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est-il parti, entraîné par les sbires, que M. let *lieutenant civil, se représentant le tableau touchant dont il avait été si vivement ému, se livre à toute l'impulsion de son cœur. Sans se donner le temps de faire mettre ses chevaux, malgré la neige qui tombe en abondance, il part à minuit, accompagné d'un seul valet de chambre, se rend à la prison fort éloignée de son hôtel, et annonce qu'il servira de caution. Son trouble ne lui permet pas de penser à consommer l'acte de cautionnement. Rentré chez lui, il s'en aperçoit; et ne voulant pas que la nuit se passe sans avoir délivré l'intéressant vieillard, il retourne en diligence, toujours à pied, et finit de remplir toutes les formalités nécessaires. Le marchand se jette à ses genoux, veut lui témoigner sa reconnaissance. «Eh! mon ami, lui dit M. Angrand« d'Alleray, ne vous occupez pas de moi; je << suis heureux de votre satisfaction: allez vite «< consoler votre malheureuse famille, qui est << dans les inquiétudes et les larmes ». (*)

Ce respectable magistrat a été depuis cruellement victime de la révolution, et le trait qui l'a conduit au supplice manifeste en même temps sa fermeté inébranlable et l'atrocité des monstres qui ont osé le condamner.

On l'arrête, on le traîne au tribunal sanguinaire: là, on lui montre une lettre qu'il écrivait à ses fils, et par laquelle il leur annonçait les secours pécuniaires qu'il leur envoyait. << Ne connais-tu pas, lui dit-on, la loi qui dé«fend de faire passer de l'argent aux émigrés? «J'en connais une, répondit-il, plus sacrée << et plus ancienne que les vôtres : c'est celle << de Dieu et de la nature, qui ordonné à un << père de nourrir ses enfants ». A ce mot, la fureur éclata sur tous les visages, et le digne vieillard fut conduit à l'échafaud.

M. DE LA MOTTE D'ORLEANS, évêque d'Amiens, joignait à l'austérité des mœurs de son état, la plus aimable gaîté. Faisant la visite de son diocèse, et n'ayant qu'un seul domestique peu au fait de quelques parties de son service, il fit appeler un frater de village pour le raser. La barbe faite, il lui donna son salaire; mais apercevant en ce moment que le maladroit l'a coupé : « Mon ami, lui dit-il, en <«<lui donnant encore de l'argent, je ne vous «ai payé que pour la barbe, voilà pour la sai«gnée. - Ah! monseigneur, répondit le bar« bier tout honteux et balbutiant..... c'est

<< que.... j'ai trouvé un bouton.-J'entends, << réplique le prélat, et vous avez voulu lui << faire une boutonnière ».

UNE personne, tracassée par la pituite, consultait là-dessus son médecin, disciple enthousiaste d'Hippocrate, et ne voyant dans toute maladie qu'un moyen d'illustrer son art. Le malade lui détaillait ainsi son infirmité: C'est, monsieur, une fonte très-considérable, une eau âcre. - Bon! disait le médecin. ➡ Claire comme si on la passait à l'alambic...A merveille! - Mordante presque comme de l'eau forte.«<< Ah! que vous me faites plai<< sir; c'est précisément la pituite vitrée des << anciens que nous avions perdue, pituita << vitrea et rupea, suivant nos meilleurs au

<<<teurs >>.

M. DE BONNAC, évêque d'Agen, étant allé à la campagne chez un de ses amis, son postillon se laissa tomber du haut d'un grenier à foin sur le pavé. Tout le monde courait au secours du malheureux qui était tout fracassé. << Allez chercher un chirurgien! criait-on.—

«Eh non, dit naïvement l'évêque dans le plus « grand effroi, cet homme se meurt; vite un < prêtre, amenez un prêtre. - Et vous, mon « seigneur, ne l'êtes-vous pas, répondit quel«qu'un qui était plus de sang-froid? — Ah! « c'est vrai, je n'y pensais pas», répliqua le prélat, à qui l'excès du trouble avait fait oublier son caractère.

Il n'est, je crois, aucune famille dont les titres de noblesse aient eu un motif aussi intéressant pour le coeur des bons Français, que celle de MM. Leclerc de Lesseville.

En 1590, au moment où Henri IV se disposait à donner la célèbre bataille d'Ivry en Normandie, les cinq bataillons Suisses, qui formaient la partie la plus considérable de ses troupes, menacèrent de passer dans l'armée ennemie, si on ne leur payait tout de suite les arrérages qui leur étaient dus. Le roi, qui n'avait point d'argent, était dans la plus grande perplexité, lorsque Sully lui dit qu'il existait, à peu de distance de là, une brave femme, veuve d'un tanneur, fort riche, chez laquelle il avait logé, et qu'il croyait connaître assez pour ne pas douter qu'elle ne fût prête à sacri

fier, pour sa cause, toute sa fortune, qui était en argent comptant. - «Eh bien, allons-y << ensemble, répondit Henri IV, mais je ne « veux pas être connu; ne me nommez pas >>. Ils partent avec peu de suite, laissent leurs gens à l'écart, et entrent tous deux chez la veuve Leclerc, qui, en les voyant, court à Sully, et lui demande, avec le plus vif empressement, des nouvelles de son bon roi.

« Hélas! lui dit-il, ce bon roi est bien mal<< heureux. Obligé de livrer une bataille d'où « dépend le sort de sa couronne, il sera in<< failliblement vaincu, parce qu'il n'a pas << d'argent, et que les Suisses, qui sont sa «principale force, déclarent qu'ils tourneront << leurs armes contre lui, s'il ne leur paie ce << qu'il leur doit. - Et combien leur doit-il? << -Une somme très-considérable, deux cent « mille francs. Quoi! n'est-ce que cela? « Ah! que je suis heureuse!- Elle ouvre pré<< cipitamment une armoire; et jetant avec << vivacité des sacs d'or et d'argent par terre: <«<les voilà les deux cent mille francs; c'est <<< toute ma fortune; mais c'est le meilleur em<< ploi que j'en puisse faire. Portez cela à notre << bon roi, et dites-lui que la pauvre veuve a <<< encore eu un moment de bonheur en sa

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