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trôleur général des finances, je ne dois point omettre le respectable magistrat du même nom, dont il était le neveu, et dont il fut l'élève. C'est dans cette école, que le ministre que je viens de citer, eût puisé l'habitude de toutes les vertus, si, sous dix règnes consécutifs, elles n'eussent été héréditaires dans cette famille, et également utiles à l'état, dans les armées et dans les conseils.

M. Lefebvre d'Ormesson, dont la mémoire sera toujours en vénération dans le sanctuaire des lois, était lui-même élève et neveu du célèbre chancelier d'Aguesseau. Il commença, ainsi que son oncle, sa carrière dans la magistrature, à l'âge de vingt ans, par la place d'avocat du roi au Châtelet, qu'il exerça trois ans. Il passa de là aux fonctions de premier avocat général au parlement, où il se distingua pendant quinze ans, et fut reçu président à mortier, en 1755, après avoir rempli pendant dix-huit ans, avec le plus grand succès, les fonctions d'orateur de la cause publique.

La connaissance la plus approfondie de la liaison intime des lois civiles avec les lois de l'Etat, l'habitude et la facilité du travail, la véritable éloquence, celle qui joint aux grâces

et à la pureté du style l'art de communiquer à ses auditeurs sa propre conviction, enfin, une modestie et une simplicité bien rares avec d'aussi grands talents, et dans une place aussi éminente, tels furent constamment ses titres à la vénération publique; mais il la mérita surtout par son désintéressement absolu, par une probité incorruptible, par une fermeté dans l'exercice de ses devoirs, dont aucun motif d'ambition ou de faveur ne put jamais altérer les principes.

Louis XV lui avait écrit de sa main en faveur d'un de ses courtisans engagé dans un procès au Parlement : une prompte audience fut tout ce que valut cette auguste recommandation; la cause plaidée et jugée fut perdue pour le courtisan. M. d'Ormesson, peu de jours après est conduit à la cour par le devoir de sa place. « Vous avez donc, lui dit le roi, « fait perdre la cause à mon protégé ? — Oui, « Sire, répondit le président; elle n'était << soutenable sur aucun point.-Je m'en étais << douté, reprit le monarque; si elle eût été << bonne, on ne se serait pas adressé à moi. << Vous n'avez pas répondu à ma sollicita<< tion, et je vous en estime davantage; vous < avez répondu à mon attente ».

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Dans une des séances auxquelles il présidait dans les assemblées du Parlement, un magistrat trop connu par les maximes d'indépendance qu'il professa long-temps, dont il a montré ensuite le plus grand repentir, et qu'il a expiées bien cruellement, ayant, dans l'enthousiasme de son discours, prononcé : « Non, messieurs, l'autorité ne pourra jamais <<< étendre ses droits sur nos sentiments; nous « nous montrerons toujours bons citoyens « et véritables patriotes ». M. d'Ormesson l'interrompit sévèrement : « Monsieur, sous « ces voûtes sacrées, on ne dut jamais con<«< naître d'autres titres que celui de sujets << fidèles ». Chacun crut entendre la voix de Mathieu Molé, s'élevant du fond des tombeaux, pour représenter aux Français leur premier devoir; et l'orateur lui-même n'osa troubler le silence solennel que ces paroles produisirent.

M. d'Ormesson, accueillant avec bonté et dignité tous ceux qui venaient réclamer sa justice, accessible pour eux à toutes les heures du jour, ne confiant jamais à des mains mercenaires l'examen des affaires commises à ses soins, connaissait parfaitement tous les abus qui se passaient à cet égard dans le Par

lement: il en gémissait avec ses amis, et ne cessait d'en solliciter la destruction. Mais il n'avait pas encore l'autorité nécessaire pour l'ordonner; et à peine en fut-il investi, en qualité de premier président, que la maladie grave qui le conduisit au tombeau, ne lui permit pas d'établir les réglements de police qu'il regardait comme la loi de l'honneur pour

son corps.

pour

C'est à cette même époque que les principaux membres du Parlement, rassemblés autour de son lit, et s'occupant de la nécessité de profiter de l'assemblée des Etats-Généraux qui allaient s'ouvrir, pour soutenir, et peutêtre étendre leurs priviléges, sans s'occuper assez des droits du trône, M. d'Ormesson proféra ce beau mot si digne de son cœur, et dicté par sa prévoyance: « Ah! messieurs, << tout pour le roi, et rien pour nous : nous <«<existons par le monarque, et nous ne de«vons exister que pour lui ». Ce furent, pour ainsi dire, ses dernières paroles; et son dernier désir était que tous les Français eussent ce sentiment gravé dans leurs coeurs.

M. d'Ormesson de Noiseau, son fils, président à mortier au Parlement de Paris, a été victime de cette même manière de penser, et

n'a pu échapper à la proscription portée contre les signataires de la protestation des magistrats.

Le comte de Merle, homme très-ordinaire en société, devait être plus que médiocre dans l'art diplomatique; cependant il fut nommé ambassadeur en Portugal, et on lui adjoignit, en qualité de secrétaire de légation, l'abbé Nardy, homme d'esprit, avec lequel il partit pour sa destination. Averti qu'à sa première audience il devait adresser au roi un compliment, il pria l'abbé de le composer, et surtout de le faire bien court, sa mémoire étant trèsmauvaise, et n'ayant pas été exercée depuis. long-temps. Deux ou trois phrases adulatrices furent bientôt mises sur le papier, et l'abbé reconnut que le malheureux comte n'avait pas même parlé modestement de sa mémoire: dans tout le trajet de Paris à Lisbonne, il ne put se mettre dans la tête un seul mot de ce petit discours. Enfin, il imagina de l'attacher dans son chapeau, écrit en gros caractères, et de manière à pouvoir le lire aisément. Fier d'une idée aussi lumineuse, il se présenta hardiment à l'audience. Mais l'étiquette de la

car,

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