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PARIS,

VERSAILLES ET LES PROVINCES,

AU DIX-HUITIEME SIÈCLE.

Le comte d'Anterroche, sur lequel madame de Genlis, dans les charmants Souvenirs de Félicie, a cité quelques anecdotes plaisantes, avait été dans sa jeunesse héros et victime de cette exagération de bravoure et de politesse française qui tenait encore aux moeurs de l'an

cienne cour.

Commandant d'une compagnie de grenadiers au régiment des Gardes-Françaises, il fut chargé, à la bataille de Fontenoi, de s'emparer avec sa troupe d'une esplanade qui paraissait être un poste important. Il gravit avec impétuosité un rideau couvert de bois, et arrive à la plaine au moment où les Anglais s'y présentaient de l'autre côté en ordre de bataille. Le comte d'Anterroche levant son chapeau,

leur crie aussitôt : « Messieurs, tirez les pre<< miers, nous sommes Français, nous faisons <<<< les honneurs ». Les Anglais tirent, et il reçut sept balles dans le corps. Heureusement aucune de ses blessures ne fut mortelle; et, ce qu'il y eut d'extraordinaire, c'est qu'après sa guérison, sa constitution, faible et valétudinaire jusqu'alors, changea totalement, et qu'il a vécu jusqu'à l'âge de près de quatrevingts ans sans jamais avoir été malade.

C'est à tort qu'on a attribué à d'autres personnes sa sublime répartie à un officier qui, détaillant les fortifications de Maestricht, disait : « Cette ville est imprenable.

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Mon<«<< sieur, répondit le comte d'Anterroche, ce << mot-là n'est pas français >>.

N'ayant reçu d'autre éducation que celle des camps et de la cour, il était d'une simplicité et d'une ignorance profonde sur tout ce qui ne tenait pas directement à la valeur et à l'urbanité française.

Devenu capitaine aux Gardes, il était le père, l'ami et le soutien de ses soldats, qui, très-mal disciplinés à cette époque, se livraient à des excès que la faiblesse de la police, alors mal organisée, ne pouvait réprimer.

L'un d'eux, attaché à sa compagnie, avait

imaginé, pour gagner quelque argent, de com mettre journellement le sacrilége le plus affreux. Il prenait tous les matins un habit ecclésiastique, et allait dire la messe en différentes églises éloignées l'une de l'autre. Il était diffi cile qu'un tel crime ne fût pas bientôt décou vert. Le faux prêtre fut arrêté et mis au cachot. Le bon M. d'Anterroche, apprenant la détention de son soldat, et ce dont il était ac cusé, va aussitôt le voir dans la prison, bien résolu à lui faire une sévère réprimande. Mais ne connaissant pas de crimes plus graves les fautes militaires : « Malheureux, lui « dit-il, ne savais-tu pas qu'il t'était défendu << de quitter ton uniforme ?--Mon capitaine, « j'ai toujours eu sous ma soutane ma veste << uniforme >>. → Ah! cela est différent », répliqua le bon capitaine, qui, muni d'un argument aussi solide, et regardant dès-lors le cas très-graciable, alla de bonne foi solliciter la liberté du soldat, et resta très- étonné des rires qu'excitait le motif dont il appuyait sa demande.

que

Je ne peux me refuser au plaisir de raconter ici une anecdote, peut-être bien connue,

et

puisqu'elle a eu le public pour témoin, qu'elle se trouve, m'a-t-on dit, insérée dans plusieurs recueils, mais qui m'a frappé par son originalité et par le noble sang-froid de celui qui en est le sujet. Je veux parler du marquis de Tenteniac, qui servait aussi dans le régiment des Gardes-Françaises, et qui méritait d'être mis en parallèle avec le comte d'Anterroche, pour la bravoure et la politesse française.

Descendant de ces héros bretons du même nom, si connus dans l'histoire, à la valeur chevaleresque dont il avait hérité de ses ancêtres il joignait une superbe figure et la taille la plus avantageuse. Se trouvant à la Comédie Française, dans le temps où il était du bon ton parmi les jeunes gens les plus élégants de remplir les coulisses, et de s'avancer tellement sur la scène qu'ils gênaient le jeu des acteurs, M. de Tenteniac se faisait remarquer plus particulièrement en avant de tout le monde. Le parterre, à qui cela déplut, se mit à crier dans un entr'acte « Annoncez, << annoncez, l'homme à l'habit gris de fer, << annonceż! » M. de Tenteniac, après avoir regardé de côté et d'autre, ne pouvant plus douter qu'il ne fût le sujet du tumulte, devenu

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