Page images
PDF
EPUB

de tout ce qui pouvait lui être nécessaire du agréable, lui fit présent de magnifiques fourrures et de sept chevaux de main ou d'atelage. Elle voulait garder auprès d'elle son fils, qui, trop jeune encore pour être placé en pied, n'avait pas les mêmes obligations à remplir. Elle promettait de lui procurer l'établissement le plus honorable, et une fortune bien audessus de celle qu'il pourrait espérer en France: mais le jeune homme voulut absolument suivre son père, et elle le combla de présents et de rouleaux d'or pour suppléer à tout ce qui lui manquerait.

Après une campagné malheureuse, le comte de la Féronays, laissant son fils avantageuse. ment placé au service, retourna auprès de la princesse Sapieha, où il retrouva la même amitié, les mêmes attentions, qui malheu reusementne purent prolonger ses jours, dont une goutte remontée termina le cours quelques mois après. 48 i

La Princesse, voulant que ses sentiments traversassent la nuit du tombeau, lui a fait élever un très-beau mausolée dans la chapelle de son château. Au-dessus d'une épitaphe relative au sujet, on voit en reliefles statues de La Reconnaissance et de l'Amitié, présentant

au ciel, entr'ouvert pour la recevoir, l'urne cinéraire, sur laquelle ressortent les armoiries du comte de la Féronays, et les attributs de son grade d'officier-général au service de France.

La réputation du comte Suworow, feldmaréchal général des troupes russes, a eu tant d'éclat, que les moindres particularités de sa vie ne peuvent que produire le plus grand intérêt. On ne lira donc pas sans plaisir quelques détails sur le caractère et la conduite privée de cet homme célèbre, rapportés par un officier supérieur au service de France, M. le comte de Pommartin, qui était à même de le bien apprécier, le voyant journellement à Tulchyn, en Pologne, où l'armée russe était cantonnée en 1796. La lettre qu'il écrivit à ce sujet est en date du 5 novembre de cette même année. Après avoir parlé de l'organisation des différents corps, au centre desquels le feld-maréchal se place toujours, il ajoute :

<«<< Les troupes russes sont superbes, l'in« fanterie surtout; je n'en connais pas de plus << belle. La cavalerie est très-belle en hom« mes; mais les chevaux sont médiocres. Je

« les ai vus manoeuvrer tout l'été; ils ne sont « pas forts dans ce genre. Le feld - maréchal, « quoique fort instruit dans la théorie de la << tactique militaire, ne connaît dans la pra<<< tique que d'aller en avant, soit en colonne, << soit en carré et peu en ligne. Les soldats << russes tirent peu, et chargent toujours « en faisant des cris affreux. Le mot de re<<< traite et l'action sont défendus. Pour les en<< tretenir dans l'habitude de toujours atta<< quer, et de ne jamais se laisser prévenir, « l'on ne fait d'autre manœuvre que le hura, «ou la charge, soit aux camps, soit aux can<<< tonnements, jusqu'aux gardes montantes.` « La cavalerie et l'infanterie se chargent, pas<< sent l'une dans l'autre, le sabre haut et la <<< baïonnette en avant. Il n'y a pas de jour « qu'il n'arrive quelque accident; mais cela << les accoutume aux dangers et aux mouve«<<ments rapides, les seuls que le feld-maré<«<< chal aime, et par le moyen desquels il a tou<< jours vaincu, soit Turcs, soit Polonais, soit<<< Persans.

«... C'est un homme bien extraordinaire « que ce comteSuworow! Sensible, bon, gé«néreux, il est, à soixante et dix ans, aussi << vif et aussi bouillant qu'un Français de dix

«huit. Sobre à l'excès, dur à lui-même, il
« ne couche que sur du foin, et n'a pas d'an-
« tre lit. Il dîne à six, sept, ou huit heures
<< du matin, selon la saison, dort de dix à
<< deux heures, travaille jusqu'à la retraite,
« qui est au soleil couchant. Cette retraite ou
« prière du soir, à laquelle il assiste exacte-
« ment, dure de vingt à vingt-cinq minutes.
« Ensuite il rentre dans sa chambre ou dans
« sa tente, fait une demi-heure ou une heure
« de conversation, et se couche. Il se lève à
<< minuit ou une heure, travaille jusqu'à qua-
« tre, va à la messe ou à l'office jusqu'à six,
<< et à la garde montante avant son dîner. H
« est toujours en gilet et en culottes blanches
<< hiver et été. Quelque temps qu'il fasse, on
« lui jette une douzaine de seaux d'eau sur
« la tête et sur le corps, après quoi il s'essuie
« et se chauffe nu près d'un grand feu. Il court
<< et saute continuellement : toujours gai, et
« ne respirant que son métier...... Sa conver-
<<sation roule principalement sur la guerre. Il
<< pleure sur notre révolution, et surtout sur la
« fin déplorable de notre malheureux maître.
« Il n'y a pas de jour qu'il ne parle de tout ce
« qui a fait nos malheurs, et pas un détail
« n'échappe à sa sensibilité.

[ocr errors]
[ocr errors]

Il est dans l'usage de prêcher tous les sa<<< medis à ses troupes une heure, et quelque<< fois plus. On l'écoute dans le plus grand si<<< lence. Tout son discours roule sur le res<< pect et l'amour dus à Dieu et au Souverain, <<< sur la sobriété, le travail, et l'avantage que <<< les troupes endurcies à la fatigue ont tou«<< jours sur les autres. Un soldat russe vit en << effet quarante-huit heures avec une livre de « pain et un quarteron de gruau, de sarrasin << ou de millet, ne mangeant de la viande que « rarement, ne buvant que de l'eau et un « peu d'eau-de-vie. De tels hommes, tant « qu'ils seront conduits par un tel chef, qui, << en conservant la plus austère discipline, sait « se faire adorer, doivent toujours vaincre, <<< ou se faire hacher. Leurs idées religieuses <<<< exaltent encore leur bravoure et leur éner«gie. Mourir dans les combats est pour eux << un bonheur; se retirer c'est un crime et une « honte qu'ils ne connaissent pas ».

En 1799, le comte de Suworow traversa les monts avec la plus grande précipitation pour se réunir à la division de vingt mille Russes qui étaient en Suisse sous les ordres du prince Korsakow, et avec laquelle, selon les plans combinés entre les cours de Vienne

« PreviousContinue »