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par une excellente conduite, les torts trop graves d'une jeunesse effervescente.

M. de P*** fut mené, par un de ses amis, chez un peintre de paysage dont la femme était fort jolie. Au bout de huit jours, il y retourna tout seul; mais le mari s'y trouva. Huit jours après, nouvelle visite de sa part, et toujours le mari présent. « Parbleu, monsieur, lui dit«< il à lui-même, pour un peintre de paysage, << vous n'allez pas souvent en campagne. »

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Le comte de Tissard de Rouvres, officier aux Gardes-Françaises, était un jeune homme aimable, paraissant livré à toute la gaîté, à toute la dissipation de son âge, mais cachant sous ces apparences de légèreté une présence d'esprit qui lui a été fort utile dans des occasions importantes, et des qualités solides qui lui assuraient l'estime et l'attachement de ceux qui le connaissaient plus particulièrement.

Etant dans une petite ville de province, il eut le malheur d'exciter, quoique bien involontairement, la jalousie d'un mari, dont la femme, avec d'excellentes mœurs, était ce

pendant très-vive et fort imprudente. Piqué de ce que l'accès de cette maison lui était interdit par l'ombrageux époux, et sachant que la jeune femme, qui rassemblait tous les soirs sa société, aimait autant à veiller que son mari

dormir, il lui prit fantaisie de s'introduire, après souper, au milieu de ce cercle, à la faveur d'une échelle qu'il dressa contre un baldont la fenêtre était ouverte. Parvenu aux derniers échelons, il se trouve en face du mari, qui le reconnaît et s'écrie: «< Eh bien! <«< monsieur, que faites-vous là?- Monsieur, « répondit-il, fort embarrassé.... je me pro<<mène. » Il n'en fallait pas tant pour jeter l'alarıne dans l'esprit de cet homme, qui eut bien de la peine à se persuader que sa chère moitié ne fût pas complice de cette promenade

nocturne.

Cependant cette même femme, qui, sans être attachée plus intimement à M. de Tissard qu'à tout autre, trouvait sa société agréable, et la désirait peut-être d'autant plus, qu'on la lui défendait davantage, eut l'étourderie de l'engager à souper avec quelques personnes, un jour que son mari était abssnt, et n'avait annoncé son retour que pour le lendemain. Mais ses affaires ayant été ter

minées plutôt qu'il ne le comptait, il arriva ce même soir à neuf heures, au moment où l'on venait de se mettre à table. En entendant sa voix, il fallut songer à cacher M. de Tissard, qu'il aurait trouvé fort mauvais de rencontrer chez lui, et que la disposition des appartements ne permettait pas de faire évader. L'un des convives le pousse promptement dans une grande boîte à pendule, que sa taille, quoique très-mince, remplissait entièrement, et on ferme la porte sur lui. Le mari entre, accueille fort bien la société, annonce qu'il a grand appetit, et qu'il prendra volontiers part au souper. Il demande quelle heure il est, et si la pendule va bien? « Oui, oui, dit la femme en frappant deux petits coups sur la boîte qui se trouvait auprès d'elle. M. de Tissard saisit le sens de cet aver tissement, et, d'une voix sourde et égale faisant tec... toc... tec... toc..., il imita le bruit du balancier pendant près d'une mortelle heure que l'ennuyeux époux resta à table, et ne fut délivré que lorsque la société se retira dans le salon.

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(*) M. de Tissard jouait au reversi dans une maison où il était fort lié, et à un prix très-modéré. La fortune lui avait été cons

tamment contraire. Le quinola lui

ayant été gorgé, ou forcé pour la vingtième fois, il se lève avec l'air du dépit, prie un des spectateurs de tenir un moment son jeu', et sort. Les dames s'inquiètent de ne pas le voir revenir on sonne; un laquais raconte qu'il est entré dans un cabinet d'aisance avec un marteau et un grand clou qu'on lui a donnés sur sa demande. Dans l'instant le bruit d'un coup de pistolet se fait entendre de ce côté. L'on court, et la porte ouverte, on voit le joueur le pistolet à la main, assis, la tête penchée sur sa poitrine. Un grand soupir annonce qu'il n'a pas encore perdu la vie; on veut le secourir: « Ah! laissez-moi, dit-il, << laissez marage s'assouvir; ne m'arrachez pas << au seul spectacle qui puisse la justifier, » en disant ces mots, il montre le quinola qu'il a cloué au mur. On frémissait d'horreur, et l'on ne pouvait se refuser à la pitié qu'inspirait un tel délire. « Je suis vengé, j'ai brûlé « la cervelle à quinola!» On regarde, on voit en effet la tête du valet de cœur emportée d'une balle qui s'était enfoncée dans le mur. M. de Tissard se relève brusquement, part d'un grand éclat de rire, qui fut partagé par les assistants; et à l'aide de sa gaîté et de

l'alkali volatil, rappela les esprits des dames qui avaient eu de la peine à se remettre de leur effroi. (*)

Le mariage de M. de Tissard fut une des aventures les plus extraordinaires, et sans contredit les plus heureuses de sa vie. Il devait faire un voyage qui l'obligeait de passer par Bourges. Le marquis de Rivière, son camarade et son ami intime, le pria de voir dans cette ville son procureur, et de s'informer dans quel état étaient des affaires d'intérêt fort importantes qu'il lui avait confiées, et dont il lui fit une notice détaillée. Le comte de Tissard remplit cette commission avec tout le zèle de l'amitié, et étonna le procureur par la facilité et la justesse avec lesquelles il s'exprima sur des objets contentieux qui paraissaient si éloignés de son état et de son caractère. Il conclut par le prier de faire terminer au plutôt une discussion dont son ami attendait avec impatience la décision. << Monsieur, lui dit l'honnête procureur, je

suis fâché de ne pouvoir vous promettre « toute la célérité que vous désirez; mais je << le serais encore plus de vous tromper. Tous << mes moments sont consacrés au moins pour << six semaines aux intérêts d'une charmante

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