Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

la philosophie moderne pendant la courte durée de son ministère. Mais le grand caractère qu'il a montré dans le temps où il était l'un des premiers magistrats du royaume, la fermeté avec laquelle il s'est illustré à la fin de sa carrière, en se chargeant de la défense du malheureux monarque dont il était devenu l'ami; enfin, la rétractation authentique de ses erreurs, qui ne furent jamais que celles de son esprit, peuvent bien effacer quelques torts, et l'on ne pensera jamais à ses derniers moments sans respecter la mémoire d'un homme dont le nom sera à jamais gravé dans le cœur de tous les vrais Français.

Si l'on ne savait quelle est la différence de la marche du bel esprit et de celle du génie, on serait étonné de la modestie et de la simplicité qui semblaient envelopper tant de rares qualités. Cette existence sans prétentions lui assurait l'attachement de tous ceux qui le connaissaient, et lui a procuré quelquefois des scènes assez originales.

Voyageant en Suisse, après avoir renoncé volontairement aux affaires, et se trouvant, sans aucune suite, dans un petit village, au milieu des montagnes, il montra quelque envie de visiter le temple des protestants, et le

pasteur du lieu, qui parlait très-bien français, le lui ouvrit aussitôt, et le conduisit obligeamment partout, répondant avec honnêteté à ses remarques et à ses questions. Mais étonné de trouver dans un voyageur aussi simplement más, un homme instruit, et qui s'exprimait avec autant de facilité, il lui demanda d'où il était, et quelle était sa profession. « Je suis « Français, répondit M. de Malesherbes, et « peu de temps avant mon départ, j'étais mi<< nistre en France ». Cette qualification ne laissa pas douter au pasteur qu'il ne fût son collègue; les ecclésiastiques, dans cette religion, portant le titre de ministres. « Ah! dit

il, je me félicite de cette heureuse rencon<< tre; mais je ne souffrirai pas que mon con« frère dîne à l'auberge : j'espère que vous << viendrez partager mon frugal repas ». M. de Malesherbes qui ne voulut pas l'humilier en le faisant apercevoir de sa méprise, accepta la proposition avec la même franchise qu'elle lui avait été faite; et se rendit au presbytère. Pendant et après le dîner, la conversation roula entr'eux sur la religion, la morale, même la politique, et le pasteur n'eut pas lieu de se détromper sur la première idée qu'il avait prise de son hôte, dont la bonhomie lui plaisait infiniment. Cependant, lui ayant de

et

mandé son nom,

il resta d'autant plus étourd d'apprendre que celui qu'il avait traité si familièrement, était M. de Malesherbes, qu'ayant voyagé en France pendant son ministère, il avait entendu parler généralement de lui avec tous les éloges et l'enthousiasme qu'il méritait. Il voulut se confondre en excuses; mais M. de Malesherbes le serrant dans ses bras, l'assura de toute l'amitié qu'il lui avait inspirée, le priant de disposer de lui dans toutes les occasions où il pourrait lui être de quelque utilité; et, pour lui prouver le plaisir que lui avait fait une réception aussi loyale, il accepta sans se faire presser, un lit dans le presbytère, d'où il partit le lendemain ; il n'a pas manqué depuis d'entretenir une correspondance suivie avec le pasteur, sous prétexte de se procurer différentes plantes de la Suisse, pour cultiver dans un jardin dont il faisait ses délices, en s'y appliquant uniquement à l'étude de la botanique.

Quand on demandait à M. de Malesherbes pourquoi il avait quitté le ministère de la maison du roi, dont une partie essentielle était la haute police de la capitale, il répondait avec autant de franchise que de gaîté : « Que voua lez-vous ? J'étais dégoûté de vouloir le bien

« et de ne pouvoir jamais le faire; tous les <«< mauvais sujets étaient protégés, tous les <<< honnêtes gens étaient protecteurs je n'ai « jamais mis la main sur un décrotteur, que je n'aie trouvé derrière un duc et pair pour

«<le soutenir >>.

M. DE SAINT-Foix, Mousquetaire, auteur des Essais sur Paris, et de plusieurs jolies petites pièces de théâtre, avait pour se battre une passion bien malheureuse; car il était rare qu'il mît l'épée à la main sans être blessé. Il est peu de recueils d'anecdotes qui ne citent différents traits de son étourderie qu'il serait inutile de répéter ici. Je me contenterai d'en rapporter un que je crois moins

connu.

Il prit un jour en guignon un homme qu'il trouva dans une société, et qu'il ne connaissait point, mais dont le sang-froid l'impatienta d'autant plus qu'il le jugea affecté, et le regarda comme une satire amère de sa vivacité. Il se crut offensé, demanda son adresse, et lui annonça tout bas qu'il irait le trouver le lendemain matin, voulant avoir affaire avec lui. En effet, il se présente chez

lui le lendemain, à la pointe du jour : il est accueilli très-froidement, mais poliment par celui qu'il regarde comme son adversaire, et qui lui propose une tasse de chocolat. SaintFoix répond qu'il n'est point venu pour cet objet, mais pour l'engager à sortir avec lui. <«<-Volontiers, monsieur; mais avant de sor<< tir, je prends toujours une tasse de choco«lat; c'est ma coutume, et si vous voulez, << nous déjeunerons ensemble.-A la bonne << heure. » Et Saint-Foix se résigne à prendre du chocolat. Il sortent ensemble, passent devant une église, et le compagnon de SaintFoix y entre. «<< Mais, monsieur, à quoi pen<<< sez-vous donc? Allez-vous entendre la << messe?-Oui, monsieur, je ne sors jamais << sans entendre la messe ; c'est ma coutume. « —Eh bien, monsieur, entendons la messe, << dit Saint-Foix, qui voulut voir jusqu'à quel <<< point cet homme porterait sa froide go«guenarderie. » La messe finie, ils sortent, traversent ensemble le jardin des Tuileries, ét lorsqu'ils sont au pont tournant, l'homme retourne sur ses pas. « Eh, monsieur, qu'est« ce que vous faites? Quelle est donc cette « nouvelle fantaisie? - Monsieur, je fais tous « les matins deux tours dans la grande allée ;

« PreviousContinue »