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« dans des fautes qui pourraient le priver de « l'estime publique. »

Telles étaient, en effet, ses intentions, dont on n'a jamais pu soupçonner la sincérité.

Je ne crois pas devoir omettre un trait de lui qui fait au moins autant d'honneur à sa modestie qu'à sa sensibilité. Un chevalier de Saint-Louis lui ayant présenté, à son audience, un placet dans lequel il exposait ses services et ses besoins, et insistant pour qu'il en prît lecture sur-le-champ : « Monsieur, lui dit M. « de Saint-Germain, j'aurai certainement « égard à votre demande; mais vous voyez « que j'ai des affaires très-pressées. - Mon<<< seigneur, répondit le vieux militaire, il n'en <<< est point de plus pressée que la inienne : je << meurs de faim, et hier je n'ai point dîné. <<< -Oh! vous avez raison, répliqua le minis<< tre, rien n'est plus pressé que votre affaire. << Vous me ferez l'honneur de dîner aujour<< d'hui avec moi, et dès demain, je ferai en << sorte que vous ayez toujours de quoi dîner. << Comptez sur la Providence; je suis un grand << exemple de ses bontés. » (*)

Cependant M. de Saint-Germain perdit en peu de temps, comme ministre, toute la

bien

considération que devaient lui assurer, comme particulier, les qualités les plus estimables. Le goût des innovations, le peu de connaissance du caractère français, dont il avait oublié l'esprit pendant son long séjour chez les puissances étrangères, et la ténacité d'opinions, dont il n'avait pas été corrigé par ses malheurs, l'emportèrent bientôt sur la prudence de son âge. Une ardeur précipitée pour des économies mal entendues l'ayant engagé à supprimer la plus grande partie de la maison du roi, non-seulement il se créa une foule d'ennemis puissants, mais peut-être a-t-on eu raison de dire qu'il fut, quoique involontairement, une des premières causes des malheurs de la France, en ôtant à son souverain des serviteurs aussi braves qu'incorruptibles, qui, composés pour la plupart de gens également distingués par leur naissance et leur fortune, proposèrent inutilement de renoncer à leurs appointements, et de se contenter de l'honneur d'être les premiers remparts du trône.

Il trouva le moyen de mécontenter également les soldats français par un système bien contraire aux préjugés nationaux, et propre à affaiblir ce sublime principe d'honneur, qui,

en tout temps, leur fit affronter les plus grands périls, par la persuasion même de leur supériorité sur les troupes étrangères, qu'on conduisait par la crainte des plus vils châtiments corporels. Il établit que les fautes militaires, punies jusqu'alors par la prison, le seraient dorénavant par les coups de plat de sabre. Cette ordonnance ayant été lue à la tête des corps; qui en furent dans la plus grande indignation, un Grenadier gascon, de la garnison de Strasbourg, s'écria : « Sandis, nous <<< aimerions mieux le tranchant. >>

On voit que M. de Saint-Germain était bien loin de connaître l'esprit du militaire français comme le maréchal de Richelieu, qui, à Mahon, voulant détruire dans son armée le vice de l'ivrognerie, fit mettre à l'ordre que tout soldat qui serait trouvé ivre ne monterait pas à l'assaut, et parvint, par ce seul mot, à n'avoir que des soldats sobres dans un pays où le vin était très-bon et à fort bon marché.

A cette célèbre expédition de Mahon, le maréchal de Richelieu, prêt à aborder dans l'ile, fit passer l'ordre de débarquement sur les différents bâtiments qui transportaient l'armée. Il y était dit que les Chasseurs des

cendraient les premiers, ensuite les Grenadiers, et successivement le reste des troupes, selon le rang qu'il leur avait assigné.

Le chevalier de la Gracionnais, alors capitaine de Grenadiers au régiment de Brie, et qui depuis en a été lieutenant-colonel, fit demander au général, dont il était connu, la permission d'aller à son bord pour lui parler d'une affaire importante; et ayant eu tout de suite audience : « Monsieur le maréchal, lui << dit-il, je connais votre ardeur militaire, et << je serais au désespoir qu'elle vous exposât à << un danger certain. Je viens vous prier, au << nom des braves Grenadiers que je com<< mande, de ne pas vous mettre à la tête des « Chasseurs que vous avez destinés à aborder <«<les premiers dans l'île. - Pourquoi cela? — << Parce qu'en qualité de Grenadiers, notre << devoir est de traiter en ennemis tout ce qui « se trouvera devant nous. -Vous avez rai<< son, mon cher la Gracionnais, répondit le << maréchal; vous me faites connaître mon << erreur avec toute la loyauté d'un preux <<< chevalier français, et je vais me hâter de «< la réparer ». Il changea aussitôt son ordre de descente, et rendit aux Grenadiers l'honneur du pas qui leur était dû.

LE Magasin Britannique, journal anglais trop peu connu, raconte plaisamment les aventures d'un comédien ambulant, et j'ai pensé qu'on ne me saurait pas mauvais gré d'insérer ici son récit.

dans le

J'allai l'autre jour, dit l'auteur du journal, parc de Saint-James, vers l'heure où tout le monde le quitte pour aller dîner. Je n'aperçus que très-peu de gens qui continuaient la promenade dans les allées, et tous avaient la mine de chercher plutôt à distraire la faim qu'à gagner l'appétit.

Je m'assis sur un banc à l'extrémité duquel était un homme fort mal vêtu, mais qui, malgré le mauvais état de son habillement, conservait un air distingué. En un mot, je le pris, suivant l'expression de Milton, pour quelque gentilhomme dépouillé de ses rayons. Nous commençâmes alternativement à tousser, à nous moucher, à nous regarder, comme on a coutume de faire en pareille occasion, et enfin j'entamai la conversation.

<< Pardon, monsieur, lui dis-je; il me semble que je vous ai déjà vu : votre visage.... -Monsieur, me répliqua-t-il fort gravement, il est vrai que ma physionomie est très-répandue je suis connu dans toutes les villes de la

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