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LE Comte de Talaru de Chalmazel, premier maître d'hôtel de la reine, décoré de l'ordre du Saint-Esprit, était un grand homme, bien sec, bien grave, parlant toujours dogmatiquement, et appuyant sur toutes ses paroles. Il se présente un soir chez le maréchal de Biron où se trouvaient quelques jeunes officiers aux Gardes, faisant leur cour à leur colonel. Après les compliments d'usage, il lui dit qu'il était venu pour le prier d'accorder un emploi dans son corps à un jeune homme son parent, ayant assez de fortune pour s'y soutenir, et qui était page de la reine. « M. le « comte, répondit le maréchal, dès qu'il a « l'honneur d'être votre parent, qu'il est page << de la reine, et qu'il a de la fortune, il est «bien fait....Bien fait, M., le maréchal! « interrompit, brusquement le comte; il est «fait à peindre, » On juge de l'éclat de rire des jeunes gens à ce quiproquo et de la peine qu'eut le maréchal à se contenir luimême.

Le même comte de Chalmazel est rencontré sur l'escalier de Versailles par quelques personnes de sa connaissance, qui lui demandent où il va : « A l'OEil-de-Boeuf, répond-il: <<< - Il n'y a personne, et nous pouvons vous

<<< l'assurer, car nous en sortons.

C'est égal;

<< j'entendrai toujours ce qu'on y dit. >>

LE marquis de Bagueville, officier général, si connu à Paris par la folle idée qu'il eut de se construire des ailes à ressort, avec lesquelles il prétendait traverser la Seine, et qui ne servirent qu'à lui faire casser la cuisse, par sa chute, sur un bateau de blanchisseuses, a donné depuis des marques d'aliénation bien évidentes. Il s'était persuadé qu'il serait possible de vivre sans manger. Mais avant de s'as→ sujettir lui-même à ce nouveau régime, il voulut en faire l'expérience sur ses chevaux. Il leur fit diminuer peu à peu le foin, la paille, l'avoine, et parvint à les laisser deux jours sans nourriture. Le troisième, on vint lui annoncer que les pauvres animaux étaient morts. « C'est dommage, dit-il; ils y étaient << presque accoutumés! »

Cette manie fut remplacée par celle de croire que les chevaux étaient susceptibles de civilisation. L'un des siens ayant donné un coup de pied à un palfrenier, le marquis de Bagueville instruisit son procès en règle, et le fit pendre à la porte de son écurie, où il or

donna qu'il resterait exposé pour l'exemple des autres. Peu de jours après, ce fut une puanteur insupportable dans l'hôtel, et la présidente de T***, qui y demeurait, lui porta ses plaintes. «<< Dites à madame la présidente, << répondit-il, qu'il y a douze ans qu'elle in<< fecte mon hôtel, et que je ne ferai ôter mon a cheval que lorsqu'il aura été décidé par ex<< perts qu'il pue autant qu'elle ». Il fallut recourir à l'autorité de la police pour faire enlever le cheval.

Il se promenait au Palais-Royal, au milieu de la foule, avec un habit de grosse bure, garni en boutons de diamants fins, et les filous, dont ces lieux publics abondent, n'imaginèrent jamais de le dépouiller, ce vêtement ne paraissant à leurs yeux que celui d'un campagnard ridicule qui croyait se parer avec des pierres fausses.

Dans les derniers temps de sa vie, ses manies se tournèrent en avarice, et sa grande fortune le mettait à même de satisfaire cette infame passion. Propriétaire d'un très bel hôtel, quai Mazarin, il se tenait constamment renfermé dans un petit appartement composé de trois chambres, où ses domestiques mêmes n'avaient pas la liberté d'entrer. Là, avec un

en

marteau, une truelle et du mortier, il s'occupait à faire des trous dans ses murs, à y fouir son or, et à le recouvrir proprement." Un soir, pendant qu'il était à l'Opéra, ayant dans sa poche les clefs de cet appartement secret, on vint l'avertir que le feu avait pris à son hôtel. Il attendit tranquillement la fin du spectacle, et se rendit ensuite chez lui; mais ce fut pour s'enfermer sous clefs et verroux à la garde de son trésor. Cependant le feu faisait des progrès effrayants, et le comte de Bagueville, fils aîné du marquis, se hâte d'y venir. Il apprend que son père est renfermé dans ses cabinets; il frappe inutilement, se décide à faire enfoncer les portes, et l'aperçoit vis-à-vis de lui, assis contre une table, un pistolet à la main, et menaçant de brûler la cervelle à quiconque fera un pas en avant. Mais en ce moment le plancher s'écroula au milieu des flammes, où le marquis de Bagueville fut englouti. L'hôtel fut entièrement consumé, et dans les démolitions on trouva une quantité prodigieuse d'or et d'argent, qu'il avait enterrée dans ses murs et sous ses parquets.

CHRISTINE, reine de Suède, étant en France, alla voir l'abbaye du Lys, entre Melun et Fontainebleau. En entrant, elle fut frappée de voir une énorme grille toute hérissée de pointes de fer. L'abbesse vint au parloir, suivie de toute la communauté, pour faire compliment à la reine, et la remercier de l'honneur insigne qu'elle faisait au couvent. « Permettez-moi une question, lui dit « la reine : n'avez-vous pas fait des vœux de <<< clôture? Oui, madame, répondit l'abEh! quelle folie, reprit Christine << en éclatant de rire: si vous avez fait des « vœux, pourquoi des grilles? et si vous avez << des grilles, pourquoi des vœux ? »

<<<< besse.

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Je n'ai parlé du marquis de l'Etorrière, le plus bel homme qui ait existé à Paris, que relativement à une petite escroquerie dont un de vanité le rendit victime. Mais la brillante réputation dont il a joui pendant plusieurs années dans la capitale, semble exiger quelques détails plus particuliers sur son compte.

Aux avantages de la naissance et de la fortune, à ceux de la figure d'Adonis sur la taille

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