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qui lui semblait avec raison être au-dessous de sa dignité; mais il céda aux instances de son ministre, qui lui représenta que c'était le seul moyen de déjouer tous les complots, et de faire réussir un plan qui devait assurer le bonheur de ses sujets. Ce dernier motif ne pouvait manquer de déterminer Louis XVI. Il permit que M. de Montmorin, honoré de toute sa confiance, fût mis dans le secret, et l'autorisa à agir en son nom, selon les vues du contrôleur-général. Celui-ci se fit d'abord exiler à la Croix-de-Berny, à deux petites lieues de Versailles, et de là établit une correspondance très-active avec son Souverain. Mais les courses fréquentes des émissaires dont on suivit la marche, firent bientôt soupçonner la vérité; et le ministre, accablé de toutes les visites des courtisans qu'il avait à Paris et à Versailles, pouvait moins que jamais suffire à son travail. Il se fit défendre, par lettre de cachet, de recevoir d'autres personnes que ses parents; et comme il ne voulait cependant pas se sevrer entièrement des plaisirs, il fut aisé d'éluder un ordre dont il disposait; mais la nécessité de suivre avec plus d'application des opérations aussi importantes, le décida à souhaiter un éloignement

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réel. Il demanda une lettre de cachet qui l'exilât dans une très belle terre qu'il possédait en Lorraine; et préparé d'avance à ce voyage, il partit au moment même où il en reçut l'ordre. Les courtisans, déconcertés par ce voyage inattendu, et ne pouvant juger des vrais sentiments du roi, qui observait à cet égard le plus grand silence, ne savaient plus que penser. Les uns, et c'était le plus grand nombre, regardaient cette disgrâce conime absolue: d'autres, plus clairvoyants, s'appuyant sur la ténacité du roi aux plans de M. de Calonne, sur différentes courses que l'abbé de Calonne, frère du ministre, faisait à cheval et en poste, de la Lorraine à Versailles, comme intermédiaire de la correspondance, penchaient à la croire feinte, ainsi qu'elle l'était. Mais des circonstances imprévues la rendirent bientôt réelle.

Le roi voyait depuis long-temps avec indignation les manoeuvres que l'agiotage employait pour dilapider la fortune publique. Il avait expressément défendu au contrôleur général d'y coopérer en aucune manière, au nom du gouvernement, et surtout de les soutenir avec les fonds du trésor royal. Cependant M. de Calonne, essentiellement occupé

de sa négociation avecla Hollande, convaincu que l'opinion publique sur le grand crédit de la France était un des meilleurs moyens d'en assurer le succès, ne négligeait rien, quoiqu'en secret, pour maintenir les effets publics dans un état de hausse constante. Une crise momentanée, qui pouvait les faire décheoir tout à coup, s'ils n'étaient soutenus par un prompt secours, l'avait déterminé à contrevenir aux ordres du souverain, en avançant aux sieurs d'Espagnac, Baroud, etc., une somme de trois millions, que ces chefs de l'agiotage remplacèrent dans le trésor royal en effet solides et à courtes échéances sur les plus forts banquiers; ce qui, abstraction faite du motif de l'emploi et de la contravention formelle de M. de Calonne, était un avantage réel, puisque les fonds, au lieu de dormir inutilement dans les coffres, rapportaient ainsi un intérêt assuré. Mais la crainte de voir désapprouver une opération que les circonstances paraissaient rendre aussi nécessaire que pressante, avait empêché le ministre d'en parler au roi.

Tel était l'état des choses lorsque M. de Calonne passa en Lorraine. Cependant M. de Fourqueux, qui n'avait accepté qu'avec ré

pugnance une place que sa modestie, trèsfondée, lui faisait regarder comme bien audessus de ses forces, voulait au moins la remplir avec l'exactitude la plus scrupuleuse. Ayant reçu du roi un état des fonds déposés en numéraire au trésor royal, il en demanda également un au caissier général; et, se hâtant de les comparer ensemble, il fut effrayé au dernier point, de trouver dans le second une différence de trois millions en moins; et sans, se donner le temps d'entrer avec le caissier dans une explication qui l'aurait parfaitement rassuré, il courut chez Sa Majesté lui faire part de son effroi. Le roi, fort étonné, voulut savoir tout de suite la causé d'une différence aussi considérable entre l'état que lui avait donné son ministre, et celui que présentait le caissier. Il fit venir ce dernier qui expliqua bien naturellement ce léger imbroglio, et démontra que les trois millions du déficit se trouvaient compensés, et au-delà, par les effets qui y avaient été substitués. Mais le roi, irrité d'une contravention si formelle à ses ordres, ne douta plus de la vérité des imputations qu'on renouvelait sans cesse contre son ministre depuis son absence, et envoya aussitôt un courier en Lorraine lui demander la res

titution de la décoration de l'ordre du SaintEsprit, et lui porter la défense de reparaître à la Cour.

M. de Calonne dès ce moment sortit de

France, passa en Hollande, sous le nom du chevalier Palamède, de là en Angleterre, et n'a cessé, jusqu'à la fin de sa carrière, de se montrer zélé partisan du roi et de ses véritables intérêts.

Sa retraite fut pour lui le livre de la postérité. Les haines se turent, parce qu'elles n'étaient plus alimentées par la jalousie et les cabales. On rendit presque généralement jus→ tice à ses grands talents, quoiqu'on ne pût s'empêcher de convenir des défauts qui les obscurcissaient; et la calomnie, qui l'avait si souvent accusé de s'enrichir aux dépens de l'Etat, fut réduite au silence, quand on le vit sortir du ministère moins riche qu'il n'y était entré, et madame d'Harvelay l'épouser pour avoir le droit de liquider ses dettes qui auraient absorbé sa fortune.

J'AI dit que le marquis de Vérac, ambassadeur de France en Hollande, avait été chargé de la partie diplomatique relative à l'arrange

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