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Sans doute, le Catholicisme a ses propagateurs et ses docteurs-nés dans un clergé qui est, depuis plusieurs siècles, l'admiration du monde entier. Mais notre œuvre diffère totalement de la sienne. Le clergé en effet parle à l'universalité des hommes, à toutes les nations, suivant cette parole: Docete omnes gentes. Le Nouvel Enseignement philosophique ne s'adresse qu'à la jeunesse. Le clergé part de la foi nous ne partons, nous, que de la raison. Le clergé procède de Dieu nous procédons de l'homme et de l'expérience. Le clergé agit par déduction: nous agissons par induction. Le clergé garde intact le roc de Pierre, et c'est là sa gloire éternelle : nous en appelons surtout aux résultats de la science. Notre enseignement n'est donc ni théologique ni sacerdotal. Il est, il reste avant tout philosophique et laïque; et encore une fois, il ne s'adresse qu'à la minorité lettrée, non pas quand elle a pris des engagements avec les partis, car alors elle est incurable; mais quand elle est encore impartiale, comme l'exige la recherche de la vérité, c'est-à-dire, dès qu'elle a obtenu le grade de bachelier.

Mais, ajoute-t-on, est-ce que nous n'avons pas des prêtres qui, en chaire, soit comme prédicateurs, soit comme aumôniers, abordent toutes les questions, toutes les difficultés philosophiques? Est-ce que nous n'avons pas en outre des prêtres écrivains qui répondent victorieusement à tout dans leurs. livres ?

Incontestablement, le clergé est ce qu'il a toujours été, riche, extrêmement riche en talent comme en vertu. Mais voici ce qui se passe.

Quand le clergé fait de la philosophie soit dans les églises, soit dans les colléges, il est toujours dans une fausse position. S'il en fait beaucoup, il n'est pas compris de tout l'auditoire; et de plus, il abaisse la majesté de la chaire, en la réduisant à n'être qu'une chaire de philosophie. S'il en fait peu, il excite par cela même l'esprit de la jeunesse lettrée qui l'écoute, et reste toujours au dessous de ses appétits spéculatifs. Comment agir d'ailleurs, avec la persévérance et l'énergie désirable sur la jeunesse, en lui donnant de rares, de très-rares enseignements qu'elle écoute ou qu'elle n'écoute pas ?

A côté du clergé qui philosophe en chaire, il y en a un autre qui publie des livres. Or, sans aucun doute, ces livres sont généralement très-savants : ils annoncent des facultés très-élevées. Pour le prouver, nous n'aurions qu'à citer les ouvrages de Messieurs Chassay, Valroger, Bautain et de tant d'autres dont le nom est présent à tous les esprits. Mais la jeunesse philosophique profite-t-elle de ces livres, comme elle devrait en profiter? N'a-t-elle pas plutôt des préventions contre leurs auteurs? Peut-elle les acquérir tous? Pour elle, le prêtre écrivain n'est-il pas toujours juge et partie?

Le clergé qui prêche, le clergé qui écrit, peut donc faire, et fait beaucoup de bien à la masse de la nation; mais l'expérience le prouve, il n'agit pas sur la jeunesse philosophique.

Toutefois, les objections continuent. N'avons-nous pas, dit-on, des col

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léges dirigés par des ecclésiastiques et où la philosophie est plus complète que celle de l'enseignement légal? Qu'on ne s'y trompe pas. La philosophie des établissements soumis à des ecclésiastiques n'est pas autre que la philosophie légale. L'une et l'autre ont la même mission, celle de former des bacheliers, dans un temps fort restreint n'oublions jamais cette dernière circonstance. L'une et l'autre par conséquent ne traitent et ne peuvent traiter que les mêmes questions, puisqu'elles se proposent le même but. L'une comme l'autre, d'ailleurs, est obligée de comparaître devant un jury qui, toujours par l'ordre de la politique, entend respecter la liberté des cultes et l'idée que l'État n'a point de religion. Il est donc impossible que l'une fasse plus que l'autre. Nous avons eu occasion de voir comment l'on enseignait la philosophie en Belgique, c'est-à-dire, dans le pays qu'il nous importait le plus de connaître, pour la pensée que nous réalisons aujourd'hui. Pendant plus de cinq ans, nous avons eu sous les yeux les ouvrages qui servent de base à l'enseignement philosophique de l'Université de Louvain, la seule Université catholique qui existe en Europe, savoir: la Psychologie et la Logique de M. Ubaghs, la Morale en latin de M. De Cock. Ces ouvrages ne diffèrent presque en rien des livres publiés en France par les hommes importants de l'enseignement philosophique. Nous ajoutons même qu'ils ne peuvent ni ne doivent en différer, quand on se rappelle qu'en Belgique les cultes sont libres comme en France, que l'État n'a point de religion et que les jeunes gens ont à faire leurs preuves scientifiques devant un jury qui n'a, lui aussi, de par la loi, aucune croyance positive.

Voici néanmoins une objection que l'on croit irrésistible. D'après certains esprits, on ne doit pas appeler la raison, la science, la philosophie au secours du Catholicisme. Il n'y a que la foi, dit-on, qui convienne à la religion. C'en est fait du Catholicisme, quand il faut y arriver autrement que par la tradition et l'autorité. Suivant nous, ces paroles sont aussi vaines que celles auxquelles nous avons répondu.

Est-il vrai, oui ou non, que la jeunesse philosophique devient successivement cette minorité lettrée qui finit par tout gouverner, en France, et qui n'écoute ni le prêtre ni ses instructions?

Pourquoi donc ne pas chercher à résister à cette jeunesse, à cette minorité lettrée, avec les armes même dont elle se sert? Pourquoi ne pas chercher à l'éclairer à force de raison ? Pourquoi ne pas la ramener à des convictions autrefois chéries et maintenant oubliées; aux seules conditions, du reste, qui soient capables de former des hommes complets?

Voulez-vous savoir d'ailleurs comment cette minorité lettrée traite le Catholicisme, quand elle croit être en âge de se faire admirer? Écoutez-la dans un des rédacteurs habituels d'une Revue en réputation : « L'Église sent »sa faiblesse, disait celui-ci il y a quelque temps voilà pourquoi elle >> attache son nom à celui des Jésuites. Malheureusement pour l'Église, les

>> Jésuites n'ont parmi eux ni prosateurs, ni poëtes, ni penseurs. » Or, pour ce rédacteur comme pour tous ceux dont il est l'organe, l'Église et les Jésuites ne sont autres que le Catholicisme sous deux noms différents.

Le Catholicisme peut-il et doit-il subir plus longtemps la position humiliante que lui font certains hommes en France?

Du reste, que voulait Pascal à l'égard de la religion? Il voulait ce qu'avaient recommandé St-Paul, St-Justin, St-Clément d'Alexandrie, StAugustin, St-Anselme, Raymond de Sébonde, etc., savoir: prouver que la religion n'était pas contraire à la raison. Que voulait-il de plus ? qu'on la fit aimer, qu'on désirât qu'elle fût vraic. Pense-t-on que le génie de Pascal n'avait pas quelques motifs plausibles pour agir ainsi ?

Ecoutez ensuite Bossuet dans sa lettre au Pape Innocent XI sur l'Education de Monseigneur le Dauphin.

« Il faudrait faire un gros volume, disait-il, pour rappeler toutes les >> remarques que nous avons faites sur chaque auteur et principalement sur » Cicéron, que nous avons admiré dans ses discours de philosophie....

>> Nous n'avons pas néanmoins laissé, poursuit-il un peu plus loin, d'ex>> pliquer la morale d'Aristote, à quoi nous avons ajouté cette doctrine admi»rable de Socrate, vraiment sublime pour son temps, qui peut servir à » donner de la foi aux incrédules et à faire rougir les plus endurcis. »

St-Paul, les plus grands hommes de l'Église grecque et latine, Pascal, Bossuet, voilà donc les autorités qui justifient encore le Nouvel Enseignement Philosophique. La raison, la philosophie, voilà donc notre organon auprès de la jeunesse; et nul ne peut nous en contester l'usage.

Le Nouvel Enseignement Philosophique a donc pleinement sa raison d'être, dans l'insuffisance évidente de l'enseignement légal de la philosophie; dans l'impossibilité où est le clergé de suflire systématiquement aux besoins de la jeunesse qui a reçu cet enseignement; dans la nécessité absolue de faire de l'ordre moral pour le présent et l'avenir au milieu d'une nation qui se dissout et se décompose de plus en plus dans ses hauteurs; dans le droit absolu de la raison de chercher et d'affirmer la vérité.

Est-ce à dire que le Nouvel Enseignement Philosophique doive se lancer sans frein dans les espaces métaphysiques, tenter des coups de génie, prophétiser des grandeurs inouies de l'intelligence humaine? Loin de nous de pareilles. prétentions. Depuis longtemps, mais surtout depuis février 4848, la France a cu tant de génies extraordinaires, tant de géants spéculatifs, qu'elle est fatiguée de génies et de géants. Ce qu'il lui faut aujourd'hui, ce sont des hommes qui aient du bon sens. Nous n'avons pas d'autre ambition que d'en avoir un peu. Aujourd'hui en effet il ne s'agit pas d'inventer, de créer, pour ramener la France, de la barbarie déguisée, à la civilisation; de la force militaire qui est devenu son seul moyen de salut, à la puissance des doctrines: il ne faut qu'observer, observer avec énergie et indépendance.

Longtemps, il est vrai, le génie français fit de la spéculation: longtemps, cela est vrai encore, il y eut des passions très-vives et de grands combats dans le domaine de la pensée, mais cette spéculation, ces combats et ces passions ne sont plus aujourd'hui que de l'histoire. A part trois ou quatre médiocrités inquiètes et bruyantes, les véritables philosophes laissent là toutes les divagations, tous les airs d'inspiré et se bornent à une œuvre de révision. Après plus de trois siècles de mouvement, la France, la grande nation de l'occident, semble n'avoir qu'un seul désir, celui de se recueillir en elle-même, pour savoir ce que veut l'esprit humain livré à sa force intérieure; ce qu'il a pu par lui-même; ce qu'il doit vouloir aujourd'hui.

Il n'y a donc aucun écart, aucune témérité à craindre de la part du Nouvel Enseignement Philosophique. En effet, il n'a rien à imaginer, rien à supposer. Encore une fois, il ne doit qu'observer. Il n'est qu'une École de Critique.

SECONDE PARTIE.

Mais sur quoi doit porter d'abord notre observation? Sur la philosophie elle-même.

Comme on sait et comme on le dit, la philosophie se donne en France au nom de l'État, et ceci dure depuis 1808. Pour nous, la philosophie ne se donne ni au nom de l'État ni au nom de qui que ce soit, et nous tenons à ne pas abuser ici des avantages de notre position. Pour nous, l'État n'a aucune compétence en matière philosophique pour nous, l'État est moins que rien à cet égard. La philosophie n'appartient qu'à la vérité. Ainsi que l'État ne vienne pas nous dire que nous devons enseigner ou non telle ou telle chose, aller jusqu'ici et nous arrêter là. Toute recommandation de ce genre et surtout de la part de l'État, est absolument comme non avenue.

Notre point de départ est donc absolument différent de celui de la philosophie légale.

Celle-ci en effet est esclave de la politique, en ce que, dominée par l'État qui lui crie sans cesse qu'il n'a pas de religion, elle n'a ni ne doit professer aucune espèce de culte.

Le Nouvel Enseignement Philosophique est absolument libre.

Sur quoi notre observation doit-elle porter aussitôt après?

Sur l'homme.

« L'homme, disent les juges les plus compétents, est le centre de toute science... ; la connaissance exacte de l'homme et de la nature emporte et

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