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» répond bien à l'impatience de nos esprits; il plaît par un air de puissance, » par la majesté de ses déductions, par la promptitude d'élan qu'il imprime » à la pensée.

» Par malheur, il est impraticable, ou tout au moins plein de périls.... >> Il faut que je connaisse la cause par l'effet, la fin par les moyens, et à » l'œuvre l'ouvrier. Et entre ses œuvres, je dois m'attacher d'abord et sur» tout pour le bien connaître, à celle où il a mis le plus de lui-même, en » laquelle il a déposé une parcelle de chacune de ses perfections infinies et » qu'il a faite enfin à son image, c'est-à-dire, à l'homme. Connaissant » l'homme, je pourrai dès-lors espérer de comprendre quelque chose de >> Dieu.

>>

» Ainsi une sage philosophie ne va pas de Dieu à l'homme, mais de l'homme » à Dieu, de la psychologie à la métaphysique. La psychologie est la base, la » théodicée est le faite. Aussi bien, Dieu comme tout autre être, n'est, pour » nous, qu'autant qu'il est connu de nous, et la Théodicée n'échappe pas plus >> qu'aucune autre science, à la dépendance où elles se trouvent de la psycho»logie, au moins dans l'ordre d'acquisition de nos connaissances (1). »

Comment avons-nous procédé en effet pour parvenir à la Trinité?

Nous sommes passés du fait visible au fait invisible, de l'imparfait au parfait, du créé à l'incréé, du fini à l'infini, à Dieu, à la Trinité divine, à un seul Dieu en trois personnes.

Mais connaître l'homme, est-ce le connaître seulement dans l'âme, à l'exemple de Socrate et de tous les philosophes modernes ou contemporains? Non.

L'homme est âme, c'est incontestable. Mais les sens qui sont un critérium légitime de certitude, nous disent que l'homme est aussi un élément visible, tangible, un élément différent de l'élément invisible, intangible, que les langues appellent esprit, âme, etc.

Un enseignement philosophique complet doit tenir compte du corps comme de l'âme encore une fois, la grande règle de la philosophie est celle-ci : « Connais toi toi-même. »>

Or, quand nous étudions la partie visible, tangible de l'homme, c'est-àdire, son corps, nous voyons qu'il en est de cette partie visible comme de la partie invisible,

Si l'âme souffre en effet, si elle est au moins dans une condition différente de celle où elle fut aux âges primitifs, le corps souffre aussi : tout au moins, il est autrement qu'il n'était dès le principe. Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce encore parce que l'homme est une nature morale qui s'éprouve ! parce que

(1) Amédée Jacques, Objet de la philosophie, p. 8, 9, 10.

le fini diffère de l'infini, parce que le créé diffère de l'incréé? Non. Si le corps souffre, c'est pour la même raison qui fait souffrir l'âme, c'est parce qu'il a failli. S'il souffre plus que tous les autres corps animés, c'est parce que sa faute est la plus grave qui pût être commise dans l'ordre tangible. Mais étant donné deux substances, l'une spirituelle et l'autre matérielle, formant toutes deux un seul tout; le mouvement, l'impulsion ne peut aller que de la première à la seconde, surtout en présence de certains résultats comme la permanence et l'universalité d'une douleur qui est infiniment plus complexe dans l'ordre moral que dans l'ordre physique. Il est donc certain que dans l'homme, c'est l'âme qui a causé la faute du corps. La faute commise par le corps, ne peut donc être qu'une faute par suite d'une faute antérieure. Mais la faute antérieure était en rapport avec l'ordre moral, selon la nature de la substance spirituelle qui la commettait. La faute de conséquence ne pouvait donc être qu'en rapport avec l'ordre tangible. Mais de quelle nature peut être une faute commise par le corps dans l'ordre tangible? Elle ne peut être qu'une faute relative à ce que les langues désignent sous le nom de sensualité, orgueil des sens.

D'autre part, ce n'est pas seulement le corps d'un seul individu qui souffre, c'est le corps de tous les hommes; et le corps de tous les hommes souffre plus que tous les corps de tous les autres êtres de la création terrestre. L'universalité de la douleur du corps atteste donc une faute qui intéresse l'universalité des hommes, comme l'aggravation de cette douleur corporelle atteste la faute la plus grave dans l'ordre tangible.

Le corps de l'homme n'est donc pas plus dans un état régulier, sain, que l'àme lui aussi est passé d'un état supérieur à un état inférieur, d'un état de plénitude à un état de défaut. Et c'est là ce que constate la pathologie moderne dans un de ses représentants sans contredit les plus distingués.

« Après les effets de la dégradation originelle sur l'âme de l'homme, dit » le docteur Pidoux (1), viennent immédiatement pour l'importance les effets » de cette dégradation sur le corps.

>> De tous ceux qu'offre la nature physique, ce sont les plus irrécusables, » les plus vivement sentis, parce qu'ils nous sont toujours présents et qu'ils » pénètrent intimement toutes nos actions organiques.

» C'est par eux que nous sommes mis en rapport avec le mal extérieur à >> nous et que nous sympathisons, que nous sommes en union de souffrance » avec les autres êtres.

(1) Voyez la magnifique Introduction de M. Huet, professeur de philosophie en l'Université de Gand, à l'ouvrage de M. Bordas Demoulin sur le Cartesianisme.

>> Sans ce mal interne et spontané comme la vie, parce qu'il prend nais»sance dans notre substance organique aussi essentiellement affaiblie qu'essen>>> tiellement vivante, les causes extérieures du mal, les influences nuisibles > et délétères ne pourraient qu'affecter superficiellement notre corps, ou plu» tôt il n'y aurait ni douleur, ni maladie, ni perturbation d'aucune sorte, car >> tous les êtres vivants et animés étant dans l'ordre comme l'homme lui» même, leurs rapports mutuels ne tendraient jamais qu'à leur conservation » et à leur bien-être.

» Si les moralistes et les politiques qui ont négligé cette vérité fondamen» tale ont eu une abstraction chimérique à la place de l'homme réel que, n'ayant » pu comprendre, ils n'ont dès-lors pas su gouverner, il est aussi vrai de dire, » que, dépourvus du même flambeau, les médecins se sont égarés dans des » ténèbres non moins épaisses.

» L'homme en santé parfaite que le physiologiste fait poser devant lui, n'exista » jamais. Mais ce qui est encore plus impossible à concevoir en suivant les » erreurs de l'école, c'est la transition de cet état de santé pure à l'état de >> maladie.

» Tracer la limite rigoureuse entre la santé et la maladie, a été jusqu'ici » l'écueil de tous les pathologistes qui ont tenté une définition de ce dernier » état. Il est certain que la difficulté est invincible. Mais cet aveu est le pre>>mier pas vers la solution du problème nosologique.

» Cette fausse manière de poser la question, ainsi que le scepticisme iné» vitable où elle a jeté les esprits découragés, vient évidemment de ce qu'on » n'a jamais professé le fait flagrant de la corruption et du désordre originels » de notre nature, et de ce qu'on regarde le mal physique comme complétement » accidentel, au lieu d'en chercher la racine et la cause efficiente dans la » substance même de notre organisme mortellement empoisonnée.

>> Il faut admettre comme une vérité fondamentale en pathologie, comme >> un fait éminemment pratique en médecine, la spontanéité des affections >> simples, primitives ou essentielles, c'est-à-dire, la spontanéité de ce que » l'école de Barthèz appelle éléments des maladies, maladies élémentaires.

» Cette spontanéité suppose l'innéité des propriétés morbides correspon»dantes, ou si l'on veut, l'innéité des causes efficientes des maladies.

» On n'a jamais compris ce que les anciens entendaient et ce qu'il faut » entendre de nos jours par affections essentielles, essentialité des ma» ladies.

>> Ces dénominations très-justes n'ont plus de sens si elles ne signifient >> maladies spontanées ou existant en vertu de la seule innéité de leurs prin>> cipes ou causes efficientes, lesquels sont inséparablement attachés à notre >> nature en tant qu'elle est altérée par la chute. »

L'observation appliquée à la souffrance de l'homme, c'est-à-dire, au fait le plus certain, le plus universel qui existe, prouve donc que l'homme est

déchu dans le corps comme il est déchu dans l'âme; et que par conséquent l'homme et le divin ne sont nullement ni l'homme ni le divin de l'école.

Mais si le corps de l'homme a failli, il peut faillir encore. Or, il peut commettre des fautes qui ne reçoivent pas toujours ici-bas le châtiment qu'elles méritent ou des fautes qui intéressent tout particulièrement Dieu.

De même le corps peut faire des actes qui ne sont pas toujours récompensés dignement dans cette vie ou qui intéressent aussi tout particulièrement Dieu.

Le corps par conséquent, s'il y a une justice éternelle, et il n'y a aucun doute à cet égard, doit rester apte à être jugé (1) par la justice divine et à subir la peine ou à obtenir la récompense qu'il a méritée. Ceci est encore aussi vrai, aussi irrésistible qu'un corollaire de géométrie.

Mais qu'était ce que l'élément tangible dont le corps de l'homme a été formé? Nous n'avons qu'à reproduire une argumentation analogue à celle dont nous nous sommes servi pour établir l'origine de l'âme. Cet élément était-il une émanation de Dieu? Non, car le corps n'aurait point failli s'il avait été une émanation ou une partie d'émanation de l'essence parfaite. Venait-il de l'âme? Non, car l'âme ne peut pas plus donner le corps, que le corps ne peut donner l'âme, d'après ce principe de logique « ce qui est opposé ne peut être pensé. » Était-il co-éternel à Dieu? Non, car deux êtres éternels s'effacent. L'élément dont était formé le corps ne peut donc être conçu que hors du parfait, hors de l'âme et dans le temps. Or s'il n'est pas parfait, il est non parfait; s'il n'est pas de l'âme, il est le contraire, ou tout ou moins différent de l'àme; s'il est dans le temps, il n'est pas éternel. Mais qui pouvait créer une substance qui était le contraire ou tout au moins différente du parfait et de l'âme; qui était non éternelle? Était-ce un être fini? Non, car il y a une distance infinie entre le néant et l'être, et il n'y a qu'un être infini qui puisse franchir cette distance, pour créer, pour faire passer quoique ce soit, du non être à l'être. Mais il n'y a que Dieu qui soit infini. L'élément dont le corps a

(1) « Ceux, dit Montaigne, qui veulent desprendre nos deux pièces princi» pales et les sequestrer l'ane de l'autre, ils ont tort: au rebours i les » faut raccoupler et rejoindre, il faut ordonner à l'âme non de se tirer à quar» tier, de s'entretenir à part, de mespriser et abandonner le corps (aussi ne le » scaurait-elle faire que pas quelque singerie contrefaicte) mais de se rallier à » lui, de l'embrasser, de le chérir, lui assister, le controller, le conseiller, » le redresser et ramener quand il fourvoie, l'espouser en somme et lui servir » de mari, à ce que leurs effets ne paraissent pas divers et contraires, ains » accordants et uniformes. Les Chrétiens ont une particulière instruction de » cette liaison; car ils savent que la justice divine embrasse celle société, et » joinclure du corps et de l'âme, jusques à rendre le corps capable des récom» penses éternelles et que Dieu regarde agir tout l'homme et veult qu'entier_il » reçoive le chastiment ou le loijer, selon ses démérites. »

été formé, c'est-à-dire le tangible (1), le matériel, la matière a donc été créée, comme a été créée l'âme, c'est-à-dire, par la puissance divine.

Mais l'homme et le divin tels que l'observation, livrée à toute sa liberté, nous les fait connaître par la souffrance, sont précisément l'homme et le divin qui se rapprochent le plus de l'homme et du divin tels que les comprend, tels que les enseigne, le catholicisme qui n'est autre que le christianisme en action et en puissance.

Or d'une part, « l'homme est le centre de toute science.... la connaissance » exacte de l'homme et de sa nature emporte et contient pour ainsi dire, » en puissance, la connaissance de tout le reste. » C'est M. Amédée Jacques, un des professeurs les plus intelligents de la France qui parle ainsi.

De l'autre, «< tout dépend de la notion du divin dans une doctrine, » d'après M. Jules Simon, au commencement de son bel et très-be! ouvrage sur l'école d'Alexandrie.

Et enfin, il n'y a pas de doctrine qui connaisse mieux l'homme et Dieu que le Catholicisme. C'est d'une part M. Vacherot (2), le directeur du premier

(1) Nous pourrions demander pourquoi le monde extérieur, paradisiaque d'abord, comme l'âme et le corps de l'homme, quoiqu'il fût non parfait comme ceux-ci, et paradisiaque, puisqu'il était créé de Dieu, n'est plus ce qu'il était tout d'abord; et nous arriverious bientôt à la malédiction de la terre dont il est parlé dans la Génèse; mais nous n'avons pas besoin de cet ordre d'idées pour le but que nous poursuivons.

(2)« L'unité de la foi, dit M. Vacherot (*) dans son ouvrage sur l'école » d'Alexandrie, l'unité de la foi un moment éclipsée dans les luttes d'Arius » et d'Athanase, reparaît triomphante dans une magnifique formule qui résume » tout ce que la pensée humaine a conçu de plus complet sur la nature divine, » le symbole de Nicée. C'est alors que le Christianisme est devenu la religion de >> l'humanité tout entière, car il répond à tous ses instincts religieux et philoso» phiques. Jamais la poésie mythologique n'a offert à l'imagination des peuples » un symbole aussi simple, aussi touchant dans sa grandeur que les mystères » de l'Incarnation, de la Passion et de la Rédemption. Jamais la théologie des » écoles ou des sanctuaires n'a présenté au monde une conception du divin plus » élevée que le dogme de la Trinité (**)........ »

« Où trouver, continue le même penseur, un symbole plus simple et plus » profond, plus sublime et plus populaire tout à la fois que ce mystère du verbe » divin s'incarnant dans l'humanité pour la racheter par ses vertus et ses souf» frances, pour la guider par ses enseignements? Où trouver une doctrine qui » réunisse également toutes les conditions d'une religion universcile? La nature » humaine tout entière à tous ses degrés, pour tous ses instincts, y trouve pleine » satisfaction (***)........... »

« Le sentiment sublime, dit encore M. Vacherot, déposé dans le sermon sur

(*) M. Vacherot, comme on sait, est le directeur des études à l'école normale de Paris. (**) Histoire critique sur l'école d'Alexandrie, Tome 2, p. 83-4.

(***) Ib. Tome I, p. 188-9.

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