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heures du matin, comptant bien faire ce pefit voyage en moins de quatre heures. Aussitôt M. de Marville dépêche des courriers dans tous les bourgs et villages sur la route, pour avertir que S. A. S. monseigneur le prince de Conti devait y passer le lendemain, et donner ordre de le haranguer et de lui rendre tous les honneurs dus à son rang, ce qui fut exécuté très-ponctuellement. En effet, au premier bourg que le prince s'attend à traverser rapidement, sa voiture est arrêtée par les consuls et officiers municipaux en grand costume, et il est forcé d'écouter patiemment la plus plate harangue, à laquelle on imagine bien qu'il répondit fort brièvement. Il comptait en être quitte; mais même cérémonie au second, au troisième village, et ainsi d'endroit en endroit jusqu'à son arrivée, qui ne fut qu'à plus de sept heures du soir. Le prince ne put douter que ce ne fût une vengeance de M. de Marville, mais il contribua lui-même à la rendre complète, par l'exactitude qu'il mettait à conserver l'étiquette et la dignité de son rang dès qu'il était en public.

M. de Marville se plaisait à raconter la lettre qu'il avait reçue d'un lieutenant de police d'une petite ville, qui lui écrivait de bonne

foi, pendant qu'il était lieutenant-général de police à Paris.

« Monsieur et cher confrère,

<< Hier, à mon audience, un particulier << insolent m'a traité de fripon; je n'ai pas « voulu faire de bruit; mais je me suis réservé ❝ de vous demander comment vous en usez << en pareil cas. Veuillez m'en instruire; vous « obligerez celui qui a l'honneur d'être, << Monsieur et cher confrère, etc. »

ON doit à M. de Sartines, l'un des successeurs de M. de Marville, cette excellente organisation de la police de Paris, qui, en prévenant les crimes dans une population aussi nombreuse, faisait régner la plus grande sûreté au sein de la capitale.

Tout le monde sait que M. de Sartines ayant reçu une lettre du ministre de l'empereur, qui le priait avec instance de faire arrêter à Paris un fameux voleur qu'on croyait s'y être réfugié, et dont le gouvernement autrichien avait le plus grand intérêt à s'assurer, il répondit peu de jours après, que l'homme qu'on cherchait n'était point à Paris, mais à

Vienne même, logé dans une maison d'un des faubourgs, dont il désigna le numéro, indiquant en même temps les heures auxquelles il avait coutume de sortir, et les déguisements, sous lesquels il se cachait. Tous ces renseignements se trouvèrent exactement vrais; et c'est d'après cela que le coupable fut ar

rêté.

M. Pupil de Myons, premier président d'une cour supérieure à Lyon, fort lié avec M. de Sartines, prétendait, devant lui, que la clairvoyance de la police ne pouvait atteindre. que les gens suspects, et que n'étant point dans ce cas-là, il pourrait venir à Paris, y séjourner plusieurs jours, sans qu'on en fût informé. Le lieutenant général de la police şoutint le contraire, et offrit même à cet égard une gageure qui fut acceptée. Quelques mois après, M. de Myons, qui était retourné dans sa patrie, en partit précipitamment, courut jour et nuit, arriva à Paris à onze heures du matin, et alla loger dans un quartier fort éloigné de celui qu'il habitait ordinairement. A midi précis il reçut un billet de la part du lieutenant-général de police, qui l'engageait à venir dîner ce jour-là chez lui. Il s'y rendit et convint qu'il avait perdu la gageure.

M. de Sartines, obligé de se lever de grand matin pour remplir avec exactitude les devoirs de sa place, se laissait souvent même aller involontairement les soirs, au milieu d'une société nombreuse, à un sommeil de quelques minutes, qui, pour ceux qui ne le connaissaient pas particulièrement, n'avait l'air que du silence de la réflexion. Un maître des requêtes qui se trouvait chez lui, et ne se doutait nullement de cette habitude, s'intéressant vivement à un homme auquel il voulait procurer l'agrément d'une place d'agent de change, et voyant le lieutenant de police ne prendre aucune part à la conversation générale, crut l'occasion favorable pour invoquer ses bontés en faveur de son protégé. Il s'approche, parle avec zèle de l'homme qu'il désire faire employer, fait l'énumération de ses talents et des droits qu'il a à cette place. M. de Sartines, qui dans ce moment était plongé dans le plus profond sommeil, et dans un rêve fort étranger à ce qu'on lui disait, prononça assez hautement : « C'est inutile, nous «< allons les mettre en boutique. » Le maître des requêtes se retire très-confus, et va aussitôt raconter cette nouvelle dans les mêmes

termes à son protégé, qui ne manque pas d'aller avertir sur-le-champ les agents de change de sa connaissance, du sort qui les menace. Ceux-ci se rassemblent en hâte, consternés d'un événement si imprévu. Ils délibèrent de présenter dès le lendemain, au ministre de Paris, une requête appuyée de la signature des meilleurs négociants, des plus forts banquiers de la capitale, par laquelle ils remontrent qu'ils ne pourraient pas supporter un tel avilissement de leur état, et annoncent leur démission dans le cas où l'on persisterait. Des députés du corps se rendent à Versailles, et soumettent respectueusement le vœu général de leurs confrères au ministre, qui, fortétonné du plan ridicule qu'on lui suppose, veut tirer au clair l'origine d'une pareille sottise. Le maître des requêtes, nommé comme auteur de la nouvelle, est mandé; il cite M. de Sartines, qui, appelé à son tour, a beaucoup de peine à comprendre ce dont il s'agit, et finit par se rappeler qu'il dormait profondément à l'heure qu'on lui indique pour avoir été celle de la sollicitation dont il n'avait pas entendu un mot. Enfin, il est démontré, à la grande satisfaction des agents de change, et au rire

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