes, on brillent, encore informes et grossières, mais déjà marquées du sceau divin, dans les étincelantes mosaïques des basiliques chrétiennes.

Si nous voulons donc imprimer à nos œuvres représentant des sujets pieux, ce cachet supérieur particulier aux maîtres du Moyen Age, et qui eu fasse des témoignages dignes de figurer dans les sanctuaires du vrai Dieu, et non plus des ridicules non-sens; si nous voulons que nos œuvres éveillent dans l'âme des sentiments chrétiens et exercent ainsi un magnifique apostolat, comme nous l'écrivait tout récemment l'un des publicistes les plus distingués de France, l'auteur des Libres Penseurs (1), au lieu de n'être qu'une frivole récréation pour les yeux, si ce n'est, chose fâcheuse à dire et toutefois trop souvent véritable, la source et l'aiguillon des plus bas instincts de la chair, et cela jusque dans le saint lieu! Si nous voulons enfin atteindre au but que tout artiste digne de ce nom doit se proposer en abordant des sujets de cette nature, sachons, à l'exemple du grand peintre de Lubeck dont nous parlions tout à l'heure, interroger avec intelligence les merveilleuses reliques que des siècles d'une religion vive et sincère nous ont léguées. Elles nous révèleront, comme à lui, les vrais secrets de l'art chrétien: la foi d'abord, et la science ensuite. Nous ne nous arrêterons pas davantage à cet ordre de considérations auxquelles nous avons eu déjà l'occasion de donner ailleurs de plus amples développements; nos lecteurs se le rappeleront peutètre, et ce souvenir obligeant nous dispense d'y revenir.

Mais si l'étude des chefs-d'œuvre des vieilles écoles catholiques nous semble, sinon indispensable, du moins éminemment utile à la régénération complète de notre art religieux, il va de soi que nos sympathies les plus sincères sont acquises d'avance à tout travail qui tend d'une manière directe ou détournée à exciter chez nos compatriotes le goût de cette étude; à tout travail susceptible de la faciliter, d'en augmenter l'intérêt, de la féconder même, soit en dévoilant pour tous les qualités éminentes des œuvres du Moyen Age, soit en éclaircissant des points obscurs et controversés de l'histoire de l'art à cette époque ou de la vie de ses plus remarquables repré

sentants.

C'est donc véritablement une dette de reconnaissance que nous voulons

(1) Voici ce que nous écrivait M. Louis Veuillot, sous la date du 9 mai 1849 : « Com» bien il serait à souhaiter que la grande question de l'art fut toujours traitée avec » cette connaissance et ce respect des lois morales imposées à toute œuvre humaine! » L'art, au lieu d'être la plus dangereuse prédication du vice, deviendrait alors une » école de piété et de vertu. Il faut le redire sans cesse et continuer comme vous >> avez commencé. Vous finirez par vous faire entendre. »

acquitter aujourd'hui envers notre honorable ami, M. André Van Hasselt, au nom de nos plus chères convictions d'artiste. Et si nous nous sommes arrêté si longuement à cette esquisse préliminaire du vaste mouvement intellectuel qui dirige l'esprit moderne, c'est afin de mieux faire ressortir à quel magnifique édifice M. Van Hasselt apporte de temps en temps sa pierre d'érudition; c'est pour signaler auprès de quels noms son nom vient se ranger.

Sans doute, il est des travaux plus vastes que ceux que M. Van Hasselt a publiés jusqu'à présent sur nos antiquités nationales (1); mais on ne saurait contester le haut intérêt, disons mieux, l'importance de ceux-ci. A nos yeux d'ailleurs, toute tentative pour nous initier de plus en plus aux mystères d'une époque que l'aveuglement de la Renaissance et le vandalisme révolutionnaire n'ont pas peu contribué à obscurcir, est digne, sinon d'éloges toujours, du moins de cette sérieuse et bienveillante attention, de cet examen consciencieux, qui est tout ensemble et un remerciement pour les efforts déjà faits, et un encouragement à les renouveler, à les redoubler, si c'est possible. Et pour le dire en passant, la critique n'eut-elle pas d'autre mission que de réchauffer ainsi, de retremper en quelque sorte l'énergie des investigateurs laborieux du travail de l'intelligence humaine dans ses diverses manifestations, que nous lui trouverions déjà sa part d'influence assez large et assez belle.

Mais ce n'est pas ici, tant s'en faut, une simple tâche d'encouragement que nous avons à remplir à l'égard de M. Van Hasselt. L'importance des questions soulevées par ce publiciste dans sa Notice sur les Van der Weyden, les solutions savantes qu'il leur a données, les découvertes précieuses dont il a enrichi le domaine de l'histoire artistique de notre pays et que sa brochure nous révèle : ce sont là, croyons-nous, des titres plus que suffisants, non seulement à l'attention, mais encore aux éloges de tous ceux qui savent apprécier une nature de travaux auxquels l'honneur national est plus intéressé sans doute qu'on ne le pense généralement.

(Pour être continué.)

(1) M. A. Van Hasselt travaille actuellement à une Histoire des Belges, la plus complète assurément qui ait encore paru jusqu'à ce jour. Dans les parties achevées et déjà sous presse, qu'il a bien voulu nous communiquer, nous avons pu constater les plus heureuses découvertes dues à d'immenses recherches, les opinions les plus ingénieuses appuyées sur une érudition qui ne se dément jamais.

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