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ments qui en ont paralysé les résultats, sans qu'il fut possible d'y obvier, les efforts de toute nature faits pour perfectionner l'industrie des toiles, et il en conclut à bon droit, que si le plan de l'ancienne administration offrait des imperfections et des lacunes, il avait aussi son côté utile.

M. Dechamps rappelle que l'ancien ministère avait déjà pris des mesures pour remédier aux trois genres de souffrances qui affectent les populations flamandes souffrance agricole, souffrance industrielle et souffrance commerciale.

Pour l'agriculture, il y a la loi des défrichements, base de toute colonisation intérieure.

Pour l'industrie, on a continué l'application des subsides à l'avancement de la réforme linière, et l'arrêté royal du 26 janvier 1847 qui a réorganisé d'après un plan d'ensemble les comités industriels et surtout les ateliers d'apprentissage, de manière à doter d'un de ces ateliers modèles chacun des centres de fabrication linière. La plupart des mesures prises par le cabinet actuel ne sont que l'exécution de cet arrêté.

Dans l'ordre commercial, nous voyons figurer le plan d'une société d'exportation

Il faudrait transcrire textuellement une trop longue partie du discours de M. Dechamps, pour donner une idée exacte des considérations pleines de justesse, par lesquelles il démontre la nécessité de cette institution, faute de laquelle nos produits, égaux ou même supérieurs à ceux de nos rivaux, encombrent nos marchés. L'opinion publique est assez fixée à cet égard pour que nous puissions renvoyer nos lecteurs au discours lui-même, s'ils ont la louable curiosité d'apprécier une logique qui procède par faits et par chiffres. L'orateur termine en examinant les moyens de former un capital pour le défrichement et un autre capital pour la société d'exportation.

C'est au crédit foncier que M. Dechamps demande le fond de défrichement, non pas à ce crédit foncier des rêveurs socialistes, mais à celui de l'Allemagne que l'expérience a pu faire apprécier.

L'orateur qui, en véritable homme d'État, éprouve les théories par les faits, nous met immédiatement sous les yeux les résultats obtenus au moyen du crédit foncier allemand.

On trouve d'abord que cette institution a fait baisser le taux de l'argent de 10 p. c. jusqu'à 3 ou 4. « Voilà, ajoute M. Dechamps, une des causes » de notre infériorité sous le rapport industriel. Lorsque le taux de l'argent » n'est que de 2 1/2 à 5 p. c. en Angleterre, de 4 p. c. en Hollande et de » 4 à 5 p. c. en Allemagne, comment voulez-vous que la Belgique, où l'in» térêt industriel est à 5, 6, 8 et même 10 p. c., soutienne la concurrence » sur les marchés neutres avec les nations où le taux de l'intérêt est beau» coup moins élevé? »

En second lieu, le crédit foncier a dégrevé en Allemagne la propriété foucière de sa lourde charge hypothécaire.

Enfin, il a donné une grande impulsion à toutes les améliorations agricoles. M. Dechamps est homme trop pratique pour se lancer sur les pas du congrès agricole. Ce n'est pas un capital de deux ou trois cents millions qu'il lui faut. Il se restreint à un crédit de 5 à 10 millions au plus, exclusivement appliqué d'abord aux défrichements. Nous croyons avec lui que, moyennant ces sages limites qui permettent de consulter l'expérience, on donnerait aux défrichements une grande activité.

Dans ce système, il accorderait des lettres de crédit à tout propriétaire, à toute association qui donnerait au Gouvernement en garantie, non pas les bruyères qu'il s'agirait de défricher, mais d'autres propriétés. Il leur accorderait ces lettres de gage à un intérêt très-minime avec un amortissement destiné au remboursement du capital en 20, 30 ou 40 ans, ainsi qu'il se fait en Prusse.

En ce qui concerne le capital de la société d'exportation, les circonstances ont changé, et l'orateur reconnaît que le projet, jadis restreint aux toiles et aux tissus, doit aujourd'hui être étendu à toutes les industries souffrantes. Il craint qu'on ne puisse l'obtenir, dans les circonstances présentes, par un appel aux intérêts particuliers, et il croit que le Gouvernement pourrait fournir un capital provisoire, qui formerait le premier fond de la société auquel ne tarderaient pas de se joindre les capitaux de l'industrie. Il compose ce capital montant à 8 ou 9 millions de francs, de 6 à 7 millions disponibles sur l'émission de billets de banque ayant cours forcé, autorisée pour le remboursement de la caisse d'épargne et d'un excédant de deux millions sur le fonds destiné aux comptoirs d'escompte.

M. Dechamps n'émet pas ces idées comme des oracles. H les soumet au contraire à la discussion. Nul doute qu'elles puissent y gagner, mais nul doute aussi qu'elles ne méritent toute l'attention du pouvoir législatif.

Les discours de MM. Rogier et Dechamps nous paraissent réfuter victorieusement les injustes accusations d'inertie lancées tant de fois contre le Gouvernement. Il demeure maintenant établi, par des faits incontestables, que jamais le pouvoir n'a fait défaut aux malheureuses Flandres; que les anciens cabinets ont soigneusement examiné la situation et appliqué avec intelligence les remèdes dont ils pouvaient disposer; que le ministère actuel a suivi ces errements et montré un zèle tout aussi louable; que notre pays enfin n'a pas été gouverné pendant quinze ans par des hommes sans cœur ou sans tête. Tout sans doute n'est pas fait tout ce qui s'est fait n'a sans doute pas le mème degré d'utilité nous le répétons après M. Dechamps. Il appartient à nos mandataires, à ceux de la Flandre surtout, d'éclairer le zèle ministériel, mais les conseils et même la critique, doivent être équitables, francs et non malveillants, et reconnaître les services réels et l'intégrité des intentions. Aller plus loin, se montrer injuste pour ce qui est accompli et pour ceux qui ont fait le bien, exiger une amélioration radicale immédiate, en dépit

d'obstacles qui ne dépendent pas des hommes, c'est prendre le rôle de tribun et tomber dans ce travers que nous avons signalé jadis et qui consiste à ravaler constamment, à nos yeux et à ceux de l'étranger, le Gouvernement que nous nous sommes donné et, par conséquent, notre patrie elle-même.

Nous avons signalé le discours de M. D'Elhoungne comme méritant aussi l'attention. Nos lecteurs se tromperaient étrangement s'ils devaient en inférer que nous allons le proposer à leur admiration. Après avoir entendu MM. Rogier et Dechamps, nous allons au contraire tomber du langage de l'homme d'État dans le parlage.

M. D'Elhoungne a la parole facile, quelquefois élégante, souvent spirituelle, mais ces qualités qui font entendre un orateur avec plaisir, ne suffisent pas pour l'élever au premier rang des sommités législatives. Il faut d'abord l'étude consciencieuse qui produit les convictions et la fermeté de caractère qui donne la conséquence de la conduite. Or, la légèreté de M. D'Elhoungne a de nouveau éclaté dans cette occasion. Il se trompe à chaque instant sur les faits; il affirme sans preuves; il blâme, il critique sans avoir rien de mieux à proposer; il condamne l'ancien ministère et vante le nouveau, sans même se rappeler que M. Rogier venait de rendre loyalement justice à ses prédécesseurs, et de reconnaître qu'il a souvent continué leur œuvre. Il se montre aujourd'hui d'un fervent ministérialisme, après avoir boudé longtemps les ministres qu'il déclarait, il y a moins de deux ans, des hommes usés. Il faudrait encore cette dignité qui porte un orateur à n'envisager que la question et à garder, même envers ses adversaires, ces égards qui vont toujours bien à l'homme politique et même à tout homme bien élevé, dignité dont la Chambre lui a offert et lui offre encore de bons modèles. Prenez les vétérans de nos débats législatifs, ceux qui ont eu à soutenir les contradictions les plus vives, les plus passionnées, les de Theux, les de Muelenaere, les Malou, les d'Anethan, les Nothomb, vous les trouverez toujours également calmes et nobles dans leur langage, traitant les choses pour ellesmêmes, et sachant se montrer justes et modérés pour leurs antagonistes. C'est ce qui manque trop souvent de ce côté, et M. D'Elhoungne n'est pas exempt de ce défaut, car entr'autres occasions, le but de son dernier discours paraît être moins d'éclairer la question des Flandres, qui, à dire vrai, n'en profitera guères, que de récriminer à tort et à travers contre une administration qui n'est plus.

A peine à son début, l'orateur commence par poser un fait à sa guise, en attribuant à M. Dechamps cette idée que le cabinet actuel n'aurait pas autre chose à faire que de se prosterner devant le cabinet précédent et de suivre scrupuleusement ses exemples. Il prouve qu'il n'avait pas pris la peine d'écouter ni M. Dechamps qui avait dit au contraire ne pas prétendre que tout fut fait, que tout eut été également bien fait, ni M. Rogier qui avait accepté une solidarité raisonnable, telle que l'entendait l'ancien ministre.

M. D'Elhoungne fait ensuite preuve d'ignorance en ce qui concerne les causes de l'élévation progressive des fermages. Il l'attribue à l'augmentation de la population; à ce que cette population exubérante n'avait d'autre industrie que la linière; à ce qu'elle était exclusivement agricole; enfin à la loi des céréales de 1834. La première cause est vraie jusqu'à un certain point, mais elle n'est pas complétement exprimée. Il faut la combiner avec le morcellement de la propriété, avec l'augmentation du nombre des petits propriétaires et des petits fermiers. Pour s'en convaincre il suffit de se rappeler la différence qui existe entre les loyers des terres réunies en corps de ferme et ceux des terres détachées, ainsi que cette circonstance, que nul propriétaire n'oserait demander le prix que les petits fermiers offrent spontanément dans les locations par adjudication publique. Il faut aussi tenir compte da perfectionnement de la culture, et notamment de l'emploi plus fréquent de la bêche, d'où résulte un plus grand rapport de la terre. Nous ne savons trop si M. D'Elhoungne s'est rendu un bon compte des deux raisons qui suivent, car la population qui s'appliquait à l'industrie linière n'était sans doute pas exclusivement agricole, et ce qui va plus à l'encontre de sa logique, les souffrances de cette industrie ne contribuent pas sans doute à mettre ceux qui l'exerçaient, à même de faire hausser le prix des baux par leur concurrence. La dernière raison tirée de la législation de 1834 sur les céréales est évidemment fausse. Le mouvement des grains et farines est assujetti à de très-faibles droits ou même libre entre deux prix assez éloignés, et l'entrée des denrées alimentaires venant de l'étranger n'est interdite que lorsque le prix de nos marchés a depuis longtemps cessé d'être rémunérateur, lorsqu'il y a crise réelle pour notre agriculture. Cette législation, loin de constituer un privilége au profit du cultivateur, n'est pas suffisamment protectrice, et les grains exotiques, lorsqu'ils paient, ne paient pas même la valeur de l'impôt foncier acquitté par les nôtres. Au surplus, la mercuriale de nos marchés suffit pour répondre à M. D'Elhoungne, en lui prouvant que la moyenne du prix des grains n'a pas haussé depuis 1854.

Il va de soi que M. D'Elhoungue blâme tout ce qui s'est fait pour l'industrie linière, le tarif protecteur de 1834, les conventions avec la France, les mesures prises en faveur de la filature. Qu'aurait-il fait s'il eût été ministre? C'est ce qu'il oublie de nous dire. Seulement comme il se plaint qu'on ait maintenu les populations flamandes dans leurs illusions, il faut supposer qu'il aurait essayé de leur montrer « la route du progrès et de l'avenir. »

En attendant que l'orateur ait découvert cette route qu'il n'indique pas encore aujourd'hui, on se rappellera que cette législation si décriée a fait remonter nos exportations linières à 30 et jusqu'à 37 millions; on se rappellera encore les mesures prises pour régénérer cette industrie, et l'on préférera, croyons-nous, ces faits positifs aux résultats hypothétiques de la creuse phraséologie de M. D'Elhoungne. Nous remarquons que le député gantois

reproche aigrement à M. Dechamps et à ses collègues de s'être plutôt attachés à maintenir l'ancienne industrie linière que d'avoir poussé à sa transformation. Ici nous devons faire une réserve. Si l'orateur entend par transformation le perfectionnement de l'industrie à la main, il ne commet qu'une erreur de fait de plus, car tous les efforts ont tendu à conduire à ce perfectionnement; mais s'il entend qu'on dût la sacrifier à l'industrie mécanique, il montre qu'il connaît fort bien les intérêts des sociétés linières et fort peu ceux des populations flamandes. Toutes les filatures réunies n'emploient qu'un petit nombre de milliers d'ouvriers dans les villes seulement, tandis que l'industrie à la main employait, dans les Flandres seules et dans toutes leurs localités, trois à quatre cent mille personnes. Si cette dernière industrie peut vivre, on a bien fait de la soutenir, car les nouvelles industries, les gants, les dentelles et autres ne suffisent pas à occuper tant de bras: si elle est invinciblement condamnée à mourir, on a bien fait encore de ménager la transition en essayant de reculer la catastrophe.

Après avoir reproché à M. Dechamps le fait même de l'ancienne opposition, c'est-à-dire, le retard mis à la discussion du projet de loi constituant une société d'exportation, M. D'Elhoungne continue sa critique en blåmant les secours accordés à titre d'aumône dans les circonstances calamiteuses.

D'abord, il n'est pas vrai que le travail ait été oublié. La plus grande partie des sommes employées ont été au contraire consacrées à des travaux d'utilité publique, et MM. Rogier et Dechamps avaient cité à cet égard des faits et des chiffres dont notre représentant ne tient aucun compte. En second lieu, il n'était pas possible de ne pas recourir au moyen de l'aumône. Les travaux publics ne pouvaient pas s'étendre à toutes les localités, et beaucoup de communes (surtout les petites), obérées par les charges extraordinaires, résultant de la misère à soulager, ne pouvaient disposer d'aucuns fonds à cette fin, partant, obtenir aucun subside. Cependant l'ouvrage ne pouvait procurer même à l'ouvrier employé de quoi acheter son pain; les populations étaient en proie au double fléau de la famine et du typhus, et toutes les ressources locales demeuraient insuffisantes. Que fallait-il faire? Ou donner cette aumône si blâmée, ou laisser les malheureux malades ou inoccupés mourir de besoin.

Pour la première fois, nous entendons quelque chose des travaux du comité des Flandres, dont M. D'Elhoungne se déclare l'organe, et ce que nous en apprenons ne nous inspire pas une grande confiance.

Trois remèdes sont indiqués comme devant composer la panacée qui guérira nos maux. D'abord, il faut relever la condition matérielle et morale de la population indigente qui s'est formée en Flandre.

Nous n'avons aucune envie de contredire ici M. D'Elhoungue nous ferons remarquer seulement qu'il n'a le mérite ni de l'invention ni de la tentative. Quoi qu'il en soit, il donne, comme moyens, un vaste système de travaux

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