Page images
PDF
EPUB

qui lui plaisent, et de l'autre des signes de croix; les bras en crucifix au pied d'une figure

de la Vierge ou au cou d'albâtre de sa maîtresse; recevant des bienfaits sans nombre de sa souveraine, et les distribuant tout de suite; acceptant des terres de l'impératrice, les lui rendant, ou payant ce qu'elle doit sans le lui dire; vendant et rachetant d'immenses domaines pour y faire une grande colonnade et un jardin anglais, et s'en défaisant ensuite ; jouant toujours ou ne jouant jamais; aimant mieux donner que de payer ses dettes; prodigieusement riche sans avoir le sou; se livrant à la méfiance ou à la bonhomie, à la jalousie ou à la reconnaissance, à l'humeur ou à la plaisanterie ; prévenu aisément pour ou contre, et revenant de même; parlant théologie à ses généraux, et guerre à ses archevêques; ne lisant jamais, mais sondant tous ceux à qui il parle, et les contredisant pour en savoir davantage; faisant la mine la plus sauvage ou la plus agréable; affectant les manières les plus repoussantes ou les plus attirantes; ayant enfin tour-à-tour l'air du plusfier satrape de l'Orient ou du courtisan le plus aimable de Louis XIV; sous une apparence de dureté, très-doux, en

vérité, dans le fond de son cœur; fantasque pour ses heures, ses repas, son repos et ses goûts; voulant tout avoir comme un enfant, se passant de tout comme un grand homme; sobre avec l'air gourmand; rongeant ses ongles, des pommes ou des navets; grondant ou riant, contrefaisant ou jurant; polissonnant ou priant, chantant ou méditant; appelant, renvoyant, rappelant vingt aides de camp, sans leur rien dire; supportant le chaud mieux que personne, et ayant l'air de ne songer qu'aux bains les plus recherchés ; se moquant du froid, et ayant l'air de ne pouvoir se passer de fourrure; toujours en caleçon, en chemise, ou en uniforme brodé sur toutes les tailles; pieds nus ou en pantouffles à pailJons brodés, sans bonnet ni chapeau : c'est ainsi que je l'ai vu une fois aux coups de fusil; tantôt en mauvaise robe de chambre, ou avec une tunique superbe, avec ses trois plaques, ses rubans et ses diamants, gros comme le pouce, autour du portrait de l'impératrice: ces diamants semblent placés là pour attirer les boulets; courbé, pelotonné quand il est chez lui, et grand, le nez en l'air, fier, beau, noble, majestueux ou séduisant quand il se

1

montre à son armée, tel qu'Agamemnon au milieu des rois de la Grèce.

par

Au milieu d'un dîner où se trouvaient plusieurs personnes de distinction, on vint à ler d'un homme qui mangeait extraordinairement, et on citait des exemples étonnants de sa voracité. « Il n'y a rien de surprenant dans « tout cela, dit un officier du régiment aux « Gardes, qui se trouvait présent, et j'ai dans « ma compagnie un soldat qui, sans se gêner, & mange un veau tout entier. » Chacun se récria, et l'officier proposa un pari considérable, qui fut accepté par tous ceux qui se trouvaient présents. Au jour indiqué, les parieurs se rendent chez un traiteur; et l'officier, afin de tenir en haleine l'appétit de son mangeur, avait fait apprêter à différentes sauces les différentes parties du veau. Le soldat se met à table; les plats se succèdent et sont engloutis avec une rapidité incroyable. Chacun admire, et ceux qui avaient parié contre l'officier commencent à trembler; le soldat avait déjà dévoré à peu près les trois quarts du veau, lorsque se tournant vers son capitaine: « Ah! çà, mon capitaine, il me semble

« qu'il serait temps de faire servir le veau, <<< autrement, je ne réponds pas de vous faire << gagner votre pari. » Il avait cru que tout ce qu'on lui avait servi jusqu'alors n'était que pour réveiller son appétit, et que pour peloter en attendant partie. On se doute bien que les parieurs ne firent point de difficulté de s'avouer vaincus, et de payer un-pari qui avait été si bien gagné.

On demandait à ce même soldat combien il croyait pouvoir manger de dindons. « Une « vingtaine. Et de pigeons? - Quarante «ou cinquante.-Combien donc mangerais<«<tu d'allouettes? lui demanda son capitaine. <«<< -Toujours, mon capitaine, toujours.

L'HISTOIRE et la fable même, ne nous présentent pas de modèles d'une liaison aussi intéressante que celle que tout Paris a vue, avec admiration, exister entre deux frères, MM. de la Curne.

Nés jumeaux, en 1697, ils se ressemblaient tellement, qu'il était impossible à ceux qui les voyaient séparément de les distinguer l'un de l'autre. Leur son de voix, leur taille, leur démarche, leurs habitudes particulières étaient

les mêmes; leurs caractères étaient également assortis, et l'on n'apercevait qu'une très-légère différence dans leur genre d'esprit, et dans l'étendue de leur instruction, qui portait sur les mêmes objets. L'un, connu sous le nom de Sainte-Palaye, s'est rendu célèbre dans la littérature par l'Histoire des Troubadours, par les recherches les plus précieuses sur l'ancienne chevalerie, et a été reçu, à ces titres, membre de l'Académie française. L'autre, M. de la Curne, secondait son frère dans ses travaux littéraires, et lui épargnait l'embarras des soins domestiques, en se chargeant de toutes les affaires et de tous les détails de l'intérieur.

Ayant perdu leurs parents de bonne heure, ils mirent en commun leur fortune, et vécurent toujours ensemble dans les mêmes sociétés, avec les mêmes amis, sans qu'aucun nuage ait jamais troublé cette tendre union.

Cependant M. de Sainte-Palaye eut envie de se marier. Il fit sa cour à une jeune personne à laquelle il n'était pas indifférent, et qui paraissait lui convenir sous tous les rapports. En conséquence, les arrangements préliminaires furent bientôt terminés, et il était à la veille de serrer un lien désiré de part et d'au

« PreviousContinue »