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rait de son impudence seule tous ses moyens de séduction. Cependant il avait acquis quel ques talents en chimie, et composait un élixir propre à certains maux, contraire à beaucoup d'autres, et qu'au hasard il appliquait à tous. Ayant eu le bonheur de tirer d'une maladie dangereuse la femme d'un riche banquier de Suisse, le mari crut devoir lui marquer sa re connaissance en lui donnant des lettres de crédit sur toutes les places commerçantes de la France, ce qui le mit à même d'afficher un désintéressement absolu, qui ne contribua pas peu à sa réputation. Ayant soin de s'envi ronner plus particulièrement de gens riches, et surtout de ceux dont la tête était plus facile à exalter, il parvint à leur persuader qu'il possédait le secret de la pierre philosophale, celui du remède universel, et qu'il avait l'art d'amalgamer beaucoup de petits diamants de manière à en former de gros. On imagine bien que les frais de ces prétendues opérations étaient puisés dans la bourse de ses adeptes, qu'il liait par les serments les plus solennels, et qu'il avait eu soin de réunir en loge de nouvelle franc-maçonnerie, dont il était le chef, et dont, en cette qualité, il recueillait les fonds et les produits. Cette charlatanerie,

qui lui fournissait les plus grandes ressources, lui aidait encore à ménager le crédit de M. Sarasin, dont l'abus aurait bientôt découvert ses fraudes.

Impliqué dans la malheureuse et trop célè bre affaire du collier, dont il paraît qu'il n'ignorait pas le projet, mais dont on ne put prouver qu'il fût réellement complice, il crut pouvoir se jouer des magistrats et du public avec autant de facilité que de quelques parti culiers, et fit paraître plusieurs mémoires, qu'on lut avec avidité comme romans invraisemblables, et qui ne servirent qu'à lui donner un ridicule de plus dans l'opinion des gens raisonnables. A la suite de ce procès, il fut chassé de France par ordre du gouvernement. A son départ, ses sectaires, au nombre de plus de cinquante, allèrent l'attendre à St.Denis, à deux lieues de la capitale, et lui firent préparer un superbe dîner. Sur la fin du repas, au moment où les têtes commençaient à être échauffées, Cagliostro pérora l'assemblée, et annonçant que la précipitation forcée de son départ ne lui permettant pas d'empor ter ses fourneaux et ses matériaux, il allait se trouver fort embarrassé en Angleterre, il invita d'un ton impératif ces messieurs à se co

tiser tout de suite pour lui fournir une somme proportionnée à ses besoins et à son rang. A l'instant, tous se piquèrent d'un beau zèle, et on lui compta cinq cents louis, qu'il reçut avec les signes et l'expression d'une reconnaissance protectrice, Cependant il sortit de la salle sous quelque prétexte, appela l'aubergiste, et lui proposa le paiement du repas. Celui-ci refusait d'accepter, disant que ces mes sieurs qui le lui avaient commandé y satisferaient. «Qu'est-ce que c'est, s'écria l'impu<<< dent charlatan; ne savez-vous pas que par<<< tout où est le comte de Cagliostro, il n'y a << que lui qui paie?» Il le prit sur un ton si haut que l'aubergiste déconcerté ne put plus refuser de présenter son compte, qu'il solda tout de suite sur l'argent qu'il venait de recevoir. Ce trait, qui fut su le moment d'après, ne servit pas peu à éclairer plusieurs de ses partisans qui commencèrent à croire que de puis long-temps ils étaient dupes des forfante ries de cet homme.

Cagliostro passa à Londres, où il exerça pendant quelques mois ses talents sur la crédulité publique : mais ne trouvant pas dans ce pays-là les mêmes ressources pour son charlatanisme, il partit tout à coup pour

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talie, emportant, avec son argent, les d'a mants d'une femme nommée Séraphina, qu'il disait être la sienne, qu'il avait toujours menée avec lui, et qu'il eut bien soin de ne pas avertir de son départ, ne lui laissant d'autres moyens de subsistance que le peu de mobilier qu'il ne put enlever. Celle-ci, furieuse, se hâta de vendre tout ce qui lui restait,rle poursuivit avec diligence, et l'atteignit à Rome. Mais n'ayant pu être reçue chez lui, elle ne songea plus qu'à la vengeance, et le dénonça à l'Inquisition comme chef de franc-maçonnerie, et ayant le projet de bouleverser l'état et la religion. Elle en administra même les preuves les plus convaincantes par différents papiers qu'il avait eu la maladresse de laisser entre ses mains. Le procès de ce malheureux charlatan fut bientôt instruit. Il fut condamné à mort; et soit par indulgence, soit par égard pour sa femme qui avait été sa délatrice, sa peine fut commuée en une détention perpétuelle au château Léon, où il fut sévèrement enfermé. Différentes tentatives qu'il fit pour son évasion ne servirent qu'à le faire resserrer plus étroitement. Persuadé dès-lors qu'il n'avait plus de ressources, il se livra au désespoir, refusa toute nourriture, repoussa avec

fureur les consolations et les secours de la religion qu'on s'empressa vainement de lui offrir, et fut trouvé un matin mort au pied de son lit.

Plusieurs personnes assurent, au contraire, qu'il imagina un stratagème atroce, qui le conduisit au supplice qu'il avait si bien mérité. Il parut, dit-on, repentant de ses erreurs, affecta pendant quelque temps la plus grande dévotion, et une résignation absolué à son sort, demanda un capucin pour se confesser, eut avec lui plusieurs conférences suivies, et accoutuma si bien ses gardes à le voir avec ce bon père, qu'on les laissait seuls plusieurs heures ensemble. Mais un jour, avec un poignard qu'il avait trouvé moyen de se procurer, il égorgea le pauvre capucin, se hâta de prendre ses habits, de mettre une barbe postiche, et bien enveloppé dans le capuchon du moine, il traversa hardiment deux cours, où l'on ne fit aucune attention à lui. Il était près de franchir la dernière porte, lorsque sa taille courte et épaisse, sa démarche, et surtout son embarras pour ne pas se tromper, furent remarqués par un soldat qui, soupçonnant quelque ruse, s'approche, le reconnaît, et veut l'arrêter. Cagliostro tire à l'instant son poi

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