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publics en Flandre; l'augmentation de la somme du travail agricole, en dotant l'agriculture de travaux d'utilité publique et locale, en réformant la législation sur la propriété territoriale, en répandant les notions et le goût de l'agriculture; la répression énergique de la mendicité et l'enseignement. Il faut, dit-il ensuite, arrêter, sur la pente du paupérisme, la population voisine de l'indigence, et à cette fin nous avons l'enseignement pratique de l'agriculture, l'enseignement industriel et une société d'exportation conçue sur un plan plus large.

Enfin, il faut déplacer les populations et arrêter la hausse des fermages. Dans ce but, il importe de pousser au défrichement, et, à cette fin, étendre le système de la loi du 23 mars 1847, émanciper le crédit foncier, stimuler le crédit agricole, recourir encore une fois à la ressource des travaux publics, et adopter une législation libérale en fait de subsistances.

Les thuriféraires de la ci-devant opposition nous objecteront sans doute que M. D'Elhoungne ne manque pas d'énoncer ce qu'il substitue à ce qu'il blâme. Nous ne nous paierons pas de cette monnaie de mauvais aloi, et nous n'accepterons pas des généralités pour des moyens. Plusieurs des conditions. qu'il énumère sont admises par tout le monde, mais comment parviendra-t-il à les remplir? Là se trouve la difficulté, et c'est ce point essentiel sur lequel il est très-peu explicite. Écrire un beau programme n'est rien, mais l'exé

cuter est une autre affaire.

Il est d'ailleurs quelques-uns des moyens (ou, pour parler plus exactement, des buts) énoncés par l'orateur, qui n'ont pas même l'avantage d'être clairement exprimés et qui auraient besoin de notes et de commentaires. Qu'est-ce par exemple que « l'augmentation de la somme de travail agricole à obtenir ≫en dotant l'agriculture de travaux d'utilité publique ou locale? » A moins qu'il ne s'agisse de rendre cultivables les bruyères au moyen de routes et de canaux, ce qui ne s'appliquerait pas à la Flandre dont il est question, nous ne comprenons pas grand'chose à cette énigme. Qu'est-ce surtout que la réforme de « la législation sur la propriété territoriale?» Cette question est d'un intérêt tout particulier en ce temps de vertige où les idées le plus saugrenues excitent de trop justes craintes.

Ne laissons pas d'examiner les maigres développements que M. D'Elhoungne donne à son opinion. On a vu que la base de son système est une vaste exécution de travaux publics. Nous en sommes loin d'en contester l'utilité; mais nous tenons qu'eu égard à la question spéciale dont il s'agit, l'extirpation ou la diminution du paupérisme, ce moyen ne peut offrir qu'un soulagement passager. La misère des Flandres tient à la cessation du travail qui faisait vivre trois à quatre cent mille de ses habitants. Ou il faut déplacer cette population exubérante, ou il faut lui trouver un travail permanent. Or, les travaux publics ne peuvent pas durer toujours, et quand ils cesseront, nous en serons au même point qu'aujourd'hui. Ils ne peuvent d'ailleurs ni

s'étendre à l'universalité des communes, ni occuper toute la population sans travail, comme l'ancienne industrie, au sein de la famille.

La répression de la mendicité aura sans doute l'assentiment de tout le monde; mais pour la réprimer, il faut commencer par procurer du travail, et sauf son projet de travaux publics qui ne peuvent, nous venons de le dire, remplir ce but que pour un temps et partiellement, M. D'Elhoungne ne s'en inquiète ni ne s'en occupe. Il paraît croire qu'il suffit de renfermer les mendiants dans les dépôts. Il oublie que ces locaux devraient être singulièrement augmentés, et qu'un mendiant au dépôt coûte à sa commune plus que trois ou quatre ménages indigents secourus à domicile. Le moindre bourgmestre de campagne lui apprendra que les dépôts sont la ruine des communes et des bureaux de bienfaisance.

M. D'Elhoungne attache avec raison un grand prix à l'enseignement, mais il se trompe s'il croit que cet objet ait été négligé. Il n'est pas exact de dire que l'enseignement n'existe pas en Flandre pour la population indigente, et que cet intérêt moral trouve les administrations indifférentes ou hostiles. Tout au contraire, l'influence du Gouvernement, l'action administrative, celle du clergé, la charité particulière rivalisent de zèle, et il y a peu de pays où les bienfaits de l'instruction primaire soient aussi largement répandus. Les chiffres officiels des rapports faits aux Chambres démentent amplement l'assertion, dénuée de preuves, du député gantois. L'instruction professionnelle n'en est pas au même point, mais déjà la main est mise à l'œuvre depuis plusieurs années. D'ailleurs, ce moyen, malgré toute son utilité, n'est qu'indirect et demeurerait inutile à l'extirpation du paupérisme, s'il ne se combine avec le rétablissement du travail.

Passant sur la réforme du crédit au sujet de laquelle nous nous trouvons d'accord avec M. D'Elhoungne, pourvu qu'on procède avec prudence, nous arrivons à deux points où l'orateur nous paraît méconnaître étrangement l'état et les besoins du pays.

Il revient sur les secours directs, accordés en vue de la misère publique, pour les blâmer de nouveau, en admettant tout au plus quelques subsides vers le mois d'avril quand la population pauvre aura épuisé sa provision de pommes de terre. Le système de M. D'Elhoungne, qui renvoie l'entretien des indigents aux ressources locales, est vrai dans la règle habituelle, mais il ne l'est pas en ce moment, malgré le bas prix des denrées alimentaires.

Qu'averti déjà comme il a pu l'être, par l'augmentation effrayante du chiffre de mortalité et par la diminution de celui des naissances, il aille, dans les campagnes, vérifier les besoins et les ressources, il apprendra que, depuis trois ans, la cessation du travail, la famine et les maladies ont élevé le nombre des pauvres jusqu'au quart et au tiers des habitants dans beaucoup de communes, et que ceux-ci ne peuvent pas profiter du bas prix des vivres, faute de travail. Il apprendra que, nonobstant la charité particulière, qui

certes n'a pas fait défant, et les secours du Gouvernement, les bureaux de bienfaisance et les communes succombent sous leurs charges. Il apprendra que ce fâcheux état menace de s'aggraver encore par la ruine imminente des petits cultivateurs les plus voisins de l'indigence. Nous concevons que M. D'Elhoungne connaisse mal ces faits on s'en rend un mauvais compte dans les villes où l'on fait de l'économie politique très à l'aise, après un bon repas, les pieds sur les chenets; mais nous sommes un peu étonnés de voir trancher avec tant d'assurance des questions qu'on n'a pas étudiées.

Enfin, M. D'Elhoungne prétend non seulement supprimer la faible protection accordée à l'agriculture, mais amener la baisse des fermages. - Suivant lui, le système protecteur grève le pain d'un impôt de 14,683,208 francs. Les propriétaires de terres sont privilégiés en Belgique. Quelqu'habitués que nous soyons à la légèreté de notre représentant, nous ne nous attendions guères à de pareilles assertions. D'abord, il suppose trèsgratuitement que le prix des céréales augmente de la quotité du droit imposé sur les blés étrangers. Ce droit, qui frappe en partie le producteur, en partie l'importateur, ne se prélève que lorsque les grains sont au-dessous de leur cours normal, et nos mercuriales peuvent apprendre à M. D'Elhoungne que la valeur des blés est la même qu'avant 1834, ainsi que nous l'avons déjà rappelé. Sous le régime de la prohibition, alors que nominalement le droit d'entrée aurait pu être fixé à 10, à 20, à 30 fr., le froment belge a été longtemps vendu au prix de 20 fr., et le député gantois ne peut pas croire que si l'importation, au lieu d'être prohibée, avait été frappée d'un droit de 10 fr., par exemple, ce droit se serait ajouté au prix du froment belge; car c'est surtout la production intérieure et non l'autre qui détermine la valeur vénale de ce produit. Nous serions, du reste, curieux de voir ce que diraient nos industriels si l'on venait soutenir que leurs droits protecteurs font hausser le prix de leurs fabricats et leur procurent des centaines de millions au détriment des consommateurs. L'honorable M. Coomans, développant cette thèse, a très-bien fait voir l'absurdité du raisonnement de M. D'Elhoungne :

«En face de l'influence, a-t-il dit, que l'honorable député de Gand attribue à la douane, je m'étonne qu'il n'en demande pas la suppression, car je le surprendrai, je l'effrayerai sans doute en lui apprenant que, d'après sa manière de calculer, la douane prélève sur les consommateurs belges un impôt annuel de neuf cents millions.

» Le droit de douane, perçu sur les cotons étrangers seulement, frappe la Belgique d'une contribution annuelle de plus de 45 millions, au profit de quelques localités, au détriment surtout des campagnards qui forment les trois quarts de la population. Voilà où mène l'arithmétique de mon honorable contradicteur.

» Le droit d'entrée sur les cotonnades étrangères varie de 180 à 325 fr. par 100 kilogrammes, soit de 20 à 30 p. c. Puis-je dire, avec l'honorable M. D'Elhoungne, que la Belgique paie les tissus de coton 20 à 30 p. c. plus cher qu'elle ne les payerait si la douane était abolie? Je le pourrais, il m'y autorise, et je devrais l'engager à demander la suppression immédiate d'une protection aussi monstrueuse. Mais je n'en ferai rien, car il est faux, radicalement faux que le prix des produits nationaux augmente dans la proportion exacte des droits de douanes. >>

En attendant que M. D'Elhoungne nous explique comment l'augmentation du nombre des consommateurs fait hausser les céréales et baisser les autres produits, voyons comment il trouve les propriétaires privilégiés par l'impôt. Ils paient l'impôt foncier, dit-il, mais ils ne paient plus la dime. Soit; mais n'en déplaise à l'orateur, l'impôt foncier monte plus haut que la dime et ne constitue pas la charge unique de la propriété. Le député gantois passe sous silence les centimes additionnels provinciaux et communaux; les droits d'enregistrement autrement élevés pour la propriété foncière que pour la propriété mobiliaire; les droits d'hypothèque qu'elle supporte seule; les droits de succession qu'elle paie au moins pour les trois quarts; tous ces droits multipliés qui font passer son capital dans les caisses de l'État dans un laps de temps déterminé. Nous pourrions ajouter que le propriétaire et l'agriculteur supportent dans nos campagnes la plus forte partie des octrois communaux. Nous ferons remarquer, avec le comte de Theux, que l'agriculture imposée dans sa matière première, l'est encore dans ses produits par les taxes assises sur les bières, les genièvres, par les octrois des villes. Et il y a privilége? Oui: privilége de charges! La seule source de revenu privilégiée que nous connaissons, c'est l'encrier de M. l'avocat D'Elhoungne, qui rapporte beaucoup et ne paie rien, pas même une misérable patente.

C'est une singulière économie politique que celle qui consiste à diminuer le revenu territorial d'un pays; c'est un singulier moyen de ranimer l'industrie que de restreindre les ressources qui font vivre les trois quarts des consommateurs; c'est une manière toute nouvelle de pousser au défrichement que de travailler à avilir d'avance les produits qu'on veut en tirer.

On a dit à M. D'Elhoungne qu'il n'était ni juste ni raisonnable d'appauvrir trois millions de campagnards au profit d'un quatrième million habitant les villes. On lui a beaucoup trop accordé. Si son système était adopté, il ne profiterait pas même aux ouvriers. Il ne profiterait qu'à un petit nombre d'industriels qui s'empresseraient de baisser le prix du travail et qui ne tarderaient pas à s'en trouver mal par la diminution de la consommation. Tout s'enchaîne en économie politique: sacrifiez l'industrie à l'agriculture, celle-ci ne tardera pas à voir restreindre le débit de ses denrées. Sacrifiez l'agriculture à l'industrie, vous arriverez à un pareil résultat. Il faut concilier les divers

intérêts en tenant la balance égale. Il faut surtout encourager le travail national, et l'industrie agricole mérite bien autant d'intérêt qu'une autre. Beaucoup nous resterait à dire sur les hérésies économiques du député gantois, mais la longueur de cet article nous oblige à mettre fin à ces considérations.

D. O.

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