Page images
PDF
EPUB

du produit de ses travaux littéraires. Mais pendant son absence, les malheurs domestiques les plus cruels pour une âme honnête et sensible, se réunirent pour lui enlever la plus grande partie des objets qui avaient été jusqu'alors ceux de son estime et de ses affections. Il les ignora long-temps, et n'en fut instruit qu'au moment où le retour de la tranquillité publique lui permit de revenir en France. Dès lors il n'hésita pas à renoncer à la patrie qu'il avait quittée auparavant avec tant de regrets, et qui ne pouvait remettre à présent sous ses yeux que le spectacle et les souvenirs les plus déchirants. Il vint s'établir à Lyon, où il se voua à la profession d'avocat, avec des talents qui lui attirèrent bientôt une célébrité digne de la noblesse avec laquelle il exerçait l'état le plus honorable pour celui qui sait en apprécier les devoirs.

L'un de ses premiers débuts dans cette carrière, dont il connaissait parfaitement la théorie (ayant exercé long-temps les fonctions d'avocat du roi dans le tribunal où il avait siégé), en lui conciliant l'estime des juges et l'enthousiasme du public, ne laissa pas douter du succès avec lequel il soutiendrait la réputation que ce moment lui assura. Chargé de

défendre la cause d'un mari qui réclamait contre le divorce qu'avait obtenu sa femme, en son absence, il s'y porta avec d'autant plus d'intérêt, qu'il trouva dans la situation de son client une grande conformité avec la sienne propre. Le public, toujours avide de ces sortes d'affaires, et de la malignité qui, dans ces occasions, ne manque pas d'alimenter les plaidoyers des deux parties, s'était rendu en foule à l'audience. Mais on fut très-étonné de voir prendre à M. Fenouillot une marche absolument opposée à celle des sarcasmes et des in jures par lesquels les avocats ordinaires semblent mendier avec bassesse les applaudissements que l'esprit satirique n'accorde que trop souvent à la méchanceté, et qui répugnent toujours à la délicatesse. Après avoir établi avec clarté et précision les moyens de droit qui devaient assurer le succès de sa demande, il démontra que le malheur des circonstances avait seul produit et prolongé l'erreur d'une femme trop honnête pour ne pas respecter, dès qu'elle serait éclairée, l'indissolubilité des liens religieux et sociaux qu'elle avait volontairement contractés; trop attachée à ses devoirs pour se dévouer au soupçon d'avoir eu seulement la pensée de les enfreindre; trop

sensible, enfin, pour ne pas partager intérieu rement la tendresse d'un époux qui ne récla mait le secours des lois que pour avoir le droit de s'occuper uniquement du bonheur d'une épouse adorée, et si digne de l'être par ses vertus, ses grâces et la conduite la plus exemplaire. En terminant son discours, dicté d'abondance par l'effusion du plus vif sentiment, il s'exprima avec tant de chaleur sur la félicité d'une union sanctifiée par la religion, les lois et l'honneur, que plusieurs fois. ses sanglots étouffèrent sa voix, et qu'il arracha des larmes aux juges et à tout son auditoire. Il gagna pleinement son procès; mais il obtint encore un triomphe bien plus flatteur, lorsque la jeune femme, qui avait assisté à la séance, vint se jeter publiquement, tout en larmes, entre ses bras, et le remercier de l'avoir rendue à ses devoirs et au bonheur en plaidant contre elle. Dès le lendemain il reçut la visite des deux époux réunis, qui ne se disputaient plus que sur les moyens de mieux lui exprimer leur reconnaissance.

DANS le temps où toutes les personnes qui possédaient des richesses et des places émi

hentes crurent devoir se soustraire par la fuite à la persécution révolutionnaire, M. d'A..... qui, en raison de son immense fortune et des fonctions importantes qu'il avait exercées, pouvait être, plus qué tout autre, eri butte à l'animadversion populaire, passa à Londres avec environ trois millions d'argent effectif, qu'il plaça bien solidement, et qu'il ménageait avec autant de parcimonie que s'il eût été dans la détresse.

Un de ses malheureux compatriotes, avec lequel il avait été particulièrement lié à Paris, et qui ne pouvait pas ignorer son opulence, se trouvant dans un besoin pressant d'argent, crut ne pouvoir mieux s'adresser qu'à lui pour emprunter une somme de cinquante louis. M. d'A........... le fait entrer dans son cabinet, de l'air le plus affable, ouvre son secrétaire, en tire un grand registre; et lui disant qu'il est juste de mettre toujours ses affaires en ordre, il écrit en sa présence, en se dictant luimême tout haut : « Le... du mois de.... M. *** « m'a demandé à emprunter la somme de « cinquante louis, ci.... 1200 liv.» Le demandeur, d'après ce préambule, dont il supporta aisément l'ennui, ne doutait pas que l'argent ne fût compté à l'instant: mais M. d'A....., lui

montrant plusieurs feuilles de son registre, remplies de différents noms et de différentes sommes plus ou moins fortes, ajouta : « Vous << voyez, mon cher ami, quelle confiance j'ai << en vous: tenez, voilà les noms de tous ceux <<< qui ont voulu m'emprunter de l'argent.

Voyez où j'en serais réduit, si je n'avais << pris le parti de les refuser tous ! J'espère « que vous ne me saurez pas mauvais gré de << vous traiter comme MM. *** et ***, qui m'as<< suraient être dans le même cas que vous, << et qui ont, cependant, pu se passer de moi.» En disant cela, il referma son registre, son secrétaire, et accabla de politesses le demandeur, qui ne lui témoigna pas moins son mécontentement sur un pareil procédé, et le publia hautement.

M. d'A..... se présenta, un matin, dans cette même ville, avec une vieille perruque, enveloppé de la plus mauvaise redingote, chez un célèbre dentiste, auquel il demanda de lui faire un ratelier postiche, le sien étant usé de manière à craindre de ne pouvoir bientôt plus s'en servir, et s'informa du prix qu'il mettait à cette opération. «Vingt-cinq guinées, ré«pondit le dentiste. » A ce mot, M. d'A..... se met à gémir. «< Et où voulez-vous qu'un mal

« PreviousContinue »