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CONTRACTURE HYSTÉRIQUE.

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les particularités les plus intéressantes relatives, à cette manifestation singulière de l'hystérie.

I.

Etch...., aujourd'hui âgée de 40 ans, est atteinte depuis vingt mois d'hémiplégie gauche. Vous voyez le membre

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supérieur de ce côté dans la demi-flexion (Fig. 22); il est le siége d'une rigidité considérable, ainsi qu'en témoi

gnent la difficulté que l'on éprouve à exagérer la flexion et l'impossibilité d'obtenir l'extension complète (1).

Le membre inférieur gauche est dans l'extension; ses diverses parties sont, pour ainsi dire, dans une attitude forcée. Ainsi la cuisse est fortement étendue sur le bassin, la jambe sur la cuisse. Le pied offre la déformation de l'équin varus le plus prononcé. En outre, les muscles adducteurs de la cuisse sont, eux aussi, fortement contracturés. En somme, toutes les jointures sont également rigides, et le membre, dans son ensemble, forme comme une barre inflexible, car, en le saisissant par le pied, vous pourriez soulever tout d'une pièce la partie inférieure du corps de la malade. J'insiste sur cette attitude du membre inférieur, parce qu'elle est très-rare dans l'hémiplégie liée à l'existence d'une lésion cérébrale en foyer, et qu'elle est au contraire, pour ainsi dire la règle dans la contracture hystérique. Dans ce dernier cas, la flexion permanente de la cuisse et de la jambe, si j'en juge d'après mes observations, est un fait réellement exceptionnel.

Il s'agit là d'une contracture permanente dans l'accep. tion rigoureuse du mot; je me suis assuré qu'elle ne se modifie en rien pendant le sommeil le plus profond ; elle ne subit pas, dans la journée, d'alternatives d'aggravation et de rémission. Seul, le sommeil provoqué par le chloroforme la fait disparaître pour peu que l'intoxication ait été poussée un peu loin.

Bien que chez notre malade la contracture hémiplégique date, je le répète, de près de deux ans, vous voyez que la nutrition des muscles n'a pas souffert sensiblement. J'ajouterai encore que la contractilité électrique est restée à peu près normale.

Je vous ferai remarquer, en passant, qu'en redressant

(1) Aujourd'hui (juillet 1873), la contracture des membres gauches, chez E.., se retrouve avec tous les caractères qu'elle offrait à l'époque où la présente leçon a été faite, c'est-à-dire en juin 1870.

CARACTÈRES DE LA CONTRACTURE HYSTÉRIQUE.

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fortement la pointe du pied, on détermine dans le membre inférieur contracturé une trépidation qui persiste quelquefois pendant longtemps, alors que le pied, abandonné à lui-même, a repris son attitude primitive. Vous savez que cette même trépidation se rencontre très-habituellement dans la paralysie avec contracture, liée à une lésion organique spinale, lorsque, par exemple, les cordons latéraux sont sclérosés; mais je l'ai observée également dans nombre de cas où la contracture hystérique s'est terminée tout à coup par la guérison. Vous voyez par là que ce phénomène n'a pas, au point de vue du diagnostic anatomique, une valeur absolue (1).

(1) Dès 1868, dans mes leçons de la Salpétrière, j'ai appelé l'attention sur le tremblement particulier qui, chez certains sujets atteints de paralysie ou seulement de parésie des membres inférieurs, se produit dans le pied lorsque, saisissant avec la main l'extrémité de celui-ci, on le redresse brusquement. (Voir A. Dubois. Etude sur quelques points de l'ataxie locomotrice progressive. Thèse de Paris, 1868.)

La trépidation ainsi provoquée s'arrête, en général, aussitôt qu'on cesse de maintenir le pied dans la flexion dorsale; elle persiste cependant quelquefois un peu après. Limitée au pied dans beaucoup de cas, elle s'étend souvent au membre tout entier et se propage même quelquefois au membre inférieur de l'autre côté. Dans le cas où le tremblement dont il s'agit peut être provoqué par la manœuvre indiquée plus haut, il se manifeste fréquemment aussi, soit spontanément, du moins en apparence, soit sous l'influence des mouvements que fait le malade pour se dresser dans son lit, pour en des-cendre et mettre le pied à terre, ou encore pour marcher.

La trepidation provoquée ou spontanée du pied se montre dans les circonstances variées, où les faisceaux latéraux de la moelle épinière sont devenus, dans une certaine étendue, le siége d'un travail lent de prolifération conjonctive. Ces conditions sont, on le voit, les mêmes que celles, où plus tardivement que le tremblement, se produit la contracture permanente. Ainsi, la trépidation spontanée ou provoquée, soit limitée au pied, soit généralisée, s'observe dans la sclérose symétrique des cordons latércux, dans la sclérose en plaques toutes les fois que les foyers spinaux occupent les faisceaux latéraux dans une étendue de plusieurs centimètres en longueur; on les observe lorsque la sclérose descendante s'est établie consécutivement à la compression de la moelle déterminée par une tumeur, à la myélite transverse aiguë ou subaiguë, ou encore dans la sclérose latérale consécutive à certaines lésions du cerveau, telles, entre autres, que le ramollissement en foyer ou l'hémorrhagie des corps opto-striés, intéressant la capsule interne. La trépidation en question n'est donc pas l'apanage d'une maladie en particulier; elle se lie à des maladies d'origine très-diverse, mais auxquelles la sclérose

A part la différence que nous avons signalée à propos de l'attitude du membre inférieur, toutes les particularités que nous venons de rappeler pourraient, à la rigueur, s'appliquer à un cas d'hémiplégie organique, résultant d'une lésion profonde de l'encéphale, hémorrhagie ou ramollissement, par exemple.

Un nouveau trait de ressemblance est celui-ci : l'hémiplégie, chez Etch..., a débuté tout à coup, pendant une attaque. La malade, à la suite de cette attaque, est restée sans connaissance durant plusieurs jours.

Après avoir indiqué les analogies, il faut faire ressortir les différences. Elles sont nombreuses, péremptoires et de fait, le plus souvent, rien n'est plus simple, en s'aidant de ces caractères presque toujours présents, que de rapporter la contracture hystérique à sa véritable origine.

1o Remarquez en premier lieu, Messieurs, l'absence de paralysie faciale et de déviation de la langue, lorsque celle

latérale est un trait commun. Toutefois, sa présence dans des cas de contracture hystérique, terminée brusquement par la guérison, montre qu'elle ne saurait être rattachée toujours à l'existence d'une lésion matérielle appréciable des faisceaux latéraux. (Dubois, loc. cit. Charcot et Joffroy. Arch. de Physiologie, 1869, pp. 632 et suiv. Charcot, Leçons sur les Maladies du Système nerveux. 1re édition, 1872-1873, pp. 218, 307, 319.)

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Tout récemment, M. Westphal et M. Erb ont consacré chacun, à l'étude de cesymptôme, un travail accompagné de vues physiologiques ingénieuses. Suivant ces auteurs, la trépidation provoquée du pied (laquelle est désignée par M. Westphal sous le nom de Füsphänomen), serait un phénomène réflexe ayant son point de départ dans les tendons. (W. Erb. Sehnenreflexe bei Gesunden und bei Rückenmarkskranken. Archiv für Psychiatrie. IV Bd. 3 hest., p. 792, 1875.-C. Westphal. Ueber einige Bewegungs-Erscheinungen an gelähmten Gliedern. Même recueil, p. 883. W. Erb. Ueber einen wenig bekannten spinalen Symptomencomplex. In Berliner Klin. Woschenschrift. 1875, n° 26.)

Dans quelques cas de paralysie des membres supérieurs, lorsqu'il s'agit par exemple d'une hémiplégie consécutive à une lésion de la capsule interne, et que la contracture permanente n'est pas trop accentuée, on réussit à produire, en redressant vivement les doigts, un tremblement spasmodique de la main en tout semblable à la trépidation provoquée du pied. (J.-M. C.)

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ci est tirée hors de la bouche. Vous savez que ces phénomènes existent au contraire toujours à un certain degré dans l'hémiplégie, par lésion en foyer du cerveau (1).

2o Notez ensuite l'existence d'une analgésie et même d'une anesthésie pour ainsi dire absolue, étendue à toute la moitié du corps, répondant au côté paralysé, occupant par suite la face, le tronc, etc. Cette altération de la sensibilité intéresse non-geulement la peau, mais encore les muscles et peut-être les os; elle s'arrête exactement à la ligne médiane.

Cette sorte de généralisation de l'anesthésie à tout un côté du corps, tête, tronc et membres, cette limitation, en quelque sorte géométrique, des parties anesthésiées par un plan vertical qui divise le corps en deux moitiés égales, appartiennent pour ainsi dire en propre à l'hystérie (2). Quoi qu'il en soit, ce symptôme ne s'observe que très-rarement dans l'hémiplégie de cause cérébrale, et s'il s'agissait de l'hémiplégie spinale, c'est-à-dire résultant de la lésion d'une moitié unilatérale de la moelle épinière, l'anesthésie, ainsi que l'a montré Brown-Séquard, occuperait le côté du corps opposé à la paralysie motrice.

3o Nous avons à relever encore bien d'autres caractères distinctifs. La malade est intelligente et rien n'autorise à suspecter sa sincérité; elle peut donc nous renseigner d'une façon véridique sur le mode d'évolution de son affection. Voici, en quelques mots, son histoire.

Il n'y aurait pas eu chez elle, semble-t-il, d'antécédents

(1) Suivant M. Hasse (Handb. der Pathol, etc., 2 Auflag. Erlangen, 1869) on devrait à M. Althaus d'avoir signalé l'absence de la paralysie faciale et de la déviation de la bouche et de la langue dans l'hémiplégie hystérique. Il n'en est rien; ce caractère se trouve déjà mis en relief dans les Leçons sur le système nerveux. de R. B. Todd.

(2) Voir la LEÇON X, sur l'Hémianesthésie.

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