et de Pétersbourg, il devait pénétrer en France par la Franche Comté. Mais à son arrivée aux frontières, il eut la douleur d'apprendre que cette division extrêmement affaiblie par le déplacement inattendu de l'armée autrichienne, n'avait pu soutenir l'effort impétueux des Français, et venait d'être complétement défaite à la bataille de Zurich. Au moment où il était le plus accablé de ce cruel événement, le général, prince Korsakow entre chez lui. Suworow, en le voyant, recule deux pas, fait un cri d'effroi et d'indignation : « Brrrr, vous êtes bien hardi, lui « dit-il, de vous présenter devant moi, après << avoir imprimé sur mes drapeaux une tache <«<< inconnue jusqu'à vous. Sortez, et que « votre présence ne souille jamais mes yeux.>> Le prince se retirait confondu : toutes les personnes présentes à une correction aussi sévère restaient dans le plus morne silence, lorsque Suworow rappelle le malheureux général : « Ecoutez; je vous ai parlé en chef ir« rité, je vais maintenant vous parler en père « et en ami. Je sais tout ceux qui vous ont « livré à l'ennemi sont plus coupables que « vous: votre seul tort est de survivre encore « à l'affront que vous ayez reçu, et que votre « respectable famille partagera avec vous. Je <<< vous donne un bon conseil : allez vous con<< finer dans le désert le plus ignoré de la << Russie, et tâchez d'échapper même à vos << souvenirs. Adieu. >> Quelqu'irrité que fût le général russe contre Korsakow, qui n'avait en effet d'autre tort que celui de s'être trouvé dans l'impossibilité de vaincre, il l'était bien davantage contre l'archiduc d'Autriche qui, en évacuant inopinément la Suisse, et portant son armée dans le Brisgaw, avait obéi bien malgré lui aux ordres positifs et réitérés qu'il avait reçus à cet égard. Ce fut en vain que les cours de Vienne et de Londres firent solliciter Suworow de se concerter de nouveau avec ce prince; il répondit par écrit : «J'ai quitté « l'Italie plutôt que je ne l'aurais du: mais << je me conformais à un plan général que j'a« vais adopté de confiance, plutôt que de << conviction. Je combine ma marche en << Suisse, j'en envoie l'itinéraire; je passe le << Saint-Gothard, et je franchis tous les obs<< tacles qui s'opposent à mon passage. J'arrive « au jour indiqué à l'endroit où l'on devait << se réunir à moi, et tout me manque à-la fois. << Au lieu de trouver une armée en bon ordre, «et dans une situation avantageuse, ́je ne << trouve plus d'armée. La position de Zurich, « qui devait être défendue par soixante-mille « Autrichiens, avait été abandonnée à vingt«mille Russes. On laisse cette armée man« quer de vivres. Hotz se laisse surprendre; «Korsakow se fait battre; les Français restent « maîtres de la Suisse: je me vois seul avec « mon corps de troupes, sans artillerie, sans « vivres, ni munitions, obligé de me retirer «< chezles Grisons, pour rejoindre des troupes <«<< en déroute. On n'a rien fait de ce qu'on << avait promis. « Un vieux soldat comme moi peut être « joué une fois; mais il y aurait trop de sottise « à l'être deux fois.Je ne puis plus entrer dans << un plan d'opérations dont je ne vois sortir « aucun avantage. J'ai envoyé un courrier à « Pétersbourg je laisserai reposer mon ar« mée, et ne ferai rien avant les ordres de «mon Souverain Suworow, comme il l'avait annoncé, ne prit plus de part au reste de la campagne. Il réunit ses troupes et les débris de celles de Korsakow auprès de Lindaw. C'est là que l'archiduc lui envoya un de ses officiers pour l'inviter à conférer avec lui sur un plan de défense. Suworow le reçut en pleine atrdience, et lui répondit hautement : « Dites à " monseigneur l'archiduc, que je ne connais << pas la défensive je ne sais qu'attaquer. << J'irai en avant quand bon me semblera, et << alors je ne m'arrêterai pas en Suisse, je mar<<< cherai, selon mes ordres, directement en << Franche-Comté. Dites-lui qu'à Vienne je « serai à ses pieds, mais qu'ici je suis au << moins son égal; il est feld-maréchal, je le «suis aussi ; il est au service d'un grand Empe<< reur, et moi aussi : il est jeune, et moi je suis <<< vieux; je n'ai jamais été vaincu; j'ai acquis << mon expérience à force de victoires, et je << n'ai ni conseils, ni avis à recevoir de qui que « ce soit; je n'en prends que de Dieu et de « mon épée ». Peu de temps après, Paul I.", instruit de tout ce qui s'était passé, ne dissimula plus son ressentiment contre la cour de Vienne, et même contre Suworow, qu'il accusait d'avoir gardé trop long-temps le silence sur ces perfides manoeuvres. Il rappela ses armées, abandonna cette coalition qui l'avait si cruellement trompé, fit sa paix avec la France, et dissémina ses troupes en Russie; de manière qu'il ne resta plus de commandement au comte Suworow, qui, se trouvant ainsi exclus du service, se regarda comme disgracié par son souverain, qu'il avait servi avec tant de zèle et de fidélité, et qui lui fit éprouver, à son arrivée en Russie, le refus humiliant des honneurs militaires dus à son titre de généralissime. Sa sensibilité ne put résister à ce dernier trait. Il arriva malade à Pétersbourg, où le chagrin, la suite de ses blessures et de ses fatigues, peut-être même la perspective d'une inactivité si éloignée de ses habitudes, terminèrent bientôt une carrière qu'il avait remplie avec tant de gloire. L'empereur de Russie sentit cependant vivement la perte qu'il faisait, et ordonna de rendre à ses mânes tous les honneurs que le rang et les services de cet illustre général devaient mériter, Sous le régime révolutionnaire, un officier municipal d'une grande ville de province, chargé de la police du spectacle, manda un musicien, et lui fit des reproches sur sa négligence. Le pauvre diable, qui connaissait toute l'étendue du pouvoir municipal, ne le contraria qu'avec tout le respect possible, et Jui demanda très-timidement quels étaient les |