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« à employer, je vois peu d'apparence qu'un << étranger puisse trouver accès dans l'ar<«<mée. » Le jeune homme répondit qu'il était décidé à continuer son voyage; qu'il sentait parfaitement la bonté des raisons qu'on lui opposait, mais que peut-être, quand on le verrait de si bonne volonté, on ferait quelque chose pour gagner un serviteur zélé. Alors il dit qui il était; il nomma les personnes de considération par lesquelles il était recommandé; et en convenant que ses espé rances étaient difficiles à réaliser, il avouait cependant qu'il y tenait, quoi qu'il dût en arriver. Le voyageur autrichien, qui lui avait d'abord parlé, dit alors : « Eh bien! puisque << rien ne peut vous détourner de votre pro« jet, je vais vous donner une lettre, qui « vous sera peut-être utile; vous la remet« trez au général Lasci. » Le Napolitain reçoit la lettre, et continue sa route. A son arrivée à Vienne, il se rend chez le général Lasci, et lui remet toutes ses lettres de recommandation, à l'exception de celle du voyageur, qu'il avait égarée. Le général, après les avoir lues, lui dit qu'il était désolé de ne pouvoir lui être utile; qu'il y avait une impossibilité absolue de faire ce qu'il désirait. Le

jeune homme, qui s'attendait à cette première réponse, ne se rebuta point il s'occupa pendant quelques jours à faire une cour assidue au général, qui le recevait bien, mais dont il ne pouvait obtenir une réponse favorable. Il retrouva enfin la lettre qu'il avait égarée; il la présenta au général dans la première visite qu'il lui fit, en disant qu'il l'avait oubliée. Il lui fit même entendre, en lui racontant la manière dont il l'avait eue, qu'il n'y avait pas attaché beaucoup d'importance, et qu'il comptait plus sur ses bontés que sur la recommandation dn voyageur qui la lui avait donnée. Le général l'ouvrit, parut surpris; et après l'avoir lue : « Savez-vous, lui dit-il, « quel est celui qui vous a donné cette lettre? Non, je ne le connais pas. - C'est l'Em<< pereur lui-même. Vous demandez une sous<«< lieutenance, il m'ordonne de vous faire << lieutenant >>.

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On imagine bien que la reconnaissance enflamma encore le zèle du jeune Napolitain, et qu'il ne manqua pas de se distinguer au service du monarque, qui, sans le connaître autrement que par la franchise de ses expressions, l'avait accueilli avec autant de bonté.

Ce prince, dans une de ces promenades.

qu'il faisait fréquemment, et où il se plaisaît à cacher sa grandeur, rencontra une jeune personne qui portait un paquet dans son tablier, et qui paraissait plongée dans la douleur la plus amère. Sa jeunesse et son affliction l'intéressèrent. Il l'aborda avec cet air d'honnêteté touchante qui peint l'intérêt et le respect que les âmes sensibles ont toujours pour l'infortune. Il lui demanda si l'on pourrait, sans indiscrétion, savoir ce qu'elle portait. La jeune personne, dont le coeur gonflé de chagrin ne demandait qu'à s'épancher, ne put résister long-temps aux instances de l'inconnu qui l'interrogeait. Elle lui dit que le paquet qu'elle portait renfermait quelques hardes à sa mère, et qu'elle allait les vendre. Elle ajouta en pleurant que c'était la faible et dernière ressource qui leur restait pour subsister toutes deux ; qu'elle n'aurait jamais dû s'attendre à un pareil sort; qu'elle était fille et sa mère veuve d'un officier qui avait servi avec honneur et distinction dans les troupes de l'empereur, sans avoir obtenu cependant les récompenses qu'il était en droit d'attendre. « Il aurait fallu, dit le mo

<«< narque, présenter un mémoire à l'empe«reur. N'êtes-vous connue de personne qui << puisse lui recommander votre affaire »? Elle

lui nomma un de ces courtisans qui promettent et oublient avec la même facilité, qui depuis long-temps s'était chargé de la recommander, sans avoir pu, disait-il, rien obtenir. L'inutilité de ses démarches avait même inspiré à la jeune personne des idées fort désavantageuses de la justice et de la générosité de l'empereur, et elle ne les lui dissimula point. « On vous a trompée, lui répliqua ce prince << en cachant son émotion; je suis intimement « persuadé que si l'empereur avait su votre <«< situation, il y aurait apporté remède. Il n'est «point tel qu'on vous l'a dépeint. Je le con« nais, il m'aime, et il aime encore plus la jus<< tice. Il faut absolument avoir recours à lui: << faites un mémoire; venez demain me l'ap«porter au château, en tel endroit et à telle << heure. Si les choses sont telles que vous me « les avez dites, je présenterai votre demande, « et j'ose croire que ce ne sera pas en vain ». La jeune personne essuyait ses larmes, et se répandait en protestations de reconnaissance pour le seigneur inconnu, quand il ajouta : << En attendant, il ne faut pas vendre vos har<< des combien comptiez-vous en avoir ? << Six ducats. Permettez que je vous en

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<< prête douze jusqu'à ce que nous ayions vu «<le succès de nos soins >>.

A ces mots, ils se séparent. La jeune personne court porter à sa mère les douze ducats, les bardes et les espérances qu'un inconnu, un ange de Dieu, un seigneur de la cour, un ami de l'empereur vient de lui donner. A la description qu'elle fait, à la physionomie qu'elle peint, aux discours qu'elle rapporte, la mère, ou quelqu'un qui était présent, reconnaît l'empereur. Heureux le prince qui, en pareil cas, ne peut être méconnu ! La jeune fille alors demeure épouvantée de la liberté avec laquelle elle a parlé à l'empereur de luimême. Elle n'ose plus aller le lendemain au château; ses parents ne peuvent parvenir à l'y mener qu'après l'heure indiquée. Elle arrive enfin au moment où l'empereur, impatient de la voir, dounait des ordres pour envoyer chez elle. Elle ne peut alors méconnaître son souverain : elle s'évanouit.

Cependant le prince, pendant cet intervalle, avait pris des informations exactes auprès des premiers officiers du corps dans lequel le père de la jeune personne avait servi; car il avait eu soin de tirer d'elle le nom de ce corps et celui de son père. Il avait trouvé son

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