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venante, une gaieté franche et soutenue, une candeur dont on trouvait peu de modèles à la cour, lui concilièrent l'estime et l'attachement du premier ministre, dont il devint, pour ainsi dire, le commensal; et l'on se doute bien qu'avec un bon droit et un pareil protecteur, il eut bientôt gagné son procès au Conseil.

Rien ne le retenant davantage à Versailles, il se préparait à retourner dans ses terres; et le cardinal ne cacha pas à Barjac le chagrin qu'il avait de ce départ projeté sous peu de jours. «Monseigneur, lui dit Barjac, il ne « tiendrait qu'à vous de retenir à la cour << M. de Flamarens, et d'y attirer sa famille, << en lui procurant les moyens d'y vivre avec « dignité. — Barjac, répondit le ministre, << souviens-toi que si je suis le dépositaire « et le dispensateur des deniers publics, mon « devoir est de les employer uniquement à « l'utilité de l'état, et que je ne dois me per<< mettre sur cela aucun sacrifice pour mes << attachements particuliers.-Aussi, mon<< seigneur, suis-je incapable de vous pro<< poser quelque chose qui puisse blesser votre « délicatesse ou votre conscience. Mais le « récit de ce qui est déjà arrivé à M. de Fla

<< marens me permettra de suggérer à votre « éminence une idée qui peut lui être avan<tageuse sans compromettre les intérêts du « roi ».

Alors il lui fit très-plaisamment le narré de l'aventure dans la forêt de Fontainebleau; ce qui amusa beaucoup le cardinal. Barjac, voyant la vieille éminence en gaieté, se hâta d'ajouter : « Monseigneur, on procède de«main, dans une des salles du Louvre, à << l'adjudication des fermes générales de Sa « : << Majesté permettez seulement que le comte << de Flamarens y arrive dans un de vos ca« rosses, accompagné de votre livrée, et que << sans se mettre en aucune manière en avant, << il profite des hasards qui pourront lui être << offerts ». Le cardinal trouva l'idée plaisante et y consentit volontiers.

Le comte de Flamarens fut prévenu par Barjac, qui l'accompagna dans la voiture du cardinal. Les enchérisseurs; qui étaient asso ciés de même que ceux de la forêt de Fontainebleau, étaient déjà rassemblés quand ils arrivèrent. En entendant une voiture entrer dans les cours intérieures du Louvre, où celles des princes du sang, des cardinaux et des ministres avaient seules le droit de pé

nétrer, on mit avec empressement la tête à la fenêtre, et l'on fut fort étonné de voir la livrée du cardinal, et un inconnu descendre de voiture avec Barjac, qui, s'apercevant de l'attention avec laquelle on examinait tous ses mouvements, affecta de causer avec l'air du plus grand intérêt, et remonta ensuite dans la voiture, comme pour attendre un dénouement auquel il prenait une grande part. Les miseurs consternés ne doutèrent pas, au premier moment, que celui dont ils virent les pas se diriger de leur côté ne fût un prête-nom du cardinal, qui sans doute voulait avoir lui-même l'adjudication des fermes, et contre lequel ils ne pouvaient lutter.

Cependant quelques têtes plus tranquilles représentèrent que peut-être cet inconnu n'était qu'un homme protégé par le ministre, ou même par Barjac, et dont on youlait faire la fortune, en le mettant à la tête de quelque société rivale de la leur; que, dans ce cas-là, il serait possible de le désintéresser par des offres avantageuses, et cet aperçu, qui calma les esprits, ayant été adopté unanimement, on se hâta de convenir du taux auquel on pouvait porter les offres. Le comte de Fla

marens entra dans le moment où ce plan venait d'être conclu, et s'assit modestement dans un coin de la salle. Mais il fut bientôt entouré de plusieurs de ces messieurs, qui, sous différents prétextes, cherchaient à savoir quel était le motif de sa présence. Il répondit à toutes les questions d'un air mystérieux et préoccupé, qui ne laissa plus de doute sur les intentions qu'on lui supposait. Alors on crut que c'était le cas d'agir franchement par les grands moyens. L'un des asso→ ciés, sur le signe approbatif des autres, le tire en particulier, et après quelque préambule sur le peu de profits qu'on pouvait espérer des fermes, ne lui cacha pas que, s'il était ici, comme on pouvait le présumer d'après la manière dont il y était arrivé, l'organe d'une autorité supérieure, on la respectait trop pour vouloir la combattre; mais que si, sous une aussi grande protection, il ne paraissait que pour son intérêt personnel, il était chargé de lui offrir cent mille écus pour se retirer. Le comte ne balança pas à avouer que c'était uniquement son intérêt personnel qui l'avait amené en ce lieu. Le marché fut bientôt conclu, et il se retira emportant une somme qui le mit en état d'acheter une grande

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charge à la cour, et d'y établir sa famille, qui s'est constamment distinguée par ses services militaires, et par la dignité avec laquelle plusieurs de ses membres ont rempli les pre→. mières fonctions de l'Église.

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CE même Barjac, si attaché à ses maîtres, disposant, par la faveur du cardinal, des mières places de l'état, et voyant, pour ainsi dire, à ses pieds, les plus grands seigneurs du royaume, avait conservé sa première simplicité, et n'avait jamais oublié sa médiocre origine.

Passant un jour par une ville de province, un ancien militaire, décoré de la croix de Saint-Louis, et portant le même nom, se crut, ou feignit de se croire son parent, et se présenta à lui en réclamant l'honneur de ce titre. << Monsieur, lui dit Barjac, êtes-vous « gentilhomme? Oui, monsieur, et même << d'une ancienne maison. - En ce cas, je n'ai « pas l'honneur d'être votre parent; car je << suis roturier autant qu'on peut l'être : mais « le désir que vous voulez bien me témoi«gner d'être de ma famille, quoiqu'il ne « m'appartienne en aucune manière d'y pré

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