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de tous les assistants, que la réponse qui avait jeté une si chaude alarme dans le commerce, n'était qu'un rêve.

Sous la lieutenance de police de M. de Sartines, il parut un petit ouvrage aussi immoral qu'irréligieux, intitulé, l'Abbé coquet, que l'on vendait sous le manteau, et avec les plus grandes précautions. Il était du devoir du ma gistrat de se le procurer, pour pouvoir le dénoncer avec connaissance de cause aux autorités supérieures. Il dit à un inspecteur de police: «Ne négligez rien pour trouver l'Ab« bé coquet, et que je l'aie ce soir ici. » L'inspecteur, n'imaginant pas qu'il fût question d'une nouveauté littéraire, ne douta pas qu'il ne s'agît d'un individu qui portait ce nom-là, et se mit à le chercher dans tout Paris. Par un hasard assez extraordinaire, un bon ecclésiastique, qui se nommait ainsi, et qui était prêtre habitué d'une paroisse de Lyon, s'était mis dans la diligence de cette ville pour se rendre à Paris, où il avait quelques affaires et sonnom se trouva inscrit sur la feuille dont le double arrivait toujours quelques heures avant la voiture. L'inspecteur, après avoir fait plusieurs recherches inutiles, eut l'idée de se transporter au bureau des diligences, pour

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y voir les noms des partants et des arrivants, Ꭹ et fut enchanté de sa découverte, quand il vit celui de l'homme qu'il se croyait chargé de trouver. Il eut grand soin de ne pas s'éloigner jusqu'à l'arrivée de la voiture publique, et saisit le pauvre ecclésiastique au moment où il en descendait. « Monsieur, vous êtes l'abbé « Coquet: j'ai ordre de vous arrêter et de « vous conduire chez monseigneur le lieute<< nant-général de police; point de résistance.» Hélas! le malheureux abbé, attéré d'une réception si inattendue dans la capitale, où il ne croyait pas même être connu, était bien éloigné de s'opposer à la force. On recommande son paquet au bureau; on le fait monter dans. un fiacre, et mener à l'hôtel de la police, où, tandis qu'il est gardé à vue, l'inspecteur, bien fier d'avoir si heureusement rempli sa commission, va en rendre compte au lieutenant de police. «Monsieur, lui dit-il tout bas, << je tiens l'abbé Coquet.-C'est bon, répond « le magistrat, qui était en ce moment dans << son salon avec quelques personnes ; fermez, «<le dans mon cabinet, en voilà la clef, et « rapportez-la moi. » L'ordre fut exécuté ponctuellement, et M. de Sartines ayant reçu sa clef, monte dans sa voiture et sort.

Cependant le pauvre abbé, après une mortelle heure de retraite, commence à sentir également l'impatience de la faim et de la liberté. Il frappe à coups redoublés à la porte. Madame de Sartines, avertie de ce bruit, accourt, interroge à travers la porte le prisonnier, qui dit ne savoir pourquoi il est ainsi renfermé, et demande surtout qu'on lui donne amanger, n'ayant pris aucune nourriture depuis la veille. Madame de Sartines lui annonce avec regret l'impossibilité où elle est de lui donner aucun secours jusqu'à l'arrivée de son mari, qui ne tardera pas à rentrer. M. de Sartines revient en effet peu après. Il est fort étonné d'apprendre que quelqu'un est renfermé dans son cabinet : il y court, ouvre, demande au prisonnier qui il est, et la réponse l'éclaire aussitôt sur la méprise de son inspecteur, dont il ne peut s'empêcher de rire aux larmes, et dont il fait toutes les excuse> pos sibles à celui qui en avait été victime. Il l'engage à souper, s'informe des affaires qui l'attiraient à Paris; et lui promet de le servir avec le plus grand zèle. La protection d'un magistrat aussi distingué, et la publicité même de l'aventure plaisante qui y avait donné lieu,

pouvaient sans doute coopérer à la fortune de l'homme qui aurait su en profiter; mais malheureusement la simplicité de l'abbé Coquet n'offrait aucune ressource à l'obligeance la plus ardente. On peut juger de sa bonhomie par le trait suivant.

J'ai dit qu'il était prêtre habitué dans une paroisse de Lyon. En cette qualité, il avait été chargé de prêcher l'Avent. Le curé vient lui demander s'il est prêt, s'il peut compter sur lui?« Oh! oui, répondit-il, mes sermons sont « faits : il ne me manque que la conception et << le jugement>>.

On sait qu'à cette époque il est de règle de faire un sermon pour la fête de la Conception, et un autre sur le Jugement dernier, indépendamment de ceux des dimanches.

De la lieutenance générale de police de Paris, M. de Sartines passa au ministère de la marine, où, secondé par les grands talents de M. le chevalier de Fleurieu, dont il avait su apprécier le mérite, il se conduisit, dans les conjonctures les plus embarrassantes, avec toute la prudence et le zèle qui avaient caractérisé ses précédentes administrations. Il y fut remplacé par M. le duc de Castries, qui

se fit honneur de suivre les excellents principes sur lesquels ce département se trouvait dirigé.

Au moment où la révolution sembla menacer les jours de tous ceux qui avaient été honorés de l'estime publique dans les grandes fonctions administratives, M. de Sartines dut croire sa vie en danger: cependant se confiant au calme d'une conscience irréprochable, il ne voulait point quitter sa patrie; mais il céda enfin aux instances de ses amis, et se réfugia en Espagne, bien sûr d'y trouver des ressources que ce gouvernement ne pouvait refuser aux services que sa famille avait rendus à ce pays.Quelques années après il y termina sa carrière, regretté de tous ceux qui se font gloire de rendre justice à la réunion des talents et de toutes les vertus solides et aimables qui en augmentent l'éclat.

ON a de la peine à concevoir comment M. Lenoir, avec l'ame la plus sensible, l'esprit le plus doux et le moins porté à croire au mal, a pu exercer aussi dignement les fonctions les plus sévères de la magistrature, celles de lieutenant criminel au Châtelet, et de lieutenant

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